Le 5 juin dernier, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi no 52, la Loi concernant les soins de fin de vie, LQ 2014, c. 2 (ci-après « Loi ») après plus de quatre ans de débat social et parlementaire.
Bien que la Loi n’entrera en vigueur, au plus tard, que le 10 décembre 2015 (art.78), la présente chronique a pour objectif de cerner les principales innovations de cette loi de même que les obligations imposées aux différents acteurs du réseau de la santé.
Historique
Le 4 décembre 2009, l’Assemblée nationale du Québec a adopté une motion visant à créer une commission spéciale en vue d’étudier la question du droit de mourir dans la dignité. Après de vastes consultations publiques et auprès d’experts, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité (ci-après « Commission spéciale ») a déposé un rapport en mars 2012. Ce rapport a été minutieusement étudié par un groupe de juristes experts mandaté par le Gouvernement du Québec, lequel avait pour mandat d’analyser, au point de vue légal, la mise en œuvre des recommandations formulées par la Commission spéciale. Ce groupe d’experts a déposé lui-même un rapport en janvier 2013 et, quelques mois plus tard, soit le 12 juin 2013, le projet de loi a été présenté par la ministre déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse de l’époque, Mme Véronique Hivon. Des consultations particulières, menées par la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale, ont alors eu lieu. Lors de ces consultations qui ont duré treize (13) jours, plus de 63 mémoires ont été déposés par des associations, des ordres professionnels et des individus. L’étude détaillée en commission s’est poursuivie de novembre 2013 à février 2014. L’adoption du projet de loi a dû être retardée en raison des élections provinciales et celui-ci a été adopté suite aux élections.
Objet de la loi
La Loi « a pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie » (art.1). Les soins de fin de vie sont définis à l’article 3(3o) de la Loi et incluent les soins palliatifs de même que l’aide médicale à mourir. Au regard des articles 4 et 7 de la Loi, non seulement les soins de fin de vie sont des soins que doivent offrir les établissements, mais leur accès constitue également un droit.
Ce projet de loi s’inscrit dans un changement des valeurs sociales face à la mort, de même que dans une tendance grandissante visant l’autodétermination des personnes en fin de vie. D’ailleurs, l’article 5 de la Loi constitue une codification de la jurisprudence, laquelle avait déjà reconnu le droit d’une personne de refuser, d’interrompre ou de s’abstenir de soins qui pourraient la maintenir en vie (voir les décisionsMallette c. Shulman, (1990) 72 C.R. (2d) 417 (C.B.); Nancy B. c. Hôtel-Dieu de Québec, [1992] R.J.Q. 361 (C.S.); Manoir de la Pointe Bleue c. Corbeil, [1992] R.J.Q. 712 (C.S.)). Ceci dit, la Loi innove en ce qu’elle permet qu’un « acte positif » puisse être posé afin de faciliter la mort, et ce, dans un continuum de soins offerts en fin de vie.
En ce sens, deux types de soins de fin de vie sont encadrés par la nouvelle loi, soit la sédation palliative continue et l’aide médicale à mourir. De plus, la Loi met sur pied le régime des directives médicales anticipées. Nous examinerons brièvement chacun de ces trois aspects de manière à mettre en exergue leurs exigences particulières.
Sédation palliative continue
Telle que définie à l’article 3(5o) de la Loi, cette mesure consiste en « l’administration de médicaments ou de substances à une personne en fin de vie dans le but de soulager ses souffrances en la rendant inconsciente, de façon continue, jusqu’à son décès ». Le consentement à la sédation palliative continue doit être donné par écrit par la personne en fin de vie ou par la personne qui peut consentir pour elle selon les règles établies en matière de consentement substitué (art.24).
Aide médicale à mourir
L’aide médicale à mourir consiste quant à elle « en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès » (art.3(6o)).
Telle que prévue à la Loi, l’aide médicale à mourir est un recours à caractère exceptionnel et ses règles d’application sont beaucoup plus restrictives que celles liées à la sédation palliative continue. Il convient de reproduire ici l’entièreté de l’article 26 de la Loi :
« 26. Seule une personne qui satisfait à toutes les conditions suivantes peut obtenir l’aide médicale à mourir :
1° elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29);
2° elle est majeure et apte à consentir aux soins;
3° elle est en fin de vie;
4° elle est atteinte d’une maladie grave et incurable;
5° sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
6° elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.
