Dans un jugement rendu par la Cour supérieure1, le 5 juillet 2016, l’Honorable Serge Gaudet estime que le tribunal peut intervenir, non seulement en cas de refus catégorique d’une personne inapte, mais aussi lorsque le régime de consentement substitué mis en place par la loi ne permet pas d’obtenir un tel consentement.
Rappelons les faits. La défenderesse est une jeune femme de 26 ans. Elle est inapte à consentir aux soins proposés (médicaments, hospitalisation et hébergement). Elle est sans domicile fixe, sans emploi et reçoit des prestations d’aide sociale. Dès son adolescence, elle a été suivie par des médecins. Ils ont posé plusieurs diagnostics : troubles d’apprentissage, trouble déficitaire de l’attention, trouble d’opposition couplé à des éléments d’impulsivité et de troubles de comportement. Elle présente également une déficience intellectuelle au niveau verbal. Elle est dépendante à l’alcool et à certaines drogues.
Au début de l’âge adulte, elle devient itinérante. Elle erre dans les rues et se retrouve souvent dans les maisons-refuges d’où elle se fait expulser en raison de son comportement impulsif et de ses problèmes de toxicomanie. Elle se prostitue pour se procurer de la drogue. Elle a été victime d’abus sexuels, physiques et financiers. Elle est bien connue des policiers.
En mai 2013, la Cour supérieure a autorisé le CHUM à administrer à la défenderesse des médicaments antipsychotiques, des stabilisateurs d’humeur et à l’hospitaliser ou à la transférer dans un endroit supervisé. Comme elle fuguait régulièrement des milieux d’hébergement pour se droguer ou consommer de l’alcool, elle a été dirigée vers une unité de réadaptation intensive où elle restera pendant environ deux années, en 2014 et 2015. En avril 2016, une tentative de placement en ressource intermédiaire avec supervision étroite a avorté.
La défenderesse nie ses problèmes. Elle estime être en mesure de vivre en appartement. Elle accepte les médicaments proposés par les médecins mais s’oppose aux conclusions de la demande en autorisation de soins en rapport avec l’hospitalisation ou l’hébergement.
Le Curateur public agit comme tuteur à la personne et aux biens de la défenderesse. Il n’a cependant pas fait connaître sa position quant aux soins proposés, incluant l’hospitalisation ou l’hébergement en milieu supervisé, malgré qu’il ait été mis en cause. Le tribunal conclut donc à l’absence de consentement substitué.
Le tribunal a étudié de la grille d’analyse, en deux étapes, proposée en 2015 par la Cour d’appel dans l’affaire F.D. c. Centre Universitaire de santé McGill2. Selon cette grille, le tribunal doit d’abord s’assurer de sa compétence à intervenir selon les dispositions de l’article 16 du Code civil du Québec avant de passer à la seconde étape consistant à autoriser ou non les soins proposés à la lumière des critères énoncés à l’article 12 C.c.Q. La première étape comprend une réponse affirmative à deux questions : 1) la personne majeure est-elle inapte à consentir aux soins proposés? 2) la personne majeure refuse-t-elle catégoriquement les soins pour lesquels l’autorisation est recherchée?
À la première question, le tribunal est affirmatif, la défenderesse est inapte. Cependant, le tribunal n’est pas convaincu que l’exigence d’un « refus catégorique » soit applicable, en l’absence d’un consentement substitué. C’est un résultat que ne peut avoir voulu le législateur. L’idée maîtresse du régime de consentement aux soins des articles 11 et suivants du Code civil du Québec est conçue de manière telle qu’il doit y avoir un consentement aux soins proposés. En l’espèce, il faut éviter que des soins (médicaments) puissent être administrés à la défenderesse, une personne inapte, sans aucun consentement. Il faut bien que quelqu’un puisse apprécier si les soins proposés doivent être ou non prodigués au majeur inapte en pondérant les critères prévus à l’article 12 C.c.Q.
Il y a donc lieu de conclure que l’interprétation de l’article 16 C.c.Q. ne permet pas de penser que le législateur ait voulu faire du refus catégorique une condition sine qua non du pouvoir d’intervention de la Cour supérieure en matière de soins, conformément à une autre décision de la Cour d’appel3. Le tribunal peut donc intervenir lorsque le régime de consentement substitué est défaillant. Tout établissement doit donc s’assurer d’obtenir l’autorisation du tribunal dans ces deux situations avant de dispenser les soins. Cette décision a le mérite de nous le rappeler avec clarté.