Depuis le 7 juin dernier, les articles 241b) et 14 du Code criminel1 dans la mesure où ils prohibent totalement l’aide médicale à mourir, sont inopérants2. Afin de combler un vide législatif, le 17 juin 2016, le gouvernement fédéral a sanctionné la Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir)(ci-après, « Loi fédérale»). La loi fédérale a pour objectif de modifier le Code criminel et d’établir des balises afin d’encadrer l’aide médicale à mourir à travers le pays.

Au Québec, la loi encadrant l’aide médicale à mourir, soit la Loi concernant les soins de fin de vie4, est en vigueur depuis le 10 décembre 2015.

Distinctions entre les lois fédérale et provinciale

Les deux lois sont en substance fort semblables. Voici néanmoins quelques distinctions existant entre celles-ci:

Loi provinciale Loi fédérale
La loi exige que l’aide médicale à mourir soit administrée par un médecin. La loi autorise que les professionnels qu’elle identifie administrent l’aide médicale à mourir ou prescrivent une substance afin que le patient se l’administre lui-même.
Seul un médecin peut administrer l’aide médicale à mourir. Un médecin ou un infirmier praticien peut administrer ou prescrire l’aide médicale à mourir.
Le patient doit être en fin de vie. La mort naturelle du patient doit être devenue raisonnablement prévisible.
Le patient doit être atteint d’une maladie grave et incurable. Le patient doit souffrir de problèmes de santé graves et irrémédiables, ce qui signifie qu’il peut être atteint d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable.
Aucun délai prévu par la loi entre la date de la demande et le jour où l’aide médicale à mourir sera administrée. Délai de 10 jours prévu par la loi entre la date de la demande et le jour où l’aide médicale à mourir sera administrée. Ce délai peut être plus court si le médecin ou l’infirmier praticien et le médecin ou l’infirmier praticien, ayant fourni le deuxième avis, jugent que la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente.

 

D’un point de vue constitutionnel

Notons que malgré l’entrée en vigueur de la Loi fédérale, la Loi concernant les soins de fin de vie continue de s’appliquer, dans la mesure où ces deux lois sont compatibles. En effet, les deux ordres de gouvernement ont une compétence concurrente sur le sujet : le gouvernement fédéral a compétence pour légiférer en matière de droit criminel qui touche la santé et les gouvernements provinciaux ont compétence en matière d’administration et de gestion des soins de santé.

Par contre, si les deux lois s’avèrent incompatibles, la Loi fédérale aura prépondérance sur la loi provinciale et cette dernière sera inopérante dans la mesure de cette incompatibilité. Pour que les lois soient considérées comme incompatibles, il faut qu’il y ait conflit irréductible, de sorte qu’une personne ne puisse se conformer à une loi sans contrevenir à l’autre ou que la loi provinciale constitue une entrave à l’objectif recherché par la législation fédérale. Dans le cas contraire, les deux lois demeureront valides et auront plein effet.

La Loi fédérale pourrait faire l’objet d’une contestation constitutionnelle si les provinces estiment que la loi telle qu’adoptée empiète substantiellement sur la compétence provinciale en matière de santé.

De plus, tant la Loi fédérale que la Loi concernant les soins de fin de vie peuvent faire l’objet d’une contestation constitutionnelle si une personne estime que les limites imposées par les dispositions de l’une ou l’autre de ces lois contreviennent aux droits fondamentaux protégés par les chartes des droits de la personne. Tel que nous en discuterons plus précisément ci-dessous, cette hypothèse s’est récemment concrétisée en Colombie-Britannique.

Contestation

En effet, une contestation à l’encontre de la Loi fédérale a été déposée le 27 juin 2016 devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

La demanderesse, Julia Lamb, accompagnée par l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (ALCCB), est atteinte d’amyotrophie spinale, une maladie neurodégénérative qui entraîne l’atrophie des muscles. Cette maladie évolue progressivement et peut notamment mener à des difficultés majeures au niveau de la motricité, à une détresse respiratoire et à des difficultés de déglutition. Mme Lamb craint d’être un jour prisonnière de son corps et d’éprouver de grandes souffrances, tant psychologiques que physiques, sans pouvoir recevoir l’aide médicale à mourir puisque sa mort naturelle ne serait pas nécessairement prévisible. Le recours vise donc à faire déclarer inconstitutionnel ce critère d’admissibilité.

Le dénouement de ce recours sera attendu au Québec puisque le critère de « fin de vie » est vraisemblablement plus strict que celui de la « mort raisonnablement prévisible ». Si les tribunaux de la Colombie-Britannique estiment que l’exigence de la « mort raisonnablement prévisible » est inconstitutionnelle, une telle conclusion donnerait des arguments de poids à d’éventuels demandeurs désirant contester le critère prévu dans la Loi concernant les soins de fin de vie.

Quoique la Cour suprême se soit clairement prononcée sur la nécessité de décriminaliser l’aide médicale à mourir, il est manifeste que le débat n’est pas encore clos et que de nombreuses contestations judiciaires sont à prévoir. Celles-ci permettront de peaufiner les contours de cette question juridique sensible qu’est l’accès à l’aide médicale à mourir.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.