La Cour d’appel répond non dans l’arrêt Tapitec inc. c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317.
Dans cette affaire, en 2011, la Ville de Blainville (la « Ville ») a lancé un appel d’offres public pour la fourniture et l’installation d’un revêtement synthétique sur un terrain de soccer/football.
Le Cahier des clauses techniques, faisant partie des documents d’appel d’offres, précisait que l’entrepreneur doit avoir une place d’affaires et opérer au Québec depuis au moins cinq (5) ans. Cette exigence n’était pas explicitement décrite comme étant essentielle ou pouvant constituer une cause de rejet automatique en cas de défaut.
Suite à la réception des soumissions, la Ville a retenu la soumission de Sportica.
Tapitec, le soumissionnaire ayant reçu la deuxième meilleure note suite à l’évaluation de la qualité des soumissions, a contesté cette décision de la Ville et intenté des procédures judiciaires afin de réclamer sa perte de profits.
Tapitec soutenait que la Ville ne pouvait octroyer le contrat à Sportica puisque cette dernière n’avait pas une place d’affaires et n’opérait pas au Québec depuis au moins cinq (5) ans. Sportica avait été incorporée environ deux (2) ans avant la publication de l’appel d’offres de la Ville, mais ses dirigeants et son personnel avaient été impliqués dans une autre société connue de la Ville.
En première instance, le juge a rejeté le recours de Tapitec, a conclu que le défaut de Sportica pouvait être qualifié de mineur et que la Ville avait eu raison de passer outre à ce vice de forme et de lui accorder le contrat. Le juge de première instance était d’avis que l’irrégularité affectant la soumission de Sportica n’avait pas d’effet sur son prix et que cette irrégularité n’avait pas rompu l’équilibre entre les soumissionnaires.
Les documents d’appel d’offres contenaient d’ailleurs un article permettant à la Ville de remédier à un défaut mineur :
« 6.3 La Ville peut passer outre à tout vice de forme ou défaut mineur que peut contenir une soumission lorsque, dans son opinion, les meilleurs intérêts de la Ville seront servis par une telle décision et qu’il n’en résulte aucun préjudice pour les autres soumissionnaires. »
Tapitec s’est pourvue en appel de ce jugement.
Selon la Cour d’appel, la question à résoudre est la suivante:
« L’exigence n’étant ni d’ordre public ni expressément stipulée être essentielle, il y a donc lieu de se demander si elle traduit un élément essentiel ou accessoire de l’appel d’offres. »
Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a commis une erreur en limitant son analyse à l’impact de l’irrégularité uniquement sur le prix de la soumission. Ce dernier, au même titre que la Ville, devait analyser si l’intégrité du processus d’appel d’offres se trouvait entachée par l’acceptation de la soumission de Sportica.
La Cour d’appel distingue l’erreur mineure de l’erreur majeure, en ce que cette dernière découle d’un manquement substantiel à une condition de l’appel d’offres. L’intégrité du processus d’appel d’offres doit être la considération principale lors de l’analyse de l’admissibilité des soumissions. L’organisme public doit vérifier si la renonciation à une condition de qualification risque d’affecter l’intégrité du processus, et ce, même si le prix des soumissions demeure inchangé.
La condition de l’expérience du soumissionnaire porte sur la qualification de l’entrepreneur. Il s’agit d’une condition importante pour la Ville même si elle n’est pas décrite comme essentielle. L’endroit dans l’appel d’offres où la clause d’expérience a été insérée pourrait laisser croire que la Ville n’a pas voulu en faire une condition d’admissibilité essentielle. Par contre, les termes utilisés, notamment l’utilisation du verbe « devoir », suggèrent que cette exigence sera considérée comme étant impérative, et ce, malgré l’endroit où elle est située dans les documents d’appel d’offres.
Selon la Cour d’appel, le libellé des documents d’appel d’offres a pu faire en sorte que les soumissionnaires pouvaient y voir une condition d’admissibilité essentielle. Elle explique que la Ville ne peut imposer une condition ayant pour effet de limiter le nombre de soumissionnaires qualifiés tout en prétendant que cette condition est accessoire et donc non essentielle.
Pour la Cour, permettre à la Ville de renoncer, une fois les soumissions ouvertes, à l’exigence d’expérience qu’elle a incluse à ses documents d’appel d’offres est contraire à l’esprit de l’article 573.1.0.1 de la Loi sur les cités et villes (RLRQ, c. C-19) qui prévoit que si la Ville choisit d’utiliser un système de pondération et d’évaluation des offres « la demande de soumissions ou un document auquel elle renvoie doit mentionner toutes les exigences et tous les critères qui seront utilisés pour évaluer les offres, ainsi que les méthodes de pondération et d’évaluation fondées sur ces critères. »
En conclusion, la Cour d’appel est d’avis que la soumission de Sportica était affectée d’une irrégularité majeure et que la Ville se devait de la rejeter. La nature de l’exigence fait en sorte qu’elle est indissociable de l’intégrité du processus d’appel d’offres, malgré qu’elle n’ait aucun impact sur le prix.
La Cour accueille donc l’appel de Tapitec et condamne la Ville à lui verser une somme équivalente à sa perte de profits, soit près de 80 000 $.
Lors de l’analyse d’une irrégularité affectant une soumission, afin de déterminer si vous êtes en présence d’une erreur mineure, donc révisable ou excusable, ou bien d’une erreur majeure, donc fatale, vous devez vous assurer que votre décision n’affectera pas l’intégrité du processus d’appel d’offres. Il est important d’éviter d’insérer, à plusieurs endroits dans les documents d’appel d’offres, différentes exigences d’admissibilité et de conformité. Ces exigences devraient se trouver à un seul endroit.