Nul employeur n’est à l’abri de recevoir une plainte contenant des allégations de harcèlement psychologique. Que la plainte semble à première vue fondée ou non, l’employeur doit rapidement entreprendre une enquête. En effet, malgré les mesures qui peuvent être prises par les employeurs afin de prévenir de telles situations, aucune formule n’existe pour se prémunir contre toutes les éventualités.
Dans une décision interlocutoire, le commissaire Alain Turcotte rappelait que l’employeur ne peut avoir accès aux informations recueillies lors de l’enquête de la Commission des normes du travail («CNT»). En effet, dans Girouard c. Ville de Rosemère1 , l’employeur tentait d’obtenir une ordonnance, par le biais d’une requête à la Commission des relations du travail («CRT»), afin que lui soit dévoilé au préalable le contenu de l’enquête effectuée par la CNT. La CRT a refusé cette demande, soulignant notamment que les obligations imposées par la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 («LNT») ainsi que la politique de la Ville font en sorte que celle-ci devrait déjà être au courant des faits contenus dans la plainte puisqu’elle devait faire une enquête. Selon la CRT, l’enquête de la CNT a pour but de vérifier s’il y a lieu de déférer la plainte à un procureur et juger de son caractère sérieux. Le contenu de cette enquête administrative ne peut être dévoilé à l’employeur. Le refus de fournir le rapport de la CNT ne viole pas le droit de l’employeur à une défense pleine et entière.
Souvent, les informations fournies lors du dépôt d’une plainte se limiteront à bien peu de choses et un employeur ne peut se satisfaire de vagues renseignements.
Lorsqu’une telle plainte est logée, que ce soit en vertu d’une convention collective, d’une politique, de la LNT, de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, ou même de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, il est essentiel pour l’employeur de procéder avec diligence à une enquête concernant les allégations de harcèlement psychologique.
Rappelons que la nécessité de faire enquête tire sa source des obligations prévues à la LNT. L’article 81.19 prévoit que :
«Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.»
Ainsi, l’employeur a la double obligation de prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’il est porté à sa connaissance, de le faire cesser.
Comment faire cesser une situation dont l’employeur ignore totalement la teneur ? La clé résulte en un processus d’enquête bien ficelé.
Les dossiers de harcèlement psychologique sont souvent complexes et coûteux, tant financièrement qu’émotivement. La nécessité que l’employeur fasse promptement la lumière sur la situation est d’autant plus évidente que seuls les employeurs bien outillés pourront surmonter la tempête qui pourrait survenir.
Les employeurs croient parfois que si la CNT est saisie d’une plainte ou qu’il y a eu dépôt d’un grief, il reviendra nécessairement à un tiers de décider s’il y a présence ou non de harcèlement psychologique et qu’une enquête n’est pas requise. Gare à cette équation erronée car, considérant les obligations qui lui échoient, l’employeur ne peut attendre le résultat et rester stoïque face à une dénonciation de harcèlement psychologique. D’ailleurs, même si, suite à son enquête, la CNT décide qu’il n’y a pas eu de harcèlement, le salarié pourra néanmoins demander que sa plainte soit référée à la CRT.
LE PROCESSUS D’ENQUÊTE
La collecte d’informations, dans le cadre d’une enquête, comporte trois étapes.
Dans un premier temps, l’enquête doit consister à rencontrer le plaignant afin, notamment, de bien cerner tous les faits à l’origine de sa plainte. Un questionnement de base (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Pourquoi ? Comment ?) devrait être utilisé afin de recueillir l’ensemble des informations nécessaires. Si, au terme de cette rencontre, la plainte s’avère manifestement frivole, farfelue ou faite de mauvaise foi, l’enquête pourrait prendre fin immédiatement, sans une investigation plus approfondie. Dans les faits, il est important de souligner que très peu de plaintes devraient être rejetées à cette étape.
Dans un second temps, les témoins pertinents doivent être rencontrés. Puis, à la fin seulement, la version des faits du ou des présumé(s) « harceleur(s)» doit être obtenue. Le même questionnement de base s’impose à cette étape.
Dans un troisième temps, le plaignant doit être rencontré de nouveau afin de le confronter, le cas échéant, aux différentes versions obtenues ou obtenir des précisions à la lumière des nouveaux faits obtenus. Cette troisième étape permettra aussi d’évaluer la crédibilité du plaignant.
Pour chacun de ces entretiens, des comptes rendus détaillés devraient être rédigés par la personne qui a recueilli les témoignages et signés par les témoins afin de s’assurer de leur exactitude.
Enfin, au terme de cette enquête, la personne ayant procédé à la collecte des informations doit alors effectuer une analyse de la plainte. Dans le cadre de celle-ci, une conclusion doit être prise quant au bien fondé de la plainte : les faits rapportés par le plaignant, tels que confirmés ou infirmés par les autres témoins, constituent-ils du harcèlement psychologique au sens de l’article 81.19 LNT ou de la convention collective2 ? Cette conclusion devra être consignée par écrit.
