INTRODUCTION

Le 6 décembre dernier, l’arbitre Richard Marcheterre a rendu une décision qui va à l’encontre d’un courant jurisprudentiel établi depuis 2007. Dans l’affaire C.U.S.M. et A.P.T.S 1 il fut en effet décidé que l’indemnité de transport accordée pour un rappel au travail ne s’applique pas aux salariés effectuant du travail en temps supplémentaire planifié et prévu d’avance à l’horaire.

LES FAITS

Par griefs, les plaignants, des technologues affectés à temps complet au département de radio-oncologie, réclament de l’employeur l’indemnité de transport prévue à l’article 19.03 de leur convention collective qui se lit comme suit :

« S’il y a rappel au travail alors que la personne salariée a quitté l’établissement et qu’elle n’est pas en service de garde, elle reçoit pour chaque rappel :

1. Une indemnité de transport équivalant à une (1) heure au taux simple;
2. Une rémunération minimale de deux (2) heures au taux de temps supplémentaire.

Il est entendu que le travail effectué immédiatement avant l’heure où la personne salariée doit rentrer au travail n’est pas un rappel au travail. »

(Nous soulignons)

Les plaignants se sont déclarés disponibles pour effectuer du temps supplémentaire en plus de leur semaine régulière de travail qui s’étalait du lundi au vendredi.

Le samedi 3 octobre 2009, ceux-ci ont effectué plus de deux (2) heures de temps supplémentaire. Ces heures avaient été préalablement planifiées et acceptées par les salariés et ce, au plus tard à la fin de leur horaire régulier de travail.

Le syndicat demande que l’indemnité de transport soit accordée aux personnes salariées effectuant du temps supplémentaire, que le travail ait été planifié, programmé et accepté d’avance ou non. À l’inverse, l’employeur, représenté par Me Jean-François Pedneault, avocat associé de notre étude, soutient qu’un tel travail ne constitue pas un rappel au travail au sens de l’article 19.03.

RAPPEL AU TRAVAIL : INTERPRÉTATION

D’entrée de jeu, l’arbitre Marcheterre affirme que l’article 19.03 de la convention collective est une disposition d’exception puisqu’elle prescrit un régime particulier de rémunération et d’indemnité lors du rappel au travail. Ceci étant, cette disposition doit recevoir une interprétation restrictive et pour l’interpréter, deux méthodes peuvent être employées : l’interprétation libérale et l’interprétation contextuelle.

Au cours des vingt (20) dernières années, deux courants jurisprudentiels se sont succédé quant au choix de la méthode d’interprétation à prioriser. Pendant plusieurs années, les tribunaux d’arbitrage ont favorisé l’interprétation dite contextuelle des articles portant sur le rappel au travail 2.
Cette méthode privilégie la recherche de l’intention des parties par l’analyse de la convention dans son ensemble. Ainsi, compte tenu des autres dispositions de la convention, l’indemnité de transport était seulement octroyée aux personnes salariées rappelées au travail de manière imprévue.

Par ailleurs, en 2007, l’arbitre Léonce Roy a rendu une décision3 qui a marqué le début d’un nouveau courant où l’interprétation dite littérale a été favorisée 4. Cette méthode privilégie la lecture isolée de la disposition à interpréter. Dans sa décision, l’arbitre Roy soutenait que rien dans la convention collective n’indiquait que le temps supplémentaire ne devait pas être planifié ou justifié pour être considéré comme un rappel au travail. Selon lui, pour qu’un salarié puisse toucher l’indemnité de transport, deux critères d’application devaient être rencontrés : 1) l’existence d’un élément de discontinuité du travail avant et après l’assignation du travail et 2) l’existence d’un déplacement additionnel pour se rendre à l’établissement. Par conséquent, toutes les fois qu’un salarié n’étant pas en service de garde ou n’étant pas appelé immédiatement avant le début de sa journée normale de travail doit revenir à l’établissement à la suite d’un appel de son employeur, il fait l’objet d’un rappel au travail et bénéficie des avantages y étant reliés, incluant l’indemnité de transport.

Contrairement au courant jurisprudentiel le plus récent, l’arbitre Marcheterre adopte plutôt une interprétation contextuelle de la disposition 19.03 car, à son avis, une interprétation littérale donne une extension à la notion de rappel au travail que les parties n’ont pas désirée. Pour bien cerner cette intention, il faut considérer le texte de la convention collective dans son ensemble et une telle analyse révèle que le rappel au travail constitue une des situations où le salarié travaille en temps supplémentaire. Le rappel au travail constitue donc du temps supplémentaire, mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

Pour l’arbitre, le rappel au travail dont il est question à l’article 19.03 suppose une situation non prévue ou non planifiée qui survient lorsque le salarié « a quitté l’établissement ». La situation du salarié informé d’avance et s’étant lui-même rendu disponible ne peut se qualifier comme telle. Cette disposition a été intégrée à la convention collective pour faire face à une situation unique et compenser le salarié pour le dérangement occasionné.

Me Marcheterre considère que l’arbitre Roy et ceux qui ont suivi son approche ont retenu une interprétation élargissant la disposition 19.03 au-delà de son véritable objet puisqu’il faut distinguer le « rappel au travail » de l’appel au travail. Le salarié appelé à l’avance, en dehors de son horaire habituel et à sa propre demande, a donc droit à une rémunération en temps supplémentaire, mais pas à l’indemnité de transport de l’article 19.03.

Ainsi, l’arbitre considère que puisque les technologues ont été appelés à l’avance, ils n’ont pas droit à l’indemnité de transport.

CONCLUSION

La notion de « rappel au travail » n’est pas définie dans les conventions collectives du réseau de la santé et des services sociaux. Les arbitres sont donc appelés à l’interpréter et comme nous l’avons constaté, ils ne s’entendent pas tous sur l’interprétation à retenir.

Alors qu’une interprétation contextuelle des dispositions traitant de l’indemnité de transport pour le rappel au travail a longtemps prévalu, un nouveau courant jurisprudentiel est apparu en 2007. Selon l’arbitre Marcheterre, il faut plutôt favoriser une interprétation tenant compte de la convention collective dans son ensemble.

À l’heure actuelle, il n’y a pas eu de requête en révision judiciaire de cette décision. Nous verrons donc dans les mois ou années à venir si l’affaire C.U.S.M. et A.P.T.S. sera appliquée par d’autres arbitres et si elle aura marqué le retour du courant jurisprudentiel autrefois majoritaire.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.