Les professionnels et les établissements sont parfois confrontés au refus d’un mineur à des soins requis par son état de santé, telles les transfusions sanguines. La Cour suprême du Canada a récemment rendu un jugement concernant le droit d’une adolescente de refuser de tels soins1. Dans ce jugement concernant la législation du Manitoba, la Cour traite, notamment, du critère de l’intérêt supérieur de l’enfant et du poids à accorder à son opinion en fonction de sa maturité. Nous analyserons la portée de ce jugement en droit civil québécois.
Au Québec, la notion de consentement aux soins est prévue aux articles 11 à 25 du Code civil du Québec. Pour les mineurs de moins de 14 ans, le consentement aux soins requis par l’état de santé est donné par le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur. Quant au mineur de 14 ans et plus, il peut consentir seul à ses soins. Dans tous les cas, l’autorisation du tribunal est nécessaire lorsqu’il y a un refus de soins.
Au Manitoba, un tribunal ne peut forcer un enfant de 16 ans ou plus à recevoir des soins sauf s’il est convaincu que l’enfant ne peut comprendre les renseignements utiles à la prise de décision ou les conséquences de sa décision. En effet, la Loi sur les services à l’enfant et à la famille2 (ci-après la « Loi ») crée une présomption à l’effet que l’intérêt d’un enfant de 16 ans et plus est mieux servi lorsque ses opinions jouent un rôle déterminant dans la prise de décision. Cette présomption n’existe pas pour les enfants de moins de 16 ans. Ainsi, lorsqu’un enfant de moins de 16 ans ou ses parents refusent un traitement médical essentiel, le tribunal peut autoriser le traitement qu’il juge être dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’arrêt de la Cour suprême du Canada discute de la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi.
LES FAITS
A.C. est âgée de 14 ans et 10 mois lorsqu’elle est admise à l’hôpital pour des saignements causés par la maladie de Crohn. Elle est Témoin de Jéhovah et a rédigé une « directive médicale préalable » indiquant qu’en aucun cas elle doit recevoir de transfusion sanguine.
Le lendemain de son admission à l’hôpital, elle est évaluée en psychiatrie. Le rapport préparé par trois psychiatres conclut qu’A.C. n’a pas de maladie psychiatrique et qu’elle comprend la nécessité d’une transfusion ainsi que les conséquences du refus de transfusion.
Quelques jours plus tard, elle a de nouveaux saignements internes et son médecin souhaite lui donner une transfusion sanguine, ce qu’elle refuse. Suite à ce refus, le Directeur des services à l’enfant et à la famille (ci-après le « Directeur »), qui est l’équivalent au Québec du Directeur de la protection de la jeunesse, détermine qu’elle est une enfant ayant besoin de protection en vertu de la Loi et demande au tribunal de rendre une ordonnance afin d’autoriser le personnel médical à administrer les transfusions sanguines.
La Loi prévoit que le tribunal peut autoriser des traitements médicaux qu’il juge dans l’intérêt de l’enfant. Toutefois, pour un enfant de 16 ans et plus, il ne peut rendre une telle ordonnance sans son consentement, sauf si ce dernier n’a pas la maturité requise pour comprendre la décision et en évaluer les conséquences.
Le juge de première instance a autorisé les transfusions sanguines. La preuve médicale a démontré que l’absence de transfusion pouvait entraîner des conséquences graves et même la mort. Il a présumé qu’A.C. avait la capacité de prendre une décision à cet égard. Toutefois, selon lui, la capacité n’a aucune pertinence quant à la décision qu’il doit prendre puisque, pour une enfant de moins de 16 ans, il n’existe aucune restriction législative au pouvoir du tribunal d’autoriser des traitements médicaux qu’il juge être dans l’intérêt de l’enfant.
Suite à ce jugement, A.C. a reçu 3 unités de sang et elle s’est rétablie. Malgré l’exécution du jugement, A.C. et ses parents ont porté le jugement en appel.
La Cour d’appel du Manitoba a confirmé le jugement de première instance. Selon la Cour d’appel, la Loi supplante les principes de common law applicables aux « mineurs matures » et habilite le tribunal à décider du traitement médical des enfants de moins de 16 ans, jouissant ou non de la capacité décisionnelle, en fonction du critère de l’intérêt de l’enfant. Les juges ont réitéré que le débat ne portait pas sur la capacité ou non de l’enfant à prendre une telle décision.
LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME
Devant la Cour suprême, A.C. et ses parents invoquent que les paragraphes 25(8) et (9) de la Loi sont inconstitutionnels puisqu’ils portent atteinte aux droits à la liberté de conscience et de religion, à la vie, la liberté et la sécurité de sa personne et d’être traité avec égalité et sans discrimination conférés par la Charte canadienne des droits et libertés.
A.C. soutient qu’il est inconstitutionnel de priver les moins de 16 ans de la possibilité de prouver qu’ils possèdent une maturité suffisante pour décider de leurs traitements médicaux. Si la Loi lui permettait de démontrer qu’elle possède la maturité suffisante, il n’y aurait pas de discrimination. La Cour suprême devait déterminer si le régime législatif offre un équilibre constitutionnel entre le droit fondamental de la personne de prendre seule des décisions qui concernent son corps et, d’autre part, la protection des enfants vulnérables.
Contrairement aux prétentions d’A.C. et de ses parents, la Cour suprême est d’avis que la Loi permet aux mineurs de moins de 16 ans de démontrer qu’il serait dans leur intérêt que leur opinion soit prise en considération étant donné leur maturité suffisante et une indépendance d’esprit3.
