La Cour d’appel a rendu plusieurs arrêts en matière d’appel d’offres depuis le début de l’année 2013. Nous en avons résumé trois qui sont susceptibles de vous intéresser.

ÉVALUATION DE RENDEMENT INSATISFAISANT

Consultants Aecom inc. c. Société immobilière du Québec, 2013 QCCA 52

Les faits

Dans cette affaire, Consultant Aecom inc. (« Aecom ») a conclu avec la Société immobilière du Québec (« SIQ ») un contrat de services professionnels pour la fourniture de services de génie civil du bâtiment dans le cadre de travaux d’agrandissement et de réaménagement de l’urgence de l’Hôtel-Dieu de Lévis.

L’entrepreneur général chargé des travaux de construction a transmis à la SIQ un avis de réclamation de plus de 11 000 000,00 $ pour des coûts supplémentaires engendrés par des problèmes d’ingénierie qu’il attribuait à Aecom. Suite à la réception de cet avis, la SIQ a résilié le contrat d’Aecom sans indiquer les raisons de cette résiliation et a complété une évaluation de rendement insatisfaisant, en conformité avec les dispositions du Règlement sur les contrats de services des organismes publics, L.R.Q., c. C-65.1, r. 4 (« Règlement »). Aecom a manifesté son désaccord avec cette évaluation.

Dans trois appels d’offres subséquents, la SIQ a inséré une clause dans les Instructions aux soumissionnaires prévoyant que pour être admissible, le soumissionnaire ne devait pas avoir fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant de la SIQ au cours des deux années précédant la date d’ouverture des soumissions. Aecom a soumissionné lors de ces appels offres et sa candidature a été rejetée en vertu de cette clause.

Aecom a intenté un recours en injonction interlocutoire afin de demander, entre autres, que l’évaluation de rendement insatisfaisant rédigée par la SIQ soit annulée. De plus, elle demandait que la Cour déclare que la SIQ ne pouvait pas rejeter sa candidature lors des trois appels d’offres suivant l’évaluation négative.

La Cour supérieure a rejeté le recours et Aecom a porté ce jugement en appel.

Arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel a confirmé la conclusion de la juge de première instance à l’effet que la résiliation du contrat, même si l’avis n’indiquait aucun motif, était une résiliation avec motifs. Aecom plaidait en effet qu’en l’absence de motifs de résiliation, il ne pouvait y avoir rédaction d’une évaluation négative. Pour conclure à une résiliation avec motifs, la Cour d’appel a notamment considéré les avis d’insatisfaction écrits que l’organisme public avait envoyés à Aecom pendant les travaux.

La Cour d’appel a par ailleurs indiqué que rien dans les textes législatifs ne permettait de conclure à l’incompatibilité juridique entre une résiliation sans cause et une évaluation de rendement insatisfaisant.

Elle était d’avis qu’Aecom avait droit de recourir à l’injonction en raison de l’article 8 du Règlement. Cet article énonce qu’un organisme public peut se réserver la possibilité de refuser tout prestataire de services qui fait l’objet d’une telle évaluation. Or, l’organisme public en avait fait une cause de rejet automatique, sans discrétion aucune, ce qui était plus restrictif que l’article 8 du Règlement.

Acom plaidait ensuite qu’elle subissait un préjudice sérieux et irréparable puisqu’elle serait privée de son droit de soumissionner auprès de la SIQ pendant une période de deux ans. Selon la Cour d’appel, « [l]e processus d’évaluation de rendement et les conséquences qui y sont liées ont été mises en place dans un but de protection du public. En cas de doute, il est préférable de privilégier l’intérêt public à l’intérêt privé, comme l’a fait la juge de première instance. » (Paragraphe 52)

Par conséquent, même si la Cour d’appel était d’avis qu’Aecom pouvait recourir à l’injonction pour faire valoir ses droits, son recours devait être rejeté puisque l’intérêt public devait être privilégié.

L’évaluation de rendement insatisfaisant d’Aecom a donc été maintenue.

La Cour n’a donc pas déclaré, comme le souhaitait Aecom, que la SIQ n’était pas bien fondée de la déclarer inadmissible lors de ses appels d’offres subséquents.

OUVERTURE PRIVÉE D’UNE SOUMISSION

Canada (Procureur général) c. Constructions Bé-Con inc., 2013 QCCA 665

Les faits

Dans cette affaire, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« Travaux publics ») a publié un appel d’offres pour la réalisation de travaux de stabilisation et de restauration de la Terrasse Dufferin à Québec. Les soumissions devaient être déposées avant 14 heures le 28 août 2006. Avant 14 heures, deux soumissions, dont celle de Constructions Bé-Con inc. (« Bé-Con »), ont été déposées. Peu après 14 heures, deux autres soumissions ont été reçues. L’organisme public a procédé à l’ouverture des deux soumissions reçues avant 14 heures. La soumission de Bé-Con était la plus basse. Les deux autres soumissionnaires ont contesté l’exactitude de l’horodateur. Travaux publics a conservé leurs soumissions, sans en prendre connaissance, et a vérifié l’exactitude de l’horodateur. L’organisme public a effectivement constaté que l’horodateur utilisé affichait une avance de deux minutes, de sorte que la soumission d’un des deux retardataires (« Grenier ») était admissible. Une employée de Travaux publics a alors pris connaissance, en privé, de la soumission de Grenier.