La personne doit, de manière libre et éclairée, formuler pour elle-même la demande d’aide médicale à mourir au moyen du formulaire prescrit par le ministre. Ce formulaire doit être daté et signé par cette personne.
Le formulaire est signé en présence d’un professionnel de la santé ou des services sociaux qui le contresigne et qui, s’il n’est pas le médecin traitant de la personne, le remet à celui-ci. »
Seule une personne majeure et apte peut consentir à l’aide médicale à mourir. Ceci exclut donc les mineurs de même que les majeurs inaptes atteints d’une maladie incurable puisque le consentement substitué ne s’applique pas à ce type de soins de fin de vie.
De plus, les exigences médicales sont strictes et cumulatives, ce qui fait en sorte d’exclure plusieurs personnes. En effet, ce n’est pas n’importe quelle condition médicale qui permettra d’obtenir l’aide médicale à mourir. Par exemple, les conditions médicales stables, telles un handicap ou une maladie chronique non dégénérative ne permettent pas le recours à ce soin de fin de vie. De plus, l’aide médicale à mourir ne peut être obtenue que par une personne apte au moment de la requérir. Ainsi, une personne faisant l’objet d’un diagnostic de maladie dégénérative du cerveau, telle l’Alzheimer, ne peut pas prévoir le recours à l’aide médicale à mourir dans ses directives médicales anticipées. En effet, ceci est explicitement exclu à l’article 51 de la Loi. Or, au moment où cette personne aura atteint un stade avancé de la maladie, elle risque de ne pas pouvoir consentir en raison de son inaptitude, tel que le reconnaissait la Commission spéciale dans son rapport.
Enfin, l’exigence selon laquelle l’aide médicale à mourir est réservée aux résidents du Québec, assurés au sens de la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29, a été adoptée afin d’éviter le « tourisme médical », tel qu’il appert des propos de la Ministre Hivon lors des débats de la Commission parlementaire.
Directives médicales anticipées
La Loi vient également pallier à l’absence de cadre juridique clair quant aux volontés exprimées en matière de soins de fin de vie. Ainsi, la Loi prévoit que les directives médicales anticipées, visant à indiquer le consentement ou non aux soins médicaux qui pourraient être requis par l’état de santé en cas d’inaptitude, doivent être rédigées par acte notarié en minute ou devant deux témoins au moyen d’un formulaire prescrit par le Ministre (art.52).
La Loi prévoit également une série de dispositions applicables en cas de changement significatif de l’état de santé de la personne (art.56) ou en cas de refus catégorique de la personne à l’égard des soins auxquels elle aurait préalablement consenti (art. 60 et suivants).
Obligations découlant de la Loi
Bien évidemment, la mise en œuvre de la Loi amène son lot de nouvelles obligations que devront assumer les différents acteurs impliqués dans la prestation des soins de fin de vie.
Ministre
En vertu de l’article 19 de la Loi, le Ministre a un pouvoir important en matière de normalisation des soins de fin de vie en ce qu’il « détermine les orientations dont doivent tenir compte un établissement et une agence dans l’organisation des soins de fin de vie, y compris celles dont l’établissement doit tenir compte dans l’élaboration de la politique portant sur les soins de fin de vie ». Soulignons à cet égard que le ministère de la Santé et des Services sociaux a déjà publié une politique sur les soins palliatifs (Politique en soins palliatifs de fin de vie, 2010). Il devra donc également faire de même concernant l’aide médicale à mourir et la sédation palliative continue. De plus, le Ministre aura un pouvoir de surveillance puisqu’il pourra requérir des établissements et des agences toute information jugée nécessaire dans l’exercice de ses fonctions (art.20) et pourra autoriser des inspections sur place (art.21).
Établissements
Qualifiés comme étant les « dispensateurs des soins de fin de vie », plusieurs obligations sont dévolues aux établissements, aux maisons de soins palliatifs et aux cabinets privés de professionnels.
Nous abordons principalement les différentes exigences qui incombent aux établissements ainsi que les mesures que ces derniers devront mettre en place en prévision de l’entrée en vigueur de la Loi.
Ainsi, en vertu de l’article 7 de la Loi, tout établissement, au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2 (ci-après « LSSSS »), a l’obligation, sauf exception (art.72), d’offrir des soins de fin de vie et de mettre en place des mesures visant à favoriser la collaboration entre les différents intervenants impliqués dans la fourniture de soins de fin de vie.
