Lors d’un appel de qualification, le donneur d’ouvrage peut-il permettre à un entrepreneur de corriger sa demande lorsqu’il manque un document essentiel ou une signature requise? Cela ne serait pas possible quand il a stipulé qu’en cas de défaut ou d’erreur, la demande doit être rejetée péremptoirement. C’est ce que confirme la Cour d’appel dans l’arrêt Demix Construction, division de Holcim (Canada) inc. c. Québec (Procureur général)1 rendu le 19 octobre 2010.

LES FAITS

Le ministère des Transports du Québec (le «Ministère ») a lancé un appel de qualification auquel a répondu Demix Construction. Cette dernière a cependant omis d’inclure la page 3 d’un document intitulé « Demande de qualification ». Cette page était constituée de plusieurs engagements et déclarations. Quand Demix Construction a réalisé son erreur et tenté d’y remédier en envoyant le document complet, la date limite du dépôt des demandes de qualification était expirée.

Le Ministère a refusé d’accepter le document. Demix Construction a donc demandé que cette décision soit annulée et que sa demande de qualification soit déclarée conforme.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

La Cour supérieure rejette la demande de Demix Construction. Selon elle, les instructions transmises aux diverses entreprises prévoyaient que toute demande qui ne comporterait pas les documents qualifiés de « requis essentiels » ou ne comportant pas une signature requise, devait être déclarée irrecevable péremptoirement. Elle conclut qu’il s’agit d’une irrégularité majeure et que, dans un tel cas, le Ministère ne peut exercer le pouvoir discrétionnaire dont il jouit normalement en matière d’irrégularité mineure. Insatisfaite, Demix Construction a décidé d’aller en appel de ce jugement.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Demix Construction prétend qu’un appel de qualification est complètement différent d’un appel d’offres. Elle ajoute que le « contrat A », qui est formé lors du dépôt d’une soumission en réponse à un appel d’offres, n’existe pas dans les cas d’appel de qualification. Elle ajoute que les conditions de forme devraient pouvoir être corrigées et que seules les questions de compétence ont leur raison d’être. Par conséquent, elle soutient que le Ministère aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et lui permettre de corriger son erreur qu’elle qualifie de mineure.

Pour le Ministère, il était clair qu’il n’avait d’autre choix que d’écarter la demande de Demix Construction puisqu’il avait prévu l’absence d’un document requis comme cause de rejet péremptoire. Il s’agit donc d’une irrégularité majeure dont il ne pouvait permettre la correction. Il ajoute qu’un avis juridique avait d’ailleurs été obtenu à cet effet.

L’ARRÊT DE LA COUR D’APPEL

Les juges concluent qu’il s’agissait effectivement d’une irrégularité majeure qui ne pouvait être corrigée. Ils s’appuient sur l’affaire Ste-Euphémie-sur-Rivière-du-Sud (Municipalité de) c. Raby2 R.J.Q. 2118 (C.A.)] dans laquelle la Cour d’appel a réitéré le droit du propriétaire de stipuler des conditions et restrictions impératives quand il prépare son dossier d’appel d’offres. Le soumissionnaire a ensuite l’obligation de respecter ces conditions et restrictions.

Pour la Cour d’appel, le donneur d’ouvrage avait le droit de stipuler que l’absence d’un document ou d’une signature était un motif de rejet péremptoire et les entreprises déposant une demande de qualification devaient respecter ces conditions.

Les principes applicables aux appels d’offres sont transposables aux appels de qualification, avec les adaptations qui s’imposent. La Cour est d’opinion que les principes applicables aux appels d’offres sont transposables aux appels de qualification, avec les adaptations qui s’imposent.

Elle s’appuie pour ce faire sur les articles 22, 26 et 36 à 38 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics3 (le « Règlement ») qui prévoient que l’appel de qualification est l’une des deux étapes du processus d’appel d’offres public.

La Cour énonce qu’un appel de qualification ne donne effectivement pas lieu à la formation du contrat A, mais qu’il s’agit assurément d’un engagement « par lequel l’autorité publique s’oblige à faire participer à la seconde étape du processus (la demande de soumissions) toutes les personnes qui se seront ainsi qualifiées. »4

La Cour confirme donc que les articles 5 et 7 du Règlement qui concernent les conditions d’admissibilité et de conformité dans les appels d’offres s’appliquent aux appels de qualification.

L’article 7 du Règlement édicte notamment que le donneur d’ouvrage peut indiquer des conditions de conformité qui entraînent le rejet automatique de la soumission.

Appliquant ces principes à la demande de Demix Construction, la Cour conclut que le Ministère devait effectivement la rejeter et qu’il importait peu que cette erreur soit importante ou non objectivement. Le Ministère n’avait aucune discrétion pour accepter que soit corrigé le vice, et ce, malgré l’article 10 de l’avis de qualification qui énonçait:

« Le Ministère se réserve le droit à son entière discrétion, de passer outre à tout vice de forme de la Demande de qualification et de documents qui doivent l’accompagner qu’il juge mineur. »

Demix Construction prétendait que cette disposition n’était d’aucune utilité si elle ne lui permettait pas de corriger sa demande de qualification.

La Cour exprime son désaccord et énumère quelques vices de forme dont le donneur d’ouvrage pourrait permettre la correction. Elle donne notamment les exemples de l’entrepreneur qui soumet cinq exemplaires de sa demande de qualification dont un serait incomplet ou lorsque tous les exemplaires seraient signés sauf un.

La Cour conclut que « peu importe en réalité que le vice soit qualifié de mineur ou de majeur, dans la mesure où le ministère, de façon claire et non équivoque, a expressément prévu qu’une omission de ce genre entraînerait péremptoirement le rejet de la demande de qualification. »5

CONCLUSION

Cet arrêt rappelle à tous les donneurs d’ouvrage qu’ils peuvent établir dans des appels de qualification ou d’offres, toutes les conditions qui doivent être respectées sous peine d’entraîner le rejet automatique d’une demande ou d’une soumission. Toutefois, lorsque de telles conditions sont énoncées, le donneur d’ouvrage se doit de les respecter et il ne pourra, sauf dans certains cas, jouir d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

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