Si la plainte est jugée non fondée, les personnes concernées (plaignant et personnes visées par la plainte) doivent être avisées des conclusions. En cas de litige, le rapport d’enquête sera évidemment très utile pour l’employeur qui devra justifier sa décision de ne pas intervenir.
Inversement, si la plainte s’avère fondée, une mesure devrait être prise contre le(s) «harceleur(s)» afin qu’il soit clair que de tels comportements ne sont pas tolérés. Celle-ci sera souvent une sanction disciplinaire, mais pourrait aussi consister en un processus de médiation ou la présentation d’excuses au plaignant. L’enquête s’avèrera également utile si cette mesure disciplinaire est contestée. Par ailleurs, des mesures pour s’assurer que cessera le harcèlement dans le futur pourraient être mises en place.
Lorsque sa structure le lui permet, l’employeur peut faire enquête en désignant à l’interne une personne étrangère au litige. Dans certaines situations, la meilleure méthode est cependant de faire appel à des consultants externes qui peuvent enquêter et produire un rapport avec leurs conclusions. Ce rapport ne liera évidemment pas le décideur appelé à trancher le litige, mais il permettra d’établir que l’employeur a respecté ses obligations et agi avec diligence et sérieux.
À cet égard, soulignons une décision rendue par la Cour supérieure. Dans cette affaire, une salariée s’étant livrée à du harcèlement psychologique avait fait l’objet d’une enquête approfondie de la part de l’employeur. La CRT avait confirmé le bien fondé du congédiement, notamment en raison de cette enquête, et la salariée demandait la révision judiciaire de cette décision en invoquant que le commissaire n’était pas lié par le rapport d’enquête de l’employeur. Certes, a écrit le Tribunal, mais «la preuve de l’existence du rapport final du comité d’enquête était pertinente et utile pour corroborer la preuve faite par le Collège portant sur l’existence d’une autre cause sérieuse de congédiement.»3
En plus de permettre de corriger une situation de harcèlement, l’enquête permettra à l’employeur de se préparer adéquatement si le plaignant lui demande éventuellement réparation. Devant l’instance qui entendra le dossier, l’employeur pourra affirmer sans réserve qu’il s’est acquitté de son obligation de faire cesser le harcèlement lorsqu’il a été porté à sa connaissance et ainsi éviter une condamnation à des dommages-intérêts.
Rappelons par ailleurs que plusieurs mois peuvent s’écouler entre le dépôt d’une plainte et l’audition. Avoir toutes les informations en main au moment de la plainte permettra de s’y replonger avec plus de facilité ultérieurement.
Certes, les informations recueillies lors de l’enquête de l’employeur pourront diverger des faits recueillis dans le cadre de l’enquête de la CNT, du syndicat ou obtenus lors de l’audition. Ces versions contradictoires, qui devraient être connues grâce à l’enquête de l’employeur, permettront de peser davantage le sérieux des allégations de la plainte ou du grief.
Enfin, une enquête permet également de déceler les fausses accusations de harcèlement psychologique et, en présence de malice ou de mauvaise foi, d’imposer des sanctions disciplinaires. Par exemple, dans une autre décision 4, une salariée avait faussement accusé un supérieur de harcèlement à son endroit et était même allée jusqu’à fabriquer une fausse pétition afin de soutenir qu’une dizaine d’autres salariés avaient également subi du harcèlement. Congédiée suite à l’enquête de l’employeur ayant dévoilé cette supercherie, la salariée a contesté la sanction par un grief. L’arbitre Pierre Laplante a confirmé le congédiement.
Cependant, ce ne sont évidemment pas toutes les plaintes non fondées qui donnent lieu à une sanction disciplinaire, car autrement, les plaintes de harcèlement seraient indirectement prohibées. En présence d’une croyance sincère qu’il est victime de harcèlement, le plaignant ne doit pas être réprimandé. Au contraire, s’il l’était, cela constituerait une infraction à la LNT5.
CONCLUSION
Certains employeurs peuvent croire, à tort, qu’ils n’ont pas l’obligation de faire enquête lorsqu’une plainte a été déposée à la CNT ou qu’un grief a été soumis par l’entremise du syndicat.
Bien au contraire, les tribunaux rappellent fréquemment aux employeurs qu’ils ont toujours l’obligation de faire une enquête sérieuse suite au dépôt d’une plainte ou d’un grief. Une enquête complète permet à l’employeur de bien documenter son dossier et, éventuellement, défendre les décisions prises suite à une plainte de harcèlement psychologique.
L’enquête ne peut qu’être utile et avantageuse pour l’employeur et elle lui permettra, le cas échéant, d’être adéquatement outillé pour affronter la tempête qui suivra, et ce, quelque soit son intensité.