La Cour supérieure a décidé, dans le jugement Ed Brunet et Associés Canada inc. c. Centre hospitalier des Vallées de l’Outaouais1, que l’ambiguïté des documents d’appel d’offres n’était pas un motif valable pour annuler un appel d’offres.
LES FAITS
Dans cette affaire, le Centre hospitalier des Vallées de l’Outaouais («CHVO») a mandaté une société d’architectes afin que ces derniers préparent un appel d’offres en vue d’octroyer un contrat de construction pour le projet « sécurité vétusté». Les architectes devaient préparer les documents d’appel d’offres en y intégrant les documents standards du ministère de la Santé et des Services sociaux («MSSS») qui prévoient que le prix soumis doit inclure toutes les taxes applicables. Les documents d’appel d’offres publiés en juin 2002 contenaient plutôt les documents normalisés de la Corporation d’hébergement du Québec («CHQ») qui prévoient que le prix soumis doit être sans taxes puisque la CHQ bénéficie d’une exemption. Cette même exigence (prix sans taxes) a également été reprise à la clause 1.1 des «Conditions générales complémentaires » préparées par les architectes.
Suite à la découverte de l’erreur commise par les architectes, un addenda est émis afin de remplacer les documents normalisés de la CHQ par ceux du MSSS. Toutefois, les architectes oublient de modifier la clause 1.1 des «Conditions générales complémentaires ».
L’information contradictoire figurant aux documents d’appel d’offres a eu pour effet que certaines soumissions ont été déposées avec un prix incluant les taxes et que d’autres ne les incluaient pas.
Lors de l’ouverture des soumissions, Ed Brunet et Associés Canada inc. («Ed Brunet») est le plus bas soumissionnaire ayant déposé un prix incluant les taxes mais non celui présentant le plus bas prix.
Après avoir consulté un avocat quant à la marche à suivre dans les circonstances, le CHVO a proposé, dans l’ordre, aux premier et deuxième plus bas soumissionnaires ayant soumis un prix sans taxes, de leur offrir le contrat au prix soumis, s’ils acceptaient d’assumer eux-mêmes les taxes. Les deux soumissionnaires ont refusé.
Croyant faire face à une impasse, le CHVO a annulé l’appel d’offres.
À l’automne 2002, le CHVO a lancé un nouvel appel d’offres pour le même projet. Les documents d’appel d’offres incorporaient les documents normalisés du MSSS sans l’article 1.1 des «Conditions générales complémentaires » qui avait causé la confusion lors du premier appel d’offres.
Suite à l’ouverture des soumissions, Ed Brunet s’est vu octroyer le contrat puisqu’elle présentait la plus basse soumission conforme. La demanderesse a soumissionné à un prix plus bas que lors du premier appel d’offres.
Ed Brunet poursuit le CHVO et réclame sa perte de profits et les dommages subis suite à l’annulation du premier appel d’offres pour lequel elle avait présenté la plus basse soumission conforme.
Dans le cadre de ce recours, la Cour supérieure a dû répondre à deux questions, soit :
1. Le CHVO était-il justifié d’annuler le premier appel d’offres?
2. Les dommages réclamés découlaient-ils de l’annulation du premier appel d’offres?
LE JUGEMENT
La Cour estime que le CHVO était malvenu de tenter de forcer certains soumissionnaires à signer un contrat au prix de leur soumission incluant les taxes alors qu’elles n’avaient pas été comptabilisées dans le prix des soumissions, d’autant plus que l’imbroglio a été causé par les mandataires du CHVO, soit ses architectes.
De plus, après avoir essuyé le refus de deux soumissionnaires, le CHVO aurait dû offrir le contrat à la demanderesse qui était le plus bas soumissionnaire conforme.
Selon la Cour, le CHVO n’avait aucun motif valable pour procéder à l’annulation du premier appel d’offres et la demanderesse aurait dû obtenir le contrat.
La preuve a démontré que la demanderesse a réalisé moins de profits avec le contrat qui lui fut octroyé que si elle avait obtenu le contrat suite au premier appel d’offres.
La Cour considère toutefois que la compagnie Ed Brunet, en choisissant de soumissionner sur le deuxième appel d’offres, a renoncé à tous ses recours contre le CHVO suite à l’annulation du premier appel d’offres. En faisant le choix de soumissionner une deuxième fois, la demanderesse a accepté d’assumer les risques et les conséquences, soit de renoncer à invoquer les irrégularités pouvant découler de l’annulation du premier appel d’offres.
La Cour souligne que la demanderesse ne pouvait s’attendre à gagner sur tous les fronts. Elle ne pouvait espérer récupérer les profits qu’elle aurait réalisés si elle avait obtenu le contrat suite au premier appel d’offres en plus de ceux générés par le contrat qu’elle a effectivement obtenu. La perte de profits de la demanderesse résulte de sa propre décision d’avoir soumis un prix plus bas lors du deuxième appel d’offres que celui inclus dans sa première soumission.
CONCLUSION
Deux aspects forts importants doivent être retenus de ce jugement.
D’abord, l’annulation de l’appel d’offres n’est pas une solution face à des documents d’appel d’offres ambigus. En présence de documents d’appel d’offres contenant de l’information contradictoire, ils doivent être interprétés en faveur des soumissionnaires. De plus, le donneur d’ouvrage ne peut se soustraire à ses obligations en annulant l’appel d’offres pour en refaire un nouveau. Ce jugement illustre à quel point la préparation des documents d’appel d’offres est importante et ne peut être prise à la légère. Une relecture attentive, par une autre personne que le rédacteur, peut permettre de déceler des contradictions avant la publication des documents d’appel d’offres.
L’autre élément à retenir est qu’un soumissionnaire qui présente une soumission en réponse à un deuxième appel d’offres sur le même objet renoncerait à réclamer des dommages en raison de l’annulation du premier appel d’offres. À l’inverse, un soumissionnaire qui choisirait de ne pas participer à un deuxième appel d’offres pourrait réclamer sa perte de profits suite à l’annulation du premier appel d’offres sans motif valable. Si ce soumissionnaire avait gain de cause, le donneur d’ouvrage serait donc tenu de lui verser des dommages et ce, en plus de payer le soumissionnaire ayant obtenu le contrat suite au deuxième appel d’offres. L’annulation d’un appel d’offres sans motif valable peut s’avérer très coûteux pour le donneur d’ouvrage.
Comme ce jugement fait l’objet d’un appel, il sera intéressant de voir si la Cour d’appel maintiendra les conclusions du juge de première instance. À suivre.