En janvier 2014, notre collègue Me Marie-Noëlle Legault signait une chronique sur le jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Buesco Construction inc. c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont (2013 QCCS 3832).
En résumé, le 4 février 2003, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (« HMR ») avait résilié pour cause le contrat de l’entrepreneur Buesco, alléguant qu’il avait commis les trois manquements suivants :
- Ne pas avoir soumis des échéanciers conformes aux exigences du contrat;
- Ne pas avoir respecté les normes de santé et sécurité du travail;
- Ne pas avoir conçu une méthode sécuritaire et acceptable pour l’implantation d’un système d’étais permettant la construction du plancher du rez-de-chaussée et d’avoir laissé le sol geler au pourtour des infrastructures.
Contestant la résiliation de son contrat, l’entrepreneur avait intenté une poursuite contre l’établissement.
La Cour supérieure avait conclu que les deux premiers reproches formulés par l’établissement ne pouvaient être qualifiés de manquements graves. Elle avait de plus décidé que l’hôpital avait abusé de ses droits et ne pouvait invoquer le troisième manquement au soutien de sa décision de résilier le contrat. Dans les circonstances, la Cour avait condamné HMR à indemniser Buesco pour les dommages subis.
HMR a porté ce jugement en appel, notamment en ce qui concerne les manquements sur la question de la pénétration du gel dans le sol et sur les échéanciers non conformes.
La Cour d’appel a, le 3 mai dernier, infirmé le jugement de la Cour supérieure[1].
Dans un arrêt très étoffé, la Cour d’appel a considéré que Buesco avait effectivement commis de graves manquements à ses obligations légales et contractuelles et que l’hôpital n’avait pas commis d’abus de droit à l’endroit de Buesco.
Sur la question du sol gelé, le juge de première instance avait considéré que la décision de Buesco de laisser le sol geler relevait de la discrétion de l’entrepreneur.
Or, la Cour d’appel a plutôt conclu, suivant son analyse de la preuve soumise devant le premier juge, que la pénétration du gel dans le sol allait à l’encontre des règles de l’art en matière de construction en conditions d’hiver. Ces règles prohibent la pose d’étais de coffrage sur un sol gelé.
En ce qui concernait les échéanciers déficients, contrairement au premier juge, la Cour d’appel a considéré que le défaut pour Buesco de produire un échéancier conforme aux attentes contractuelles pouvait être qualifié de manquement grave. Elle rappelle que le respect du délai de réalisation des travaux est une obligation de résultat qui incombe à l’entrepreneur. Elle confirme que les chances données à Buesco pour soumettre des échéanciers conformes ne peuvent être assimilées à de la tolérance :
[121] Or, le propriétaire ne peut être blâmé pour ne pas avoir exercé son droit à la résiliation dès la première manifestation d’un manquement, et ce, sans avoir donné à l’entrepreneur l’opportunité de s’amender. L’obligation d’agir de bonne foi en toute circonstance commandait de repousser cette ultime solution tant et aussi longtemps que HMR croyait Buesco capable de corriger la situation.
[Nous soulignons]
En conséquence, HMR se voit accorder des dommages résultant de la résiliation pour manquements graves, soit la partie des travaux effectués par le nouvel entrepreneur, après déduction du montant du contrat accordé à Buesco et des travaux additionnels non prévus dans l’appel d’offres initial.
Buesco a quant à elle droit aux montants pour les travaux effectués avant la résiliation du contrat.
La Cour d’appel confirme par contre la conclusion du juge de première instance sur les dépens accordés aux professionnels poursuivis par HMR. Elle soutient que l’établissement a eu tort de poursuivre ses professionnels, sans allégation précise de leurs fautes. Ainsi, contrairement à un recours basé sur la perte de l’ouvrage où la poursuite des professionnels peut s’avérer nécessaire pour une solution complète du litige, dans le cas d’une action fondée sur une résiliation abusive du contrat, le propriétaire ne peut poursuivre, subsidiairement, les professionnels au cas où sa responsabilité serait retenue, en l’absence de reproches concrets.
Enfin, et il importe de le soulever, la Cour d’appel ne se prononce pas sur la possibilité pour un donneur d’ouvrage d’invoquer, dans un premier temps, la résiliation avec motifs et en cas d’échec, la résiliation unilatérale permise en vertu de l’article 2125 du Code civil du Québec (c’est-à-dire une résiliation sans motif où le donneur d’ouvrage doit assumer les frais d’un nouvel entrepreneur, tout en se mettant à l’abri de toute réclamation en dommages ou pour pertes de profits, sous réserve que la résiliation soit faite de bonne foi).
Nous nous rappelons que le juge de première instance avait rejeté cet argument soulevé par HMR puisqu’il estimait que ce dernier avait opté pour la résiliation pour cause et qu’il devait assumer son choix.
Or, puisqu’elle conclut à la présence de manquements graves, la Cour d’appel a considéré que ce débat était théorique et qu’elle n’avait pas à disposer de cette question.
En l’absence de réponse à cette question, nous réitérons la recommandation de notre collègue Me Legault à l’effet que les propriétaires qui souhaitent résilier un contrat pour cause doivent avoir un dossier bien documenté et être ainsi prêts à démontrer le sérieux des motifs qu’ils invoquent.