En parlant d’entrave à la formation ou aux activités d’une association syndicale, plusieurs créeront une équation entre cette dernière notion et une intention coupable de l’employeur de poser un geste délibéré. Or, est-ce que la mauvaise foi ou un animus antisyndical de la part de l’employeur sont des conditions essentielles pour conclure qu’il y a entrave? La Commission des relations du travail (la «CRT») a récemment décidé que tel n’était pas le cas et que la négligence ou l’imprudence pouvaient être suffisantes.

Dans la décision Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (ADREQ-CSD) Mauricie-Centre du Québec et Centre jeunesse de la Mauricie et du Centre du Québec (le «Centre») [1.2010 QCCRT 0387, Myriam Bédard, juge administrative.] , la CRT a affirmé qu’un employeur peut entraver la formation ou les activités d’un syndicat et ce, simplement en continuant d’appliquer une pratique de partenariat en vigueur depuis plusieurs années.

LES FAITS

En juin 2009, la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant (le «Projet de loi 49») 1 est entrée en vigueur, permettant ainsi aux ressources de type familial («RTF») et intermédiaires («RI») de se syndiquer.

Suite à l’entrée en vigueur du Projet de loi 49, l’Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec («ADREQ») a tenté d’obtenir la représentation des RTF que la Fédération des familles d’accueil du Québec («FFAQ») détenait depuis plusieurs années.

En septembre 2009, l’ADREQ envoie une mise en demeure au Centre invoquant qu’une de ses intervenantes avait tenu des propos visant à la discréditer. Le directeur général du Centre répond à cette mise en demeure en indiquant n’avoir aucune intention d’interférer dans le processus d’accréditation permis par le Projet de loi 49. Il émet également une directive selon laquelle tous doivent s’abstenir de tenter d’influencer la démarche de maraudage en cours.

Le 26 janvier 2010, une lettre signée par la FFAQ et cosignée par le Centre est envoyée aux RTF, dans laquelle il est notamment mentionné que la FFAQ est l’organisme reconnu par le ministère de la Santé et des Services sociaux (le «MSSS») pour représenter les familles d’accueil et que l’Association régionale des familles d’accueil à l’enfance de la Mauricie et du Centre du Québec y est affiliée. La lettre mentionne également l’obligation des RTF d’être membres de leur association de familles d’accueil. Ainsi, à moins que les RTF ne signent le formulaire de refus, une cotisation sera automatiquement prélevée et elles seront donc membres de la FFAQ.

Cette lettre n’était cependant pas nouvelle et les RTF la recevaient annuellement depuis 1994 en vertu des actions développées par la FFAQ en partenariat avec le Centre. Malgré la demande de reconnaissance présentée par l’ADREQ à la CRT et le fait que le Centre savait qu’il ne devait pas intervenir dans ce processus, ce dernier a tout de même envoyé la lettre du 26 janvier 2010, car il estimait que les membres avaient le droit de continuer de recevoir des services de leur association.

Le 17 février 2010, l’ADREQ dépose une plainte pour entrave en vertu du Projet de loi 49. Le 1er avril 2010, le Centre transmet une nouvelle lettre aux RTF dans laquelle il suspend le prélèvement des cotisations.

L’ENTRAVE

La CRT énonce dans un premier temps que les principes développés pour l’interprétation de l’article 12 du Code du travail 2 sont pertinents pour l’application des articles 7 et 8 du Projet de loi 49. Puis, elle rappelle qu’il peut y avoir ingérence de l’employeur si celui-ci tente de contrôler la destinée d’un syndicat, mais également s’il fait nettement voir une préférence ou un appui à une association en particulier.

La CRT considère que comme le Centre possède une certaine autorité sur les RTF, le fait qu’il ait cosigné la lettre du 26 janvier 2010 portant sur une nouvelle législation applicable confère plus de crédibilité aux propos y étant contenus.

