Le 14 avril dernier, une formation de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») a rendu une décision1 ayant pour but de clarifier l’interprétation de l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A- 3.001, « LATMP»).
Cette décision a un impact majeur sur les gestionnaires dans leur façon de contester une réclamation suite à un accident du travail.
Rappelons que l’article 28 LATMP crée une présomption à l’effet qu’un travailleur a été victime d’un accident du travail s’il démontre les trois conditions suivantes, lesquelles doivent être établies par une preuve prépondérante :
a) le travailleur doit avoir subi une blessure;
b) la blessure doit arriver sur les lieux du travail;
c) le travailleur doit être à son travail.
La formation de trois juges rappelle le caractère social et réparateur de la loi et que les articles doivent être interprétés de manière large et libérale.
La CLP souligne que certains indices factuels peuvent être pris en compte dans l’exercice de l’appréciation de la preuve de ces trois éléments, soit : les délais de déclaration d’un accident du travail, de consultation médicale et d’abandon du travail; l’existence de douleurs avant la date de l’événement; l’existence de diagnostics différents ou imprécis; la crédibilité du travailleur (s’il a donné des versions différentes) et l’existence d’une condition personnelle symptomatique avant les faits allégués à l’origine de la blessure.
Le terme « blessure » doit être interprété au sens large. Il faut se garder de restreindre le sens de « blessure» aux seuls exemples donnés par les dictionnaires d’usage courant.
Ainsi, la CLP ne peut refuser l’application de la présomption du seul fait que le diagnostic en est un d’«algie». En ce cas, il faut analyser le tableau clinique pour déceler des signes cliniques objectifs, révélateurs d’une blessure, tels que spasme, contracture, hématome, ecchymose, épanchement, etc. La blessure entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure d’une partie de l’organisme. L’obtention des notes évolutives médicales devient donc capitale.
La CLP conclut que la notion de blessure comporte généralement les caractéristiques suivantes :
a) il s’agit d’une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique ou chimique, sauf des agents biologiques (virus ou bactéries);
b) il n’y a pas de temps de latence en regard de l’apparition de la lésion (la lésion apparaît de façon relativement instantanée);
Pour les lésions de nature «mixte» (c’est-à-dire celles qui peuvent être reconnues à titre de blessure ou de maladie comme une tendinite, bursite ou épicondylite), les éléments à évaluer sont la présence d’une douleur subite (et non une douleur qui s’installe graduellement) ou une sollicitation de la région anatomique lésée.
Ainsi, des douleurs qui apparaissent de manière concomitante à l’exercice d’un mouvement précis ayant sollicité la région anatomique lésée et à la suite desquelles un diagnostic précis est retenu, pourront être considérées comme une blessure. Il n’est pas nécessaire d’avoir un agent vulnérant extérieur.
L’identification d’une blessure n’a pas à être précédée par la recherche de sa cause et de son étiologie. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’en rechercher la cause ou l’étiologie, la blessure pourra résulter d’un traumatisme direct au site anatomique où elle est observée : on parlera alors, à juste titre, d’une blessure provoquée par un agent vulnérant externe ou encore une exposition à un tel agent, comme l’engelure ou l’insolation, etc. La blessure diagnostiquée peut aussi résulter de la sollicitation d’un membre, d’un muscle ou d’un tendon dans l’exercice d’une tâche ou d’une activité. Ce type de blessure provoque un malaise ou une douleur qui entrave ou diminue le fonctionnement ou la capacité d’un organe ou d’un membre. Quant à la lésion dont le diagnostic est de nature mixte, sa reconnaissance comme blessure se fait sans égard à la cause ou à l’étiologie. Ce sont les circonstances entourant sa survenance qui doivent être appréciées, notamment l’apparition d’une douleur subite ou concomitante à la sollicitation de la région anatomique lésée.
La CLP est d’avis qu’exiger, au stade de l’application de la présomption, la description d’un mécanisme de production (à titre d’exemple : pour une entorse lombaire, un mouvement violent, brutal, au-delà de l’amplitude articulaire normale) équivaut à exiger une preuve d’un événement accidentel précis qui vide alors la présomption de tout son sens.
La présomption de l’article 28 LATMP peut être renversée.
La principale façon d’y parvenir (et celle la plus souvent plaidée) est de démontrer l’absence de relation entre la blessure et les circonstances particulières de son apparition.
La CLP précise que l’absence de relation doit être démontrée par une preuve médicale qui ne peut être théorique. Elle doit s’appuyer sur des éléments factuels, médicaux ou techniques propres au litige. Par conséquent, il devient maintenant primordial pour les gestionnaires d’obtenir une preuve médicale détaillée et précise sur l’absence de relation, notamment selon laquelle le mouvement précis décrit par le travailleur n’est pas susceptible d’avoir présenté de manière probante le mécanisme de production du diagnostic retenu. Le recours uniquement à la doctrine médicale, tel qu’un dictionnaire médical, n’est plus suffisant.
La condition personnelle n’est pas en soi un motif suffisant pour renverser la présomption car rien n’empêche qu’une blessure se superpose à une condition personnelle.
Les motifs suivants permettent de renverser la présomption :
a) l’absence de relation entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci (la condition personnelle peut être soulevée à cette étape; ainsi, la preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle pourra être appréciée par la CLP);
b) la preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou provient d’une cause non reliée au travail. L’absence d’événement imprévu et soudain et le seul fait que les gestes posés au travail étaient habituels, normaux, réguliers ne sont pas des motifs permettant de renverser la présomption.
Les gestionnaires doivent maintenant procéder à une enquête de façon contemporaine à la déclaration d’un accident du travail. Ainsi, vous pourrez avoir en main toutes les informations nécessaires afin d’éclairer votre médecin du service de santé pour qu’il puisse donner une opinion éclairée et précise sur la relation entre la blessure et l’événement allégué. Vous devez également obtenir les notes de consultation médicale.
Cette preuve médicale est capitale. Votre expert ne doit pas motiver son opinion par des éléments juridiques (absence d’événement imprévu et soudain, geste habituel, définition du dictionnaire, etc.) mais doit plutôt s’attarder aux gestes précis effectués par le travailleur et l’étiologie de la blessure diagnostiquée. Par exemple, il se doit d’expliquer quels sont les tendons, les muscles sollicités lors de l’incident allégué et expliquer en quoi il n’y a pas de relation avec le diagnostic retenu.