Certains employés ont des problèmes de consommation d’alcool et de drogues. Les effets de cette consommation peuvent notamment se manifester au travail par des retards de plus en plus fréquents, une baisse de rendement, un comportement inadéquat, des accidents du travail ou par des erreurs répétées de la part d’un employé.

Un employeur peut-il adopter une politique comportant des tests aléatoires obligatoires de dépistage de ses employés si ces derniers font face à de sérieux problèmes de consommation de drogues ou d’alcool dans l’entreprise ?

La question de savoir quand et dans quelles circonstances il est possible d’exiger des employés ou des candidats à un poste qu’ils se soumettent à de tels tests a fait couler beaucoup d’encre, ne serait-ce qu’à cause de l’atteinte aux droits et libertés des personnes.

Imposer un test de dépistage de drogues ou d’alcool, que ce soit par le prélèvement d’un échantillon d’urine ou de sang, constitue une violation du droit à l’intégrité physique et du droit de l’individu au respect de sa vie privée prévu par la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 (la «Charte»). L’imposition d’un tel test ne sera possible que si l’employeur obtient le consentement de l’employé ou, en l’absence d’un tel consentement, dans des circonstances bien précises.

La Cour suprême du Canada a rendu le 14 juin 2013 un arrêt important dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving Ltée, 2013 CSC 34 (« Irving »), concernant le droit de l’employeur d’établir une politique de tests aléatoires obligatoires de dépistage d’alcool auprès de ses employés. La Cour suprême avait à se prononcer sur les questions suivantes :

  • La mise en œuvre unilatérale d’une politique de tests aléatoires constitue-t-elle un exercice valide des droits de la direction prévus par une convention collective ?
  • L’employeur peut-il mettre en œuvre unilatéralement une politique sans motif raisonnable ou preuve démontrant un problème de consommation d’alcool en milieu de travail ?
  • L’atteinte à la vie privée des employés l’emporte-t-elle sur les avantages qu’offre la politique à l’employeur ?

Dans cette affaire, le syndicat a déposé un grief pour contester certaines clauses de la politique émise par l’employeur sur la consommation de drogues et d’alcool. Cette politique avait été mise en œuvre unilatéralement, l’employeur plaidant avoir agi en vertu de son droit de gérance. Plus précisément, le syndicat contestait les clauses qui prévoyaient des tests aléatoires obligatoires de dépistage d’alcool. Ainsi, au cours d’une année, 10 % des employés occupant un poste à risque étaient choisis au hasard pour subir l’épreuve de l’éthylomètre sans préavis. Un résultat positif pouvait alors entraîner l’imposition de sanctions disciplinaires graves, incluant le congédiement.

Le conseil d’arbitrage a accueilli le grief après avoir soupesé l’intérêt de l’employeur à effectuer des tests aléatoires de dépistage d’alcool comme mesure de sécurité en milieu de travail et l’intérêt des employés à l’égard de la protection de leur vie privée. La majorité du conseil d’arbitrage a conclu que la politique de tests aléatoires n’était pas justifiée vu l’absence d’éléments de preuve révélant l’existence d’un problème de consommation d’alcool en milieu de travail.

La sentence arbitrale a été annulée en révision judiciaire. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rejeté l’appel de la partie syndicale qui s’est ensuite adressée à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a rétabli la décision du conseil d’arbitrage. Elle a rappelé qu’il existait une jurisprudence arbitrale constante suivant laquelle, dans un lieu de travail dangereux, l’employeur peut faire subir un test à un employé s’il a un motif raisonnable de croire que ce dernier travaille avec des facultés affaiblies, a été impliqué dans un accident ou un incident du travail ou reprend du service après avoir suivi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie. Toutefois, les arbitres ont rejeté massivement l’imposition unilatérale d’une politique de tests obligatoires aléatoires s’appliquant aux employés d’un lieu de travail dangereux. Ils estimaient qu’il s’agissait alors d’une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés, sauf s’il existe des indices d’un risque accru pour la sécurité, comme un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail. Par conséquent, la dangerosité d’un lieu de travail est une question manifestement pertinente. Une fois démontrée l’importance de la dangerosité d’un lieu de travail, il faut toutefois effectuer une analyse axée sur la proportionnalité. En effet, la dangerosité d’un lieu de travail ne justifie pas automatiquement l’imposition unilatérale d’un régime de tests aléatoires susceptibles d’entraîner des sanctions disciplinaires.

Dans l’affaire Irving, le conseil d’arbitrage a conclu que l’employeur ne l’avait pas convaincu que le test constituait un moyen rationnel et proportionnel pour atteindre son objectif. La preuve était à l’effet que huit incidents reliés à la consommation d’alcool étaient survenus à l’usine sur une période de 15 ans. Il a été jugé que cette statistique ne révélait pas un degré suffisant de problèmes de consommation d’alcool en milieu de travail. Par conséquent, l’employeur, qui avait le fardeau de preuve, n’a pas réussi à démontrer l’existence de préoccupations quant à la sécurité qui justifierait l’application universelle de tests aléatoires. Il avait donc outrepassé les droits de la direction que lui confère la convention collective. La Cour suprême a statué que la décision du conseil d’arbitrage était raisonnable compte tenu de ses conclusions de faits et de la jurisprudence pertinente applicable en pareille matière.

En conclusion, nous pouvons retenir de cet arrêt les éléments suivants :

  • Une politique universelle obligatoire obligeant un échantillonnage aléatoire de salariés à subir un test de dépistage d’alcool sans autre analyse est déraisonnable puisqu’elle contrevient aux droits fondamentaux des employés.
  • Une politique de tests aléatoires obligatoires de dépistage d’alcool dans un lieu de travail dangereux pourrait être jugée valable s’il est démontré qu’il s’agit d’une réponse proportionnée à une situation objective et aux préoccupations légitimes de l’employeur quant à la sécurité.
  • Une politique portant sur un test de dépistage administré lors de la survenance d’un accident, pour un motif raisonnable relié à la constatation objective du comportement ou du rendement d’une personne, serait vraisemblablement valide.

Pour réussir le test de la proportionnalité requis par la Cour suprême, l’employeur doit documenter les faits sous-jacents à l’adoption d’une telle politique. Par exemple, il aura intérêt à tenir des statistiques sur le taux élevé d’accidents du travail dans son entreprise causés entre autres par la consommation de drogues ou d’alcool, sur les problèmes de toxicomanie ou d’alcoolisme au sein de son entreprise, de même qu’à établir les risques du milieu de travail.

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