L’hypothèque légale de la construction constitue une arme redoutable dont bénéficient les personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble. Pour s’en convaincre, nous n’avons qu’à rappeler que cette hypothèque a priorité sur toute hypothèque conventionnelle même si cette dernière a été publiée avant l’hypothèque légale de la construction.
Le créancier bénéficiaire de ce type d’hypothèque légale sur votre immeuble peut être un soustraitant ou un fournisseur de matériaux avec qui vous n’avez aucun lien de droit. Grâce aux recours hypothécaires dont il bénéficie, il peut demander que votre immeuble soit vendu en justice ou le prendre en paiement libre de toute hypothèque même si votre immeuble a une valeur beaucoup plus élevée que celle de la créance protégée
En conséquence, il est important de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter l’inscription de ce type d’hypothèque sur votre immeuble. Si vous n’avez pu l’éviter, le législateur a prévu quelques mécanismes de protection pour les propriétaires. Parmi ces mécanismes, il existe la possibilité de substituer l’hypothèque par une autre sûreté jugée suffisante pour garantir le paiement1.
Une décision récente sur le sujet a été rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Brouillette-Paradis (Paysage Paradis) c. Boisvert2. Dans sa décision, la Cour confirme que le dépôt au greffe d’une somme d’argent peut constituer une sûreté suffisante susceptible de remplacer une hypothèque légale de la construction.
Dans cette affaire, Paysage Paradis avait inscrit une hypothèque légale de la construction sur l’immeuble d’un propriétaire pour garantir le paiement de deux factures totalisant 10 699,03$. Il avait par la suite donné un préavis d’exercice avisant le propriétaire qu’il demanderait la prise en paiement de l’immeuble si le propriétaire faisait défaut de satisfaire à la réclamation à l’intérieur du délai imparti.
Afin de contrer les effets néfastes de cette hypothèque sur son immeuble, le propriétaire a demandé au tribunal de l’autoriser à faire radier l’hypothèque légale de Paysage Paradis sur preuve du dépôt au greffe d’un montant de 12 000$.
Le juge de la Cour du Québec a accepté la substitution de garantie, a jugé suffisante la somme de 12 000$ et a autorisé la radiation de l’hypothèque. Le juge de première instance a aussi indiqué qu’il considérait que Paysage Paradis avait abusé de son droit en entreprenant des procédures visant la prise en paiement d’un immeuble d’une valeur de plus d’un million de dollars alors qu’il ne détenait qu’une créance de 10 699,03$. Pour le juge, cette procédure était excessive et déraisonnable car elle avait comme seul but de s’enrichir ou de mettre de la pression sur le propriétaire pour qu’il paie le montant réclamé, lequel faisait l’objet de contestation.
Paysage Paradis a porté cette décision en appel.
La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance en indiquant que le dépôt au greffe d’une somme d’argent peut constituer une sûreté suffisante susceptible de remplacer une hypothèque légale de la construction. Elle a considéré qu’un tel dépôt constituait une hypothèque mobilière avec dépossession offrant l’équivalent des garanties d’une hypothèque légale de la construction. Elle a rappelé qu’« en matière de substitution de sûretés, la règle impose que la garantie offerte en remplacement puisse placer le créancier dans une situation de sécurité équivalente à celle dans laquelle il se trouve avant la substitution. »
Toutefois, la Cour d’appel a conclu que la somme de 12 000$ n’était pas suffisante et qu’une garantie à la hauteur de 15 000$ était nettement plus appropriée. La Cour a rappelé les principes qu’elle avait émis dans l’affaire Développement Tanaka c. Commission scolaire de Montréal3. En matière de substitution de garantie, le montant offert doit être suffisant pour couvrir :
• la créance en capital;
• les intérêts;
• les indemnités additionnelles pour une période de temps adéquate; et
• les frais.
Finalement, la Cour d’appel a jugé que le juge de première instance avait erré en reprochant à Paysage Paradis d’avoir abusivement choisi le recours de la prise en paiement. En fait, elle a rappelé que les recours hypothécaires, quels qu’ils soient, ont pour effet de créer de la pression sur les propriétaires et les autres créanciers. Le Code civil du Québec offre plusieurs recours possibles aux créanciers hypothécaires et le législateur les a laissés entièrement libres d’opter pour l’un ou pour l’autre. Par conséquent, la Cour a conclu qu’« en principe, les tribunaux n’ont pas à s’immiscer dans ce choix ». Le fait que la valeur de l’immeuble soit nettement plus élevée que la valeur de la créance n’empêchait pas Paysage Paradis de choisir le recours en prise en paiement de l’immeuble.
En conclusion, nous vous rappelons, que pour être jugée suffisante, une sûreté devra remplir plusieurs conditions et sera appréciée selon les circonstances propres à chaque affaire. La sûreté proposée en remplacement doit offrir une sécurité équivalente à celle d’une hypothèque légale. Dans le passé, ont été jugés suffisants une garantie bancaire, une lettre de crédit irrévocable, un dépôt de sommes d’argent auprès d’une société en fiducie et un cautionnement.
Pour en connaître plus sur les principes concernant l’hypothèque légale de la construction, nous vous invitons à revoir notre chronique d’avril 2008 intitulée : « Vigilance quant aux hypothèques légales des sous-fournisseurs » qui est publiée sur notre site internet.