L’objectif fondamental de la Loi est de protéger les enfants qui forment un groupe très vulnérable. Il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que les tribunaux respectent et favorisent son autonomie lorsque sa maturité le commande. Ainsi, en interprétant le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant de manière à accorder une certaine autonomie en fonction de la maturité, on concilie le droit de l’adolescent à l’autonomie et l’intérêt de la société de veiller à la protection des enfants.
Conséquemment, plus un tribunal sera convaincu que l’enfant est capable de prendre lui-même des décisions de façon mature et indépendante, plus il accordera de poids à ses opinions. En résumé, selon la majorité, il est arbitraire de priver un adolescent de moins de 16 ans de la possibilité de démontrer qu’il possède une maturité suffisante. Toutefois, l’interprétation correcte du critère de l’intérêt prévu à la Loi permet aux jeunes de se prévaloir, selon leur degré de maturité, de leur droit à l’autonomie décisionnelle. Ce résultat reflète une réponse proportionnée qui tient compte de l’objectif de protection des enfants vulnérables tout en respectant l’individualité et l’autonomie de ceux qui sont suffisamment matures pour décider d’un traitement médical particulier.
APPLICATION EN DROIT CIVIL QUÉBÉCOIS
Il est maintenant bien établi en droit québécois qu’une personne majeure apte peut refuser un traitement qui est requis par son état de santé. Ce refus doit être respecté même s’il est déraisonnable et qu’il peut entraîner des séquelles importantes ou même la mort4 R.J.Q. 229 (C.A.).]. En ce qui concerne les mineurs de moins de 14 ans, le consentement aux soins requis par l’état de santé est donné par le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur. Un mineur de 14 ans et plus peut, quant à lui, consentir seul à ses soins5. En cas de refus à de tels soins, l’autorisation du tribunal est requise pour pouvoir les prodiguer contre son gré.
Ainsi, bien que le Code civil du Québec reconnaisse une certaine capacité au mineur âgé de 14 ans et plus, la portée de son autonomie est limitée puisque le tribunal peut y passer outre s’il juge que la décision du mineur n’est pas dans son intérêt.
Le tribunal saisi d’une requête en autorisation de soins doit considérer l’avis de la personne à qui l’on veut imposer des soins6. D’ailleurs, l’article 34 du Code civil du Québec confirme cette obligation en imposant au tribunal l’obligation de donner à l’enfant la possibilité d’être entendu si son âge et son discernement le permettent. De plus, toute décision touchant un enfant doit être prise dans son intérêt et dans le respect de ses droits7. Il nous apparaît donc possible que l’intérêt d’un mineur puisse, en certains cas, exiger le respect de sa volonté de ne pas recevoir certains traitements médicaux.
Étant donné les obligations du tribunal de considérer l’avis d’un mineur et de prendre toute décision dans son intérêt, la décision de la Cour suprême dans l’affaire A.C., bien qu’émanant d’une province de common law, pourrait trouver application au Québec. La Cour supérieure devrait donc, non seulement considérer l’opinion d’un mineur, mais également évaluer sa maturité afin de donner un juste poids à cette opinion lors de la prise de décision.
Soulignons par contre que, bien que le tribunal soit dans l’obligation d’entendre les représentations du mineur âgé de 14 ans et plus, il n’y a rien qui le contraigne à respecter la décision du mineur. En fait, à l’étape du débat judiciaire, le pouvoir décisionnel n’appartient plus au mineur âgé de 14 ans et plus ou au titulaire de l’autorité parentale, mais bien au tribunal8 R.J.Q. 816 (C.S.);
Hôpital Sainte-Justine c. Giron, REJB 2002-32270 (C.S.).]. Dans l’état actuel du droit québécois, peu importe sa maturité, le droit à la vie du mineur âgé de 14 ans et plus prévaut sur le droit à son intégrité physique et sa liberté de religion et ce, jusqu’à l’atteinte de sa majorité.
Soulignons que le mineur âgé de moins de 14 ans ne peut absolument pas refuser seul les soins requis par son état de santé. En effet, un tel refus n’a aucun effet puisque les soins peuvent lui être prodigués uniquement avec le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou de son tuteur ou, en cas d’empêchement ou de refus injustifié, avec l’autorisation du tribunal.
Le choix législatif au Québec de fixer à 14 ans l’âge minimal pour la prise de décision relativement aux traitements médicaux résulte d’un compromis d’ordre politique. Les motifs au soutien d’une telle décision découlent de la nécessité d’accorder une protection particulière aux enfants 4 étant donné leur vulnérabilité, tout en reconnaissant une certaine autonomie décisionnelle aux mineurs ayant acquis une certaine maturité. Au Québec toutefois, le législateur est allé plus loin en permettant au tribunal de passer outre au refus du mineur de 14 ans et plus9, malgré la capacité qui lui est reconnue par le Code civil du Québec.
Ainsi, dès que le refus de soins d’un mineur est médicalement déraisonnable, les professionnels et les établissements doivent effectuer toutes les démarches appropriées afin de s’assurer qu’un tribunal soit saisi le plus rapidement possible du dossier. Ils ne doivent donc pas demeurer passifs devant le refus d’un mineur âgé de 14 ans et plus et ce, particulièrement lorsque son refus menace son intégrité, sa santé ou sa vie, sous peine d’engager leur responsabilité civile ou professionnelle.