Un organisme public peut-il encore stipuler ce qui lui apparaît essentiel dans ses documents d’appel d’offres? L’adjudicataire peut-il refuser d’exécuter les travaux? La présente chronique met en lumière deux jugements récents qui apportent des éclairages pertinents sur ces sujets.

L’organisme public et les conditions essentielles

Savard et Frères Ltée c. St-Honoré (Municipalité de), 2011 QCCS 3949

Les faits

Dans cette affaire, la Municipalité de Saint-Honoré gérait un budget annuel de 3,5 millions. Elle souhaitait octroyer un contrat d’environ 2,2 millions pour la réfection de certaines rues.

La demanderesse a présenté une soumission, laquelle s’est avérée la plus basse. Cependant, certains documents manquaient, notamment la preuve de qualification.

Après avoir obtenu un avis juridique, la Ville a pris la décision de rejeter la soumission de la demanderesse.

Prétentions des parties

Le soumissionnaire prétend que le rejet de sa soumission était empreint d’une rigueur et d’un formalisme qui n’a plus sa raison d’être. Il soutient également que les irrégularités contenues dans sa soumission étaient mineures et pouvaient facilement être corrigées.

La Ville estime que les irrégularités étaient majeures puisqu’elles contrevenaient à des conditions essentielles formulées aux documents d’appel d’offres.

Le jugement

Le juge reprend l’article des documents d’appel d’offres relatif aux conditions essentielles à la recevabilité d’une soumission :

CONDITIONS ESSENTIELLES À LA RECEVABILITÉ D’UNE SOUMISSION
1. FORMULES OBLIGATOIRES

Le soumissionnaire doit présenter sa soumission sur les formules fournies par le propriétaire ou sur toute reproduction exacte de ces formules, lesquelles doivent être remplies avec clarté et exactitude et dûment signées aux endroits prévus à cette fin par la ou les personnes autorisées à cet effet.

(Soulignements dans le texte)

La preuve de qualification est ensuite identifiée comme étant un document obligatoire à fournir avec la soumission.

La Cour considère que si l’organisme public a pris la peine d’énoncer ce qu’il considérait être une condition essentielle, il faut respecter sa volonté. Elle écrit :

[49] S’il faut laisser un certain laxisme et un certain arbitraire à l’entrepreneur qui s’autorise à penser ou à considérer ce qui est fondamental de ce qui ne l’est pas, on laisse place à l’incertitude et le donneur d’ouvrage perd donc tout son champ d’appréciation et fondamentalement, donc sa discrétion. Il apparaît clair au tribunal qu’un donneur d’ouvrage peut encore stipuler ce qui lui semble essentiel. Dans la présente affaire, il s’agit plus que d’une erreur cléricale ou d’un montant à parfaire ou à corriger. (…)

(Nous soulignons)

La Ville ayant stipulé que la preuve de qualification constituait une condition essentielle, elle n’a aucune discrétion pour accepter la soumission. Elle était justifiée de la déclarer non-conforme. Le recours du soumissionnaire est donc rejeté.

L’adjudicataire peut-il refuser d’exécuter les travaux?

Laprairie (Ville de) c. Cetil Inc., 2011 QCCS 4751 (en appel)

Les faits

Dans cette affaire, Cetil était le plus bas soumissionnaire conforme suite à un appel d’offres publié par la Ville de Laprairie pour la réalisation d’un projet d’agrandissement et de rénovation de son usine de traitement d’eau domestique.

Cetil a refusé d’exécuter les travaux au motif que la Ville a retranché du projet les travaux d’ozonation et réduit considérablement les frais de contingence contenus dans sa soumission. La Ville réclame de Cetil et de sa caution la somme de 383 449 $ représentant la différence entre la soumission de Cetil et le coût du contrat qui a éventuellement été confié à un autre soumissionnaire.

Prétentions des parties

La Ville plaide que sa décision de confier les travaux à Cetil constituait une acceptation de la soumission et liait l’entrepreneur soumissionnaire. Elle estime que Cetil a violé ses obligations contractuelles en refusant d’exécuter les travaux.

Cetil allègue qu’aucun contrat n’a été formé parce que la Ville n’a pas accepté intégralement sa soumission. Elle se porte demanderesse reconventionnelle et réclame sa perte de profits. La caution, quant à elle, estime que le cautionnement était conditionnel à la conclusion d’un contrat. Comme un tel contrat n’a pas été conclu, elle déclare ne rien devoir à la Ville.

Le jugement

La Cour confirme que la Ville avait le droit d’omettre certains travaux après la réception des soumissions, mais avant la signature du contrat, comme il était prévu aux documents d’appel d’offres. Cependant, cette dernière n’a pas accepté la soumission de Cetil puisqu’elle a retranché certains travaux et frais de contingence. Cette décision fait en sorte que le projet de 4 653 000 $ devient un projet de 3 886 481 $, une diminution de l’ordre de 16,5%. Elle a eu un effet sur les risques économiques évalués par Cetil et a réduit sa capacité de gain.

Dans un tel cas, Cetil devait accepter les modifications à sa soumission pour que le contrat soit conclu. Or, ce ne fut pas le cas.

La Cour ajoute que de permettre à la Ville de modifier unilatéralement le contenu du contrat serait abusif et désavantagerait l’adjudicataire d’une manière excessive et déraisonnable.

Aucun contrat n’est donc intervenu entre la Ville et Cetil. Les réclamations de la Ville contre l’adjudicataire et la caution sont donc rejetées.

Quant à la demande reconventionnelle pour perte de profits de Cetil, elle est rejetée puisque la Cour considère que la Ville avait dûment exercé son option de retrancher du contrat certains travaux contenus à l’appel d’offres. Par conséquent, elle ne peut encourir aucune responsabilité envers Cetil à cet égard.

Conclusion

Ces deux jugements démontrent d’abord que le donneur d’ouvrage peut encore stipuler ce qui lui apparaît être essentiel dans les documents d’appel d’offres et que sa volonté doit être respectée. Ils démontrent également que celui-ci ne peut décider unilatéralement de retrancher des éléments de la soumission qu’il accepte et exiger que le soumissionnaire y donne suite. Le consentement de l’adjudicataire à ces modifications est nécessaire pour qu’un contrat soit conclu.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.