La gestion de la liste de garde dans les établissements s’avère souvent un exercice complexe qui peut donner lieu à certaines frictions. L’article 189 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.S.S.S.S.)1 prévoit qu’il revient au chef de département de faire la liste de garde et de veiller à son application. Préalablement, le conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) fait des recommandations sur les obligations rattachées à la jouissance des privilèges notamment, la participation obligatoire à la garde et élabore les modalités du système de garde (article 214 L.S.S.S.S.).
La participation obligatoire du médecin aux activités cliniques de l’établissement, y compris la garde, est généralement prévue dans les règlements de l’établissement, du département ou du CMDP. Elle se rattache ainsi à la jouissance des privilèges du médecin. Le non-respect de la liste de garde peut donc être sanctionné conformément aux dispositions de la L.S.S.S.S.
Qu’en est-il lorsqu’un médecin se voit retirer de la liste de garde en raison d’un comportement inadéquat ou suite à de trop nombreuses indisponibilités? La Cour supérieure s’est récemment posé la question dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire visant à obliger le chef de département à accorder des semaines de garde en soins de courte durée au médecin demandeur.2
La prétention du médecin était que l’établissement avait modifié ses privilèges sans suivre les formalités légales. L’établissement lui avait accordé les privilèges suivants : « Médecine générale; Clinique externe d’urgence; Lecture et interprétation d’ÉCG ».
À l’inverse, l’établissement soutenait que l’attribution des gardes relevait de la discrétion du chef de département et qu’elle ne constituait pas un privilège.
Au chapitre des faits, le demandeur participait aux gardes jusqu’à ce que différentes plaintes soient acheminées au directeur des services professionnels (DSP). Notamment, plusieurs médecins ne désiraient plus se voir attribuer une garde la semaine suivant celle du demandeur. Par ailleurs, un rapport du médecin examinateur soulignait que le demandeur avait commis certaines erreurs, par exemple, avoir donné congé à un patient alors qu’il présentait des résultats anormaux. Le médecin examinateur notait de plus un malaise entre confrères en raison de cette situation particulière.
Subséquemment, le demandeur s’est vu confier à nouveau une semaine de garde, après de nombreuses négociations et une période de quinze mois sans avoir été assigné sur la liste. En effet, trois médecins avaient accepté d’être de garde la semaine suivant la sienne. Cependant, dès la fin de sa semaine de garde, les plaintes ont été nombreuses et l’intervention de l’assistantchef de département a à nouveau été sollicitée. La coordonnatrice des services infirmiers a également indiqué de nombreux problèmes relativement à la conduite du demandeur, telles des interventions verbales désobligeantes et désagréables envers le personnel et les usagers ainsi que des visites tardives aux usagers.
Après avoir analysé les textes légaux applicables, le juge Landry constate que la façon dont le demandeur a été retiré de la liste de garde ne respecte ni la procédure prévue pour l’imposition de sanctions administratives ni celle prévue pour l’imposition d’une suspension de privilèges. Toutefois, procédant à la qualification de la décision du chef de département de ne pas inscrire le nom du demandeur sur la liste de garde, le tribunal est d’avis que le chef a agi dans le cadre de l’administration journalière de son département en fonction des besoins et des disponibilités des médecins. Il peut choisir les médecins qu’il inscrit sur cette liste en tenant compte de leurs habiletés à exécuter les gardes ou même de leurs habiletés à travailler en harmonie avec le personnel infirmier et ses autres collègues médecins. Le Tribunal conclut que le droit du demandeur d’exiger des périodes de garde n’est ni clair ni apparent.
Se penchant sur le critère de la balance des inconvénients afin de compléter son analyse sur l’opportunité d’accorder l’injonction, le Tribunal est d’opinion que le seul inconvénient subi par le demandeur est une diminution d’honoraires pouvant être compensée par des dommages et intérêts. Quant à l’établissement cependant, considérant l’obligation du chef de département d’assurer un fonctionnement harmonieux et efficace de son département, il appert que les nombreuses plaintes reçues et le malaise ressenti font pencher la balance des inconvénients en faveur de l’établissement. Rappelant que l’injonction est un remède discrétionnaire, le Tribunal conclut qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans l’attribution des gardes, fonction qui relève du chef de département.
Dans cette décision, rendue au stade interlocutoire3, le Tribunal confirme le rôle de premier plan du chef de département lors de la confection de la liste de garde. Cette décision rappelle surtout qu’il n’appartient pas au Tribunal de s’ingérer dans la gestion interne de l’établissement lorsque celle-ci se fait selon les règles de l’art. Bref, si nous devions résumer la décision en quelques mots : la garde serait généralement une obligation rattachée aux privilèges, mais non un privilège rattaché aux obligations. L’avenir nous indiquera si cette opinion sera partagée par d’autres décideurs.