La Cour d’appel a rendu mardi dernier la décision J.M. c. Hôpital Jean-Talon du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’île-de Montréal, 2018 QCCA 378, qui deviendra sans nul doute une décision de principe en matière de garde en établissement.

Dans une décision de 46 pages, sous la plume de la juge Marie-France Bich, la Cour d’appel rend un jugement déclaratoire visant à rappeler les balises essentielles à l’intervention des établissements de santé et du corps médical en matière de garde préventive, d’évaluation psychiatrique ou de garde en établissement.

Mise en contexte

Le 17 août 2017, l’appelant est amené à l’hôpital après avoir menacé de mort une inconnue croisée dans un parc. Il est alors mis sous garde préventive en vertu de l’article 7 de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, RLRQ, c. P-38.001 (« L.p.p. »). Une première évaluation psychiatrique est réalisée le 18 août et une seconde, le 21 août. Une demande de garde en établissement pour une durée de 21 jours est signifiée le 22 août et celle-ci est entendue le 24 août 2017.

Dès le début, l’appelant, représenté par ses avocats, a fait valoir l’illégalité de la garde préventive dont la durée aurait dépassé le terme de 72 heures prescrit par l’article 7 L.p.p.. De plus, il allègue que la demande de garde doit être rejetée puisque l’évaluation psychiatrique du 21 août a été réalisée sans son consentement.

Malgré ces arguments, la Cour du Québec autorise la garde pour la période demandée. L’appelant se pourvoit en appel, sans obtenir la suspension de l’exécution provisoire du jugement, et la cause est portée au rôle le 11 septembre 2017. Or, la garde en établissement a pris fin le 8 septembre 2017, d’où le caractère théorique de la décision.

La décision

Après un rappel des principes en matière de droits fondamentaux ainsi que des dispositions applicables en matière de garde en établissement (garde préventive, provisoire ou « régulière »), la Cour d’appel s’attarde sur plusieurs considérations pratiques sur le sujet. Nous aborderons certaines de ces considérations dans la présente chronique.

1. Le consentement

Dans le domaine médical, le consentement donné doit être libre et éclairé. Or, pour déterminer si l’usager consent à subir une évaluation psychiatrique, les professionnels de la santé doivent d’abord vérifier son aptitude à y consentir. En cas de doute, et malgré l’absence de refus de la part de l’usager, un consentement substitué doit être obtenu de la part d’un tiers autorisé. En cas d’opposition de la personne (même s’il y a un consentement substitué) ou en cas de doute sur l’aptitude à consentir d’un usager qui n’a pas de proche pouvant fournir un consentement substitué (même s’il y a consentement apparent de l’usager), une autorisation judiciaire sera alors nécessaire. L’établissement devra donc présenter une demande de garde en vue de subir une évaluation psychiatrique, dite « provisoire » prévue à l’article 27 du Code civil du Québec.

 

Avec ces propos concernant l’aptitude et le consentement, il y a fort à parier qu’il y aura une augmentation des demandes de gardes provisoires.

Par ailleurs, la Cour d’appel rappelle également l’importance d’informer l’usager pour qu’il y ait véritablement un consentement libre et éclairé. Ainsi, en matière de garde en établissement, avant de procéder aux évaluations psychiatriques, la Cour d’appel précise qu’il ne s’agit pas d’une démarche facultative et que les professionnels de la santé doivent fournir l’information requise à l’usager. Notamment, les professionnels doivent expliquer la nature de l’examen, sa raison d’être, le droit de refus et les conséquences découlant d’un refus ou d’un consentement. Il s’agit donc d’une pratique que les établissements doivent s’assurer de mettre en place, si ce n’était déjà fait, et de veiller à sa mise en œuvre efficace.

2. Le contenu des rapports psychiatriques

La Cour d’appel réitère l’importance que les rapports psychiatriques expliquent et justifient la conclusion de la nécessité de la garde, à savoir que la personne représente un danger, soit pour elle-même ou pour autrui. Les rapports doivent décrire explicitement et démontrer le danger qui est appréhendé.

La Cour rappelle que les troubles psychiatriques en eux-mêmes et leurs effets ne sont pas de la connaissance d’office d’une cour de justice. Par conséquent, le simple énoncé d’un trouble spécifique avec un fait troublant, tel les menaces de mort, ne saurait constituer une démonstration suffisante du danger appréhendé. La Cour précise que l’obligation de motivation nécessite ordinairement plus que deux ou trois lignes dans un rapport. Or, la pratique démontre que la plupart des rapports rédigés en vue d’une garde en établissement tiennent sur un formulaire d’une page et bon nombre d’entre eux se contentent d’indiquer le diagnostic et ses symptômes et/ou effets.