Bien que ce genre de lettre était envoyé depuis 16 ans, l’entrée en vigueur du Projet de loi 49 est venue changer la donne. En effet, la représentation des familles d’accueil y est maintenant encadrée. Même si le Projet de loi 49 était encore méconnu, il n’en demeure pas moins que le Centre en avait une connaissance suffisante. À titre d’exemple, il avait déjà reçu une mise en demeure de l’ADREQ en septembre 2009. Il avait également établi une directive selon laquelle nul ne pouvait exprimer d’opinion à propos du maraudage en cours. Le Centre avait aussi suspendu plusieurs activités de la FFAQ.

La CRT note également que le Centre a transmis de fausses informations et a fait preuve d’une grande négligence en modifiant le contenu de la lettre du 26 janvier par rapport aux lettres des années précédentes. Les éléments suivants ont été considérés par la CRT :
– Le nom de la FFAQ a été modifié dans la lettre (Fédération des familles d’accueil et ressources intermédiaires du Québec), mais ce changement de nom n’a jamais été légalement fait;
– La FFAQ n’est pas reconnue par le MSSS. Seule la CRT a compétence exclusive pour reconnaître une association;
– La FFAQ ne représente plus les associations régionales, mais bien les RTF individuellement;
– Les RTF ne sont pas obligées d’être membres de leur association;
– Le fait d’avoir rédigé la lettre sur du papier entête du Centre est étonnant; et
– L’adhésion automatique est surprenante.

La CRT conclut que le Centre n’a pas respecté son devoir de réserve durant le processus de syndicalisation et n’a pas examiné avec attention le libellé de la lettre du 26 janvier 2010. Il s’agit d’une négligence répréhensible qui doit être sanctionnée, même si en agissant de la sorte, le Centre n’avait aucune intention directe de manipuler les RTF. Il y a donc entrave au sens de l’article 8 du Projet de loi 49.

La CRT tient compte du fait que l’envoi de la lettre du 26 janvier 2010 est dû aux habitudes de travail liées au partenariat bâti avant l’entrée en vigueur du Projet de loi 49 et que les RTF ne pouvaient être laissées à elles-mêmes durant la période de syndicalisation. Cependant, elle estime que le Centre aurait dû faire preuve d’une plus grande prudence dans l’envoi de cette lettre.

La CRT ordonne donc au Centre de cesser d’entraver la formation et les activités de l’ADREQ et de transmettre copie de sa décision à toutes les RTF ayant reçu la lettre du 26 janvier 2010.

CONCLUSION

L’employeur ne peut donc pas continuer d’appliquer aveuglément des pratiques en cours depuis plusieurs années, sans se questionner sur leur impact dans le processus de syndicalisation ou d’accréditation. Il n’est pas nécessaire d’avoir eu l’intention de manipuler qui que ce soit pour qu’une plainte d’entrave soit accueillie.

Les principes énoncés dans cette décision s’appliquent tout autant aux demandes de reconnaissance présentées en vertu du Projet de loi 49 qu’aux demandes d’accréditation présentées en vertu du Code du travail 3. Le libellé des dispositions est effectivement très semblable.

De plus, il est important de noter que même si la compétence de la CRT se limite à ordonner que cesse l’entrave, il n’en demeure pas moins que tant le Projet de loi 49 4 que le Code du travail 5 contiennent des dispositions pénales prévoyant des amendes en cas de contravention à l’interdiction d’entraver la formation ou les activités d’une association syndicale. La CRT n’a cependant pas compétence en matière de dispositions pénales 6. Un tel recours doit être intenté devant la Cour du Québec qui pourra, si l’employeur est déclaré coupable, imposer une amende pour chaque jour que dure l’infraction. Le montant variera selon la loi qui est en cause [8.En vertu du Projet de loi 49, l’amende en cas d’entrave varie entre 1 000$ et 14 000$ par jour, tandis qu’en vertu du Code du travail, elle varie entre 100$ et 1 000$ par jour.].

Ainsi, lors du processus de syndicalisation ou d’accréditation, un seul conseil s’impose aux employeurs : prudence!

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.