Le prix de cette soumission étant inférieur à celui de Bé-Con, Travaux publics lui a donc adjugé le contrat et en a avisé par lettre Bé-Con.

Bé-Con a poursuivi Travaux publics pour sa perte de profits qu’elle évaluait à 245 000 $ en invoquant l’atteinte au principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires puisque l’ouverture de la soumission de Grenier n’avait pas eu lieu en présence de tous les soumissionnaires. La Cour supérieure lui a donné raison et a de plus conclu que les travaux requis demandaient une licence particulière que Grenier ne détenait pas. Elle a accordé à Bé-Con un montant de 190 660,25 $ à titre de perte de profits, même si ce montant était supérieur à l’évaluation des profits identifiée dans sa soumission.

Arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel a réitéré que les documents d’appel d’offres prévoyaient expressément l’ouverture publique des soumissions. Travaux publics a donc rompu l’égalité entre les soumissionnaires en ouvrant en privé la soumission de Grenier.

Selon la Cour d’appel, puisque le contrat de construction n’avait pas encore été adjugé, il aurait suffi de convoquer à nouveau tous les soumissionnaires afin d’ouvrir publiquement la soumission de Grenier.

La violation à la transparence de l’ouverture des soumissions aurait dû amener Travaux publics à rejeter la soumission de Grenier.

En ce qui concerne le défaut de Grenier d’avoir les licences requises pour effectuer les travaux, la Cour d’appel a considéré, contrairement à la juge de première instance, que les licences que détenait Grenier étaient suffisantes.

Malgré cela, l’ouverture de la soumission de Grenier ayant été irrégulièrement effectuée, Travaux publics n’aurait jamais dû la considérer. Le recours en dommages de Bé-Con était bien fondé et l’analyse de la perte de profits faite par la juge de première instance était appropriée. En effet, la Cour d’appel a statué que l’évaluation des profits dans la soumission de Bé-Con n’obligeait pas la Cour à lui accorder ce montant.

LA COUR D’APPEL MAINTIENT LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE CONCERNANT L’ANNULATION D’UN APPEL D’OFFRES LORSQUE LES DOCUMENTS D’APPEL D’OFFRES SONT AMBIGUS. 

Ed Brunet et Associés Canada inc. c. Centre hospitalier des Vallées de l’Outaouais (CHVO), 2013 QCCA 529

En avril 2011, notre cabinet a publié, sous la plume de Me Marie-Noëlle Legault, une chronique sur le jugement de la Cour supérieure dans cette affaire.

Vous vous rappellerez que l’adjudicataire, suite au deuxième appel d’offres, était également le plus bas soumissionnaire conforme lors du premier appel d’offres. Il réclamait sa perte de profits parce que sa soumission au deuxième appel d’offres était plus basse que celle déposée lors du premier appel d’offres. La Cour supérieure avait conclu que le CHVO était justifié de reprendre le processus et qu’en soumissionnant au second appel d’offres, l’entrepreneur renonçait à des dommages même si selon elle, le CHVO avait commis une faute en annulant le premier appel d’offres.

La Cour d’appel a rejeté l’appel de l’entrepreneur, car elle était d’avis que le CHVO n’avait pas commis de faute. Au contraire, il avait agi de bonne foi et dans le but de traiter équitablement tous les soumissionnaires lorsqu’il a repris le processus d’appel d’offres.

Pour revoir en détail les faits de cette affaire, nous vous invitons à consulter la chronique de notre collègue.

Modifications règlementaires

Depuis le 23 mai 2013, les règlements portant sur les contrats de services, d’approvisionnement et de construction des organismes publics ont été modifiés. Brièvement, nous vous soulignons les modifications suivantes :

    • Les conditions de conformité doivent maintenant indiquer:
      • que le dépôt par un soumissionnaire de plusieurs soumissions lors d’un même appel d’offres entraîne le rejet automatique de toutes les soumissions;
      • qu’une soumission est non conforme et doit être rejetée, après autorisation du dirigeant de l’organisme, si elle comporte un prix anormalement bas;
    • L’adjudication du contrat se produit au moment où le choix de l’adjudicataire est effectué;

Le Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics prévoit désormais qu’il est possible pour un organisme public d’évaluer la qualité d’une soumission pour adjuger un contrat à commandes.

À compter du 15 septembre 2013, d’autres modifications concernant la publication des renseignements dans le système public d’appel d’offres entreront en vigueur.

Pour prendre connaissance des changements apportés, vous pouvez consulter les règlements suivants :

    • Règlement modifiant le Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics, D. 432-2013, 24 avril 2013, (2013) 145 G.O. II, 1782.
    • Règlement modifiant le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, D. 431-2013, 24 avril 2013, (2013) 145 G.O. II, 1777.
    • Règlement modifiant le Règlement sur les contrats de services des organismes publics, D. 430-2013, 24 avril 2013, (2013) 145 G.O. II, 1771.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.