Saviez-vous qu’un contrat à commandes ne pourrait pas être octroyé à la suite d’une évaluation de la qualité des soumissions? Nous vous rappelons que ce genre de contrat permet à un organisme public ayant des besoins récurrents de conclure un contrat d’approvisionnement alors qu’il n’est pas en mesure de quantifier ses besoins au moment de l’appel d’offres.

Le 13 mai 2010, le Conseil du trésor a publié un bulletin d’interprétation des marchés publics intitulé « Contrat à commandes et analyse qualitative » (RCA. 3-1). Dans ce bulletin, le Conseil du trésor émet l’avis qu’étant donné la structure du Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics (R.R.Q., c. C-65.1, r. 2), le donneur d’ouvrage qui veut donner un contrat à commandes ne peut évaluer la qualité des soumissions. Il doit accorder ce type de contrat que sur la base du prix.

« Toutefois, l’article 3 du RCA mentionne que, lorsqu’il s’agit d’un contrat à commandes ou d’un contrat adjugé à la suite d’une évaluation de la qualité, la procédure d’appel d’offres public doit tenir compte des dispositions particulières du chapitre III.

[…]

D’ailleurs, consulté sur l’interprétation à donner à l’utilisation du mot « ou » prévue à l’article 3 du RCA et au fait que le chapitre III est divisé en deux sections distinctes, le jurisconsulte du gouvernement est d’avis que cette façon d’exprimer les règles particulières prévues à ce chapitre place l’organisme public devant l’impossibilité de combiner et d’appliquer à une même situation les règles particulières prescrites dans les deux sections.

[…]

Par conséquent, il n’est pas possible d’évaluer la qualité pour un contrat à commandes. De l’avis du SCT, et dans l’état actuel du droit, si un organisme public désire procéder à une évaluation de la qualité dans le cadre d’un contrat à commandes, il devra au préalable avoir obtenu une dérogation de son ministre responsable en vertu du second alinéa de l’article 25 de la LCOP. »

Un soumissionnaire a récemment invoqué le bulletin d’interprétation du Conseil du trésor afin de faire invalider un processus d’appel d’offres. Il s’agit de l’affaire Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec (2012 QCCS 1876). Nous soulignons d’emblée que ce dossier n’en est qu’au stade de l’injonction interlocutoire, aucun jugement au fond n’a encore été rendu. Cependant, la Cour ayant statué qu’Orthofab avait fait la preuve que le droit qu’elle entendait faire valoir était très sérieux, ce jugement mérite qu’on s’y intéresse.

Dans cette affaire, la Régie de l’assurance maladie du Québec (ci-après la « RAMQ ») a lancé, en 2011, un appel d’offres pour un contrat à commandes pour la fourniture de fauteuils roulants. L’appel d’offres identifie vingt-huit catégories de fauteuils. Il prévoit quatre étapes pour déterminer le soumissionnaire qui devra être retenu. La dernière étape correspond à l’analyse de la conformité technique pratique, soit un banc d’essai.

Orthofab, a présenté une soumission pour quatorze catégories de produits. Malgré qu’elle ait déposé la plus basse soumission pour quatorze catégories de produits, la RAMQ a informé Orthofab qu’elle ne lui attribuait un contrat que pour quatre catégories de produits.

Dans le cadre de sa procédure en injonction, Orthofab recherche l’annulation de l’appel d’offres. Elle invoque que le processus d’appel d’offres est nul puisqu’il est non conforme au Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics. Plus précisément, elle invoque que dans le cadre d’un appel d’offres pour un contrat à commandes, aucune évaluation de la qualité des produits n’est permise, en l’occurrence, le banc d’essai. Au soutien de sa position, Orthofab invoque le bulletin d’interprétation du Conseil du trésor du 13 mai 2010.

La Cour statuant sur l’apparence de droit d’Orthofab écrit :

« [58] Lorsque le donneur d’ouvrages sollicite un prix, afin de conclure un contrat à commandes, il doit le faire sans évaluer la qualité. Le Secrétariat du Conseil du Trésor émet également l’avis que si l’organisme public désire procéder à une évaluation de la qualité dans le cadre d’un contrat à commandes, il doit, au préalable, avoir obtenu une dérogation de son ministre responsable.

[…]

[61] Il est vrai que le Tribunal n’est pas lié par le Bulletin d’interprétation du Secrétariat du Conseil du Trésor. Cependant, une lecture attentive du règlement indique que les prétentions de la requérante sont très sérieuses et que l’opinion donnée par le Secrétariat du Conseil du Trésor, basée elle-même sur une opinion du jurisconsulte du gouvernement, est bien fondée.

[…]

[63] Le Tribunal est d’avis que la requérante, vu les prescriptions très strictes et le cadre très précis du Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics, a démontré un droit très sérieux à faire valoir quant à la validité de l’appel d’offres.

[…]

[72] Le Tribunal est donc d’avis que la requérante a rempli son fardeau de démontrer que le droit qu’elle entend faire valoir est très sérieux, sinon clair. »

La Cour a ordonné à la RAMQ de surseoir, jusqu’à ce qu’un jugement au fond soit rendu, au processus d’appel d’offres et de ne pas procéder à la signature des contrats pour les dix catégories de produits où la soumission d’Orthofab n’a pas été retenue.

Dans l’attente de la décision sur la demande d’injonction permanente dans l’affaire Orthofab, il serait sage de vous abstenir d’inclure aux processus d’appels d’offres une évaluation de la qualité des soumissions pour l’adjudication d’un contrat à commandes. La prudence devrait vous inciter à n’adjuger ces contrats que sur la base du plus bas soumissionnaire conforme.

Dans l’éventualité où vous choisiriez tout de même de prévoir une évaluation de la qualité des soumissions en vue de l’adjudication de ce genre de contrat, sachez que vous vous exposez à un recours en injonction qui aura possiblement pour effet de bloquer votre appel d’offres pour plusieurs mois et ce, sans compter le temps que vous devrez consacrer à vous défendre ainsi que des frais que vous devrez encourir.

Le bulletin du Conseil du trésor et l’affaire Orthofab ne traitent pas du contrat à exécution sur demande prévu au Règlement sur les contrats de services des organismes publics (R.R.Q., c. C-65.1, r. 4). Ce règlement étant toutefois rédigé de façon très similaire au Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics, il serait intéressant que le Conseil du trésor se prononce également sur la possibilité de procéder à une évaluation de la qualité des soumissions dans le cadre d’un appel d’offres pour l’adjudication d’un contrat à exécution sur demande.

En terminant, nous vous rappelons que l’article 25 de la Loi sur les contrats des organismes publics(L.R.Q., c. C-65.1), prévoit qu’un organisme public qui désire déroger aux dispositions des règlements d’application de la loi peut s’adresser au ministre responsable afin d’obtenir une dérogation.

Nous vous tiendrons informés des développements de l’affaire Orthofab dans une prochaine chronique.

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