De plus, tout en tenant compte des orientations ministérielles à être adoptées à ce sujet, les établissements devront adopter une politique sur les soins de fin de vie et faire un rapport annuel sur l’application de cette politique (art.8) de même que prévoir dans leur plan d’organisation, un programme clinique de soins de fin de vie (art.9). Ils devront également modifier leur code d’éthique afin de tenir compte des droits des personnes en fin de vie (art.10).
Les établissements devront s’assurer de former et de sensibiliser le personnel soignant relativement aux soins de fins de vie, mais également le service des archives, notamment en ce qui a trait aux nouveaux documents susceptibles d’être versés au dossier de l’usager tels les formulaires de consentements aux soins de fin de vie et les directives médicales anticipées.
La mise en œuvre de la loi pourra en outre avoir un impact sur l’administration et la gestion des ressources matérielles des établissements, que l’on pense notamment à l’obligation d’offrir une chambre individuelle dans les derniers jours précédant le décès (art.12).
Enfin, les établissements et les maisons de soins palliatifs auront un délai d’un an pour modifier leurs ententes de services conclues en vertu de l’article 108.3 de la LSSSS afin d’y prévoir la nature des soins fournis ainsi que des mécanismes de surveillance visant à assurer la qualité de ces soins (art.74 et 14).
Médecins
À titre de professionnels de la santé, les médecins sont les principaux intervenants visés par la Loi. De manière générale, le médecin a un devoir d’information envers la personne en fin de vie relativement à sa maladie. Le médecin doit également s’assurer du caractère libre du consentement donné à l’égard des soins de fin de vie.
En outre, seul un médecin est autorisé à fournir l’aide médicale à mourir et, de par la Loi, il lui incombe un devoir d’accompagnement de la personne jusqu’à son décès (art.30). De plus, avant même d’administrer l’aide médicale à mourir, le médecin devra s’assurer que les conditions préalables sont réunies et requérir l’avis d’un second médecin (art.29).
Soulignons que le médecin a le droit de refuser d’administrer l’aide médicale à mourir pour des raisons qui lui sont propres (art.50). Ceci dit, il s’agit d’un droit appartenant au médecin personnellement et des démarches devront être entreprises (art.31) par ce dernier et par l’établissement afin de permettre à la personne de recevoir les soins autrement.
Agences
Les agences de la santé et des services sociaux, sous réserve des modifications éventuelles apportées par le projet de loi 10 (Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, projet de loi no 10 (présentation 25 septembre 2014), 1re sess., 41e légis.), devront quant à elles déterminer les modalités générales d’accès aux soins de fins de vie dispensés sur leur territoire (art.17) et en informer la population (art.18).
De plus, les agences pourront exercer un pouvoir délégué du Ministre en matière d’inspection (art.22).
Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens et Collège des médecins
Ces deux entités auront comme fonction principale d’assurer un contrôle professionnel à l’égard des soins de fin de vie fournis par un médecin. Soulignons que le conseil des médecins, dentistes et pharmaciens d’un établissement a une obligation spécifique quant à l’adoption de protocoles cliniques applicables à la sédation palliative continue et à l’aide médicale à mourir, et ce, en collaboration avec le conseil des infirmières et infirmiers et conformément aux normes cliniques élaborées par les ordres professionnels concernés (art.33).
Commission sur les soins de fin de vie
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence la création, en vertu de la Loi, de la Commission sur les soins de fin de vie qui relèvera de l’Assemblée nationale. Cette dernière a comme mandat d’examiner toute question relative aux soins de fin de vie (art.42) ainsi qu’un mandat de contrôle général et de surveillance.
Conclusion
La Loi concernant les soins de fins de vie constitue un apport majeur au système de santé québécois, mais sa mise en œuvre pourra susciter des difficultés d’interprétation et plusieurs défis. Le recours aux Tribunaux est à prévoir ne serait-ce que pour en baliser les paramètres ou pour en examiner la conformité avec les chartes des droits et libertés de la personne. Par exemple, dans son mémoire déposé lors des consultations particulières sur le projet de loi no 52, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse conclut que l’exclusion des mineurs et des majeurs inaptes pour l’aide médicale à mourir porte atteinte à leurs libertés et droits fondamentaux.