Le 15 juin 2018, la Cour suprême du Canada a rendu deux importantes décisions reliées aux faits et aux principes applicables en matière de liberté religieuse, soit les arrêts Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 ainsi que Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 33.

Non seulement ces décisions nous apparaissent importantes en soi, mais elles le sont d’autant plus à la lumière de l’application prochaine de certains principes d’accommodement et des critères qu’a récemment prévu le gouvernement du Québec en application de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodement pour un motif religieux dans certains organismes (Projet de loi no 62, 2017, chapitre 19. Ci-après « la Loi »). Les commentaires de la Cour suprême seront peut-être utiles et serviront  d’éclairage dans l’application de ceux‑ci. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs récemment indiqué une liste de critères applicables dans des lignes directrices que nous examinerons ci-après.

Les décisions de la Cour suprême du Canada 

Essentiellement,  il s’agit d’une université en Colombie‑Britannique, le Trinity Western University, qui depuis cinq ans tente de faire reconnaître son programme de droit par les ordres professionnels du pays, soit en Colombie‑Britannique ou ailleurs au Canada.

Cet établissement d’enseignement post-secondaire chrétien évangélique souhaite en effet avoir une faculté de droit exigeant que ses étudiants et les membres de son corps professoral adhèrent à un code de conduite fondé sur des croyances religieuses, le « Community Covenant Agreement» (Covenant), qui interdit toute intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme.

Les règles du Covenant interdisent cette conduite durant les trois années de fréquentation de la faculté de droit, même lorsque les étudiants se trouvent à l’extérieur du campus dans l’intimité de leur domicile.

La Law Society of British-Columbia a voté pour la tenue d’un référendum auprès de ses membres sur la question de la reconnaissance de cette faculté de droit et s’est engagée à être liée par le résultat. Les membres ont voté pour l’application d’une résolution déclarant que la faculté de droit de la Trinity Western University n’était pas une faculté de droit agréée en raison des règles prévues au Covenant.

Dans un premier temps, la maison d’enseignement et un étudiant ont obtenu gain de cause en Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a conclu que les décisions de la Law Society of British-Columbia portaient atteinte aux droits religieux protégés par l’article 2a) de la Charte canadienne. Par la suite, la Cour d’appel a rejeté l’appel et maintenu la décision.

Inversement, la Cour divisionnaire de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario avaient rejeté le recours de la Trinity Western University, qui contestait sa non-reconnaissance par le Barreau du Haut-Canada.

La Cour suprême du Canada a, pour sa part, accueilli l’appel de la Law Society of British-Columbia et rejeté celui de l’Université, confirmant ainsi les décisions des deux Barreaux de ne pas reconnaître cette faculté de droit. Pour la majorité du tribunal, il s’agit de déterminer si les décisions de la Law Society of British-Columbia  et du Barreau du Haut-Canada étaient raisonnables. La majorité répond par l’affirmative à cette question en indiquant que la protection de l’intérêt public comprend l’obligation de promouvoir l’égalité en assurant un accès égal à la profession juridique, en favorisant la diversité au sein du Barreau et en évitant qu’un préjudice soit causé aux étudiants en droit.

Ainsi, pour le Tribunal, le refus d’accréditer la maison d’enseignement visait la promotion de l’égalité, le soutien à la diversité, notamment les personnes LGBTQ, et empêcher qu’un préjudice soit causé aux étudiants en droit membres de cette communauté, ce qui protège l’intérêt public. Les décisions de la Law Society of British-Columbia et du Barreau du Haut-Canada étaient justes. Pour la Cour suprême du Canada, la liberté de religion protège les droits des fidèles d’avoir des croyances et de les exprimer au moyen de pratiques tant individuelles que collectives. Cependant, lorsqu’une pratique religieuse a une incidence sur autrui, il est possible d’en tenir compte dans l’étape de la mise en balance de la protection conférée par la Charte canadienne (le droit à la liberté de religion), d’une part, et des objectifs prévus par la loi (la protection de l’intérêt public), d’autre part.

En l’espèce, les règles obligatoires de la maison d’enseignement ont pour effet de limiter la conduite d’autrui. Les décisions de la Law Society of British-Columbia et du Barreau du Haut-Canada permettent d’éviter que soit causé un préjudice important aux personnes LGBTQ qui ont l’impression de n’avoir d’autres choix que de renier ce qu’ils sont pendant trois ans afin de pouvoir fréquenter cette faculté de droit et recevoir une formation juridique. Pour la cour :

« Être tenu par les croyances religieuses de quelqu’un d’autre de se conduire d’une manière qui va à l’encontre de son identité sexuelle est dégradant et irrespectueux. »

Ces deux décisions de la Cour suprême du Canada, dans lesquelles la liberté religieuse est mise en opposition ou en analyse par rapport aux droits collectifs, nous semblent être pertinentes quant à la façon dont nos différents organismes auront à traiter de nouvelles demandes d’accommodement, entre autres, fondées sur la liberté religieuse. En effet, le gouvernement du Québec, suite à l’adoption de la Loi, a émis des lignes directrices qui guideront les répondants dans leur réponse d’accommodement. Il y a six critères pour que la demande d’accommodement soit accordée :

  • La demande doit résulter de l’application de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne;
  • La demande doit être sérieuse, c’est-à-dire fondée sur une croyance sincère en la nécessité de se conformer à une pratique dans l’exercice de sa foi ou à une conviction religieuse;
  • L’accommodement demandé doit respecter le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que le droit de toute personne d’être traitée sans discrimination, notamment en raison de la race, de la couleur, du sexe, de l’identité ou de l’expression de genre, de la grossesse, de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de l’âge, de la religion, des convictions politiques, de la langue, de l’origine ethnique ou nationale, de la condition sociale ou d’un handicap et de l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap;
  • L’accommodement demandé doit permettre à l’État de demeurer neutre;
  • L’accommodement est raisonnable, c’est-à-dire qu’il n’impose aucune contrainte excessive par rapport au respect des droits d’autrui, à la santé ou à la sécurité des personnes ainsi qu’au bon fonctionnement de l’organisme et aux coûts qui s’y rattachent;
  • Le demandeur a collaboré à la recherche d’une solution qui satisfait au caractère raisonnable.

 

Eu égard au troisième critère et l’impact sur le droit à l’égalité, un document préparé par le gouvernement du Québec concernant les lignes directrices portant sur le traitement d’une demande d’accommodement pour un motif religieux mentionne, sur le droit à l’égalité :

« Cette condition s’évalue en tenant compte des effets de l’accommodement demandé sur les autres usagers et sur les membres du personnel de l’organisme qui traite la demande, et non pas sur la personne qui fait la demande ».

Ainsi, à la lumière de ces décisions de la Cour suprême, un réel équilibre devra être soupesé dans l’octroi ou non d’un accommodement et, à notre avis, l’impact sur d’autres personnes sera certainement un élément important qui sera pris en considération.

Rappelons enfin que les articles 2, 3 et 8 de la Loi, entrée en vigueur en totalité le 1er juillet 2018, définissent son champ d’application et les mesures visent les ministères du gouvernement, les organismes de l’État, les commissions scolaires, les collèges d’enseignement, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, les municipalités, les mutualités, les sociétés de transport en commun, etc. Bref, un éventail très large des secteurs publics et parapublics au Québec.

Notre cabinet vous tiendra informé dès les premières décisions qui seront rendues en application des critères établis par le gouvernement en lien avec la Loi.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.