L’employeur peut-il adopter une politique ou un règlement dont l’application repose sur la bonne foi et la collaboration de ses salariés? Voilà la question à laquelle ont dû répondre la Cour supérieure1 et la Cour d’appel2, après qu’un arbitre ait qualifié d’abusive la conduite d’un employeur ayant misé sur l’honnêteté de ses salariés plutôt que sur des mesures coercitives3.

Cette décision récente de la Cour d’appel confirme la validité de l’application d’un règlement sur le stationnement, adopté par l’employeur 5 ans auparavant. Dans un contexte où les employeurs, notamment dans les secteurs publics et parapublics, doivent composer avec des règles budgétaires rigoureuses, cette décision est digne d’intérêt.

Les faits

La trame factuelle ayant donné lieu au grief syndical est simple.

À l’automne 2006, l’employeur, le Centre de santé et de services sociaux de Charlevoix, instaure un projet de stationnements payants pour l’ensemble des 19 installations qu’il exploite. En raison des contraintes législatives applicables, il est nécessaire que le projet s’autofinance et donc que les coûts d’exploitation, après paiement des salariés utilisateurs, soient nuls. En ce sens, considérant que les utilisateurs désirent une tarification minimale, il est convenu dès le départ, lors d’une rencontre du comité paritaire, que le projet repose sur la bonne foi et la collaboration des salariés puisque les mesures de contrôle seront minimales. L’employeur n’installera pas de guérites et il n’y aura pas de gardiens.

Au printemps 2007, les employés sont informés de la mise en place des stationnements payants et de la procédure administrative pour obtenir une vignette, au coût de 3,00$ par semaine. Ce montant sera prélevé directement sur la paie des titulaires de vignettes. Un « règlement sur la circulation et le stationnement » est ensuite adopté, lequel prévoit notamment l’obligation de détenir un permis de stationnement, la tarification applicable et les sanctions, soit la possibilité pour les contrevenants de voir leurs véhicules remorqués. Une note interne, distribuée dans les jours suivants l’adoption du règlement, réitère que les véhicules sans vignette de stationnement risquent d’être remorqués.

Dans les faits cependant, le risque de remorquage est inexistant et plusieurs salariés stationnent leurs véhicules illégalement, sans être remorqués ou autrement sanctionnés. Cette situation crée de la frustration chez les salariés qui paient pour le stationnement et, dans ce contexte, un grief est déposé par le syndicat au début de l’année 2008. Le grief fait notamment état que l’employeur a induit en erreur les salariés en les avisant qu’une vignette de stationnement était requise, en plus d’avoir agi de mauvaise foi et de façon abusive car aucun moyen de contrôle des vignettes n’a été mis en place. Le syndicat réclame le remboursement à tous les salariés s’étant procurés une vignette (une valeur de 250 000$) et la fin des prélèvements jusqu’à l’application d’une politique juste et équitable.

La sentence arbitrale

L’arbitre saisi du litige, Bruno Leclerc, accueille le grief et conclut que l’employeur a agi de façon arbitraire, inéquitable et déraisonnable puisqu’il a adopté un règlement sans prendre les mesures pour le faire appliquer4. L’employeur avait, selon l’arbitre, l’obligation d’appliquer des mesures coercitives aux contrevenants. Il n’ordonne pas le remboursement aux salariés ayant payé leurs vignettes, mais ordonne à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour appliquer le règlement uniformément et équitablement à tous les salariés.

Soulignons qu’une objection relative à la compétence de l’arbitre avait été soulevée par l’employeur, ce dernier estimant que le grief ne reposait sur aucune disposition de la convention collective. L’arbitre a rejeté cette objection et rendu une décision sur le fond.

Le jugement de la Cour supérieure

La Cour supérieure accueille quant à elle la requête en révision judiciaire déposée par l’employeur et casse la décision de l’arbitre. Elle ne se prononce cependant pas sur le fond puisque, selon la Cour, l’arbitre aurait dû faire droit à l’objection de l’employeur et décliner compétence pour trancher le grief.

Le juge Émond se permet par contre un obiter à l’effet que la position du syndicat « est fort surprenante dans le contexte où les reproches qu’il adresse au CSSS de Charlevoix sont essentiellement fondés sur les manquements de ses propres membres»5.

L’arrêt de la Cour d’appel

Insatisfait de ce jugement, le syndicat interjette appel et la Cour d’appel lui donne tout d’abord raison sur l’objection préliminaire. Le raisonnement de l’arbitre, sur la question de compétence, était raisonnable, motivé et intelligible. Il avait donc compétence pour statuer sur le grief et la Cour supérieure n’aurait pas dû intervenir.

La Cour d’appel analyse donc la question de fond. Cet arrêt est particulièrement intéressant quant à l’analyse effectuée afin de déterminer du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre Leclerc. À cet égard, les propos de la Cour d’appel, rédigés par le juge Jean Bouchard, J.C.A., ne laissent planer aucun doute sur le caractère déraisonnable du raisonnement de l’arbitre et méritent d’être cités :

« De conclure toutefois que l’intimé a eu en l’espèce une conduite abusive et arbitraire dépasse l’entendement! […] Bref, ce n’est pas la conduite de l’intimé qui est inéquitable, mais la conclusion de l’arbitre qui lui fait reproche d’avoir misé sur l’honnêteté, la bonne foi et le civisme de ses employés. C’est franchement déraisonnable6

Étant donné que l’employeur souhaitait maintenir une tarification minimale et que le système mis en place devait s’autofinancer, la collaboration des salariés était essentielle. Dès le départ, cette façon de procéder a reçu l’aval du syndicat et il a toujours été entendu que cette coopération des salariés était requise pour maintenir le coût du stationnement à un niveau aussi bas. L’employeur n’a pas à supporter le blâme pour les membres du syndicat qui ne se conformaient pas au règlement. Dans l’intérêt commun, le syndicat est tout autant responsable et il aurait dû intervenir auprès des contrevenants. En quelque sorte, comme le souligne le juge de première instance, le syndicat invoque sa propre turpitude.

La Cour termine en faisant état des positions divergentes entre celle de l’employeur, qui tente de réduire le coût du stationnement au minimum, et celle du syndicat qui reproche à l’employeur de ne pas faire remorquer les voitures de ses propres membres et dépose un grief risquant d’affecter ceux qui paient de bonne foi leur stationnement à bas prix, soit la vaste majorité des salariés. Or, ces derniers devront probablement assumer une facture plus élevée si l’employeur est obligé d’installer des guérites et engager des gardiens.

Conclusion

Bref, la Cour d’appel confirme de façon non équivoque un principe qui, selon nous, coule de source: un employeur peut se fonder sur l’honnêteté et la collaboration de ses salariés dans la mise en œuvre d’une politique. Le syndicat, plutôt que de tenter de prendre à mal l’employeur, devrait aussi intervenir pour s’assurer que les décisions prisent dans l’intérêt commun soient respectées par les membres. Cette conclusion ne signifie pas que l’employeur peut faire preuve de laxisme après l’adoption d’une politique ou d’un règlement, mais bien qu’il peut, encore en 2012, compter sur la bonne foi de ses employés et du syndicat.

Il sera intéressant de voir l’impact de cet arrêt sur les relations patronales-syndicales, mais la Cour d’appel invite à des efforts concertés pour assurer le respect des directives, sans que l’employeur n’ait à investir dans des systèmes de surveillance et de contrôle coûteux. Bonne nouvelle.

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