Tout donneur d’ouvrage qui lance un appel d’offres public souhaite obtenir des soumissions d’entreprises sérieuses et ayant de l’expérience. Il pourrait être tentant de vouloir exclure du processus d’appel d’offres un soumissionnaire dont un contrat a été résilié en raison de manquements à ses obligations contractuelles.
La Cour d’appel a eu à se prononcer sur ce genre de critère d’admissibilité.
Dans l’affaire Entreprise P.S. Roy inc. c. Ville de Magog (2013 QCCA 617), la ville a publié un appel d’offres pour des services de déneigement. Pour être admissibles à soumissionner, les soumissionnaires ne devaient pas avoir, dans les cinq dernières années, fait l’objet d’une résiliation de contrat par une autre municipalité pour cause de non-respect des obligations prévues dans le contrat.
Entreprise P.S. Roy inc., deuxième plus bas soumissionnaire, a contesté la conformité de la soumission du plus bas soumissionnaire ABC Excavation puisque ce dernier avait fait l’objet d’une résiliation de contrat par une autre municipalité au cours des cinq dernières années.
Suite à l’obtention d’un avis juridique, la ville a conclu que sa clause d’admissibilité était inapplicable et elle a octroyé le contrat à ABC Excavation.
Entreprise P.S. Roy inc. s’est donc adressée aux tribunaux afin d’obtenir l’annulation du contrat octroyé à ABC Excavation. La Cour supérieure a rejeté son recours et la Cour d’appel a maintenu ce jugement.
L’arrêt de la Cour d’appel dans cette affaire est intéressant pour les organismes publics puisque la Cour souligne :
« [44] J’estime qu’une règle fermée à toute mesure d’évaluation de l’expérience du soumissionnaire, même pour un donneur d’ouvrage qui est un corps public, est trop limitative pour la saine concurrence. Alors qu’elle était juge à la Cour supérieure, ma collègue la juge Thibault a expliqué succinctement la pertinence de principe de l’expérience dans Dan-my inc. c. Ministère des transports[7], « l’exécution antérieure déficiente est, sans conteste, un fait qu’il est approprié de considérer lors de l’adjudication d’un contrat ». Une condition cherchant à mesurer l’expérience des soumissionnaires est non seulement pertinente, mais elle peut validement être imposée dans le respect du principe de l’égalité des soumissionnaires lorsque, étant énoncée dans l’appel d’offres, elle est publique et applicable de manière transparente à tous[8].»
Toutefois, la Cour d’appel prend bien soin d’ajouter que le pouvoir de stipuler des conditions d’admissibilité n’est pas illimité. Ces conditions doivent respecter le principe du libre accès aux contrats des organismes publics.
À propos de la clause d’admissibilité incluse aux documents d’appel d’offres de la Ville de Magog, la Cour d’appel est d’avis qu’il s’agit là d’un critère inadéquat. La ville ne pouvait exclure un soumissionnaire sur la base d’une décision prise par un tiers, d’autant plus qu’elle ne connaissait pas la trame factuelle en lien avec cette résiliation et qu’elle ne donnait pas l’opportunité au soumissionnaire de faire valoir sa version des faits. Selon la Cour, le critère établi par la ville ne permettait pas d’évaluer la fiabilité d’un soumissionnaire.
Elle statue que le critère d’admissibilité de la ville porte atteinte au principe de l’accès aux marchés publics et qu’il s’agit d’un critère arbitraire.
Fait également intéressant, la Cour confirme que la ville pouvait invoquer l’illégalité de sa propre condition d’admissibilité afin de justifier sa décision d’octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire.
Elle confirme donc l’adjudication du contrat à ABC Excavation.
Il faut retenir de cet arrêt qu’il est possible d’élaborer des critères afin d’évaluer la fiabilité ou le sérieux d’un soumissionnaire, mais que ces critères ne doivent pas être arbitraires ou reposer sur une décision d’un tiers.
Cet arrêt ne remet pas en question la possibilité pour un organisme public d’exclure du processus d’appel d’offres tout soumissionnaire, qui au cours des deux années précédant la date d’ouverture des soumissions, a reçu de lui une évaluation de rendement insatisfaisant ou a fait l’objet d’une résiliation de contrat en raison de son défaut de respecter ses obligations contractuelles. En effet, les règlements adoptés en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics (L.R.Q., c. C-65.1) prévoient expressément que les organismes publics peuvent établir cette condition d’admissibilité à soumissionner. Par ailleurs, contrairement au critère établi par la Ville de Magog dans la décision citée précédemment, le critère autorisé par les règlements repose sur l’évaluation ou une décision de l’organisme qui émet l’appel d’offres, et non sur celle d’un tiers. Il ne peut donc être question d’un critère arbitraire dans ces circonstances.