Dans une autre décision rendue le même jour, G.D. c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, 2018 QCCA 379, la Cour d’appel souligne que les établissements assument une obligation de vérification et de contrôle du respect des conditions préalables à la demande de garde en établissement. En ce sens, il est donc important pour les établissements de sensibiliser les professionnels de la santé sur cette question et de s’assurer d’obtenir des rapports complets et détaillés.

3. Les délais

Pour bon nombre d’intervenants, tant médicaux que juridiques, œuvrant dans le milieu, le respect des délais prescrits, tant par la L.p.p., que par le Code civil du Québec  et le Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01,  semble incompatible et pratiquement irréalisable.

La Cour d’appel reconnaît qu’il s’agit d’un cadre extrêmement serré, lequel se justifie par le fait qu’il s’agit d’une violation importante du droit à la liberté de la personne, soit l’équivalent d’une incarcération. Cependant, la Cour laisse au législateur la décision ou non de modifier ce cadre législatif et réitère donc qu’il est essentiel de respecter les délais prévus.

Pour illustrer ce cadre temporel, voici un exemple où l’usager est mis sous garde préventive et les différentes étapes qui doivent être réalisées. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un délai maximal dans lequel les évaluations doivent être réalisées, mais c’est l’ensemble du processus qui doit être complété à l’intérieur du délai 72 heures, à moins d’obtenir une garde provisoire.

Si la demande ne peut être présentée dans le délai imparti, il faut soit avoir recours aux exceptions prévues à l’article 7 alinéa 3 de la L.p.p. soit présenter une demande de garde provisoire. À défaut, selon la Cour d’appel, l’usager doit être libéré.

Nous constatons aisément qu’à moins de réaliser deux rapports psychiatriques et de signifier la demande dans la première journée de prise en charge, il s’avère nécessaire de demander à la Cour d’abréger les délais de signification dans le cadre de la demande.

4. Considérations pratiques

Un rapport obtenu sans le consentement libre et éclairé de l’usager devra être rejeté par le juge de la Cour du Québec. Conséquemment, la demande de garde en établissement ne pourra être accordée.

En pratique, dans l’éventualité où un usager alléguait avoir refusé ladite évaluation, le témoignage du psychiatre deviendra essentiel pour contredire cet argument. La Cour d’appel souligne également la pertinence du témoignage des psychiatres lors de la présentation des demandes de garde afin de démontrer et d’expliquer la dangerosité. À cet égard, la Cour soulève la possibilité d’avoir recours à la visioconférence, lorsqu’elle est techniquement possible, permettant ainsi des témoignages à distance.

À défaut de mettre en place une telle pratique pour assurer le témoignage des psychiatres, la rédaction de rapport beaucoup plus détaillé est essentielle. Ainsi, une section sur l’aptitude à consentir et le consentement doit, selon nous, être ajoutée dans le rapport afin que le psychiatre puisse détailler son évaluation de l’aptitude, l’information fournie à l’usager ainsi que tout élément permettant de conclure à son consentement ou, le cas échéant, à l’obtention du consentement substitué. De plus, nous ne pouvons que le répéter, l’explication de la dangerosité doit absolument être des plus détaillée.

Enfin en matière de délais, la Cour souligne que l’abrègement des délais ne doit pas être un automatisme, les établissements devant s’efforcer de respecter les délais prescrits. Le non-respect de ces délais n’entraînera pas nécessairement le rejet d’une demande de garde en établissement. Cependant, les établissements risquent alors de faire face à des recours en responsabilité civile ou encore en habeas corpus, lorsque l’usager n’est pas libéré en temps utile.

Conclusion

Cette décision se veut un réel rappel à l’ordre en ce qui a trait à la pratique entourant les demandes de gardes en établissement. Nul doute que la décision vise à obliger les établissements et le corps médical à revoir et à améliorer certaines pratiques. Ceci étant, et pour citer la Cour d’appel, « il ne s’agit évidemment pas de faire obstacle à de telles ordonnances ou de dissuader les médecins et les établissements de santé d’y recourir, mais plutôt de s’assurer que ces mesures privatives de liberté soient le fruit d’une démarche conforme en tous points aux prescriptions législatives ».

L’équipe de droit de la santé de Monette Barakett est toujours disponible pour vous épauler dans la mise en œuvre de ces changements.

 

 

 

 

 

 

 

 

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