Dans l’arrêt Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec[1] rendu le 19 avril 2024 dernier, la Cour suprême du Canada juge que le Code du travail[2] (« Code »), qui réserve l’accréditation syndicale aux salariés seulement, est constitutionnel.

 

Survol des décisions antérieures

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« l’Association ») est constituée en 1997 afin de représenter les superviseurs des opérations (« SDO »). Ceux-ci sont désignés et considérés par la Société des casinos du Québec (« l’employeur ») comme des « chefs de table » ou des « cadres de premier niveau ».

Face aux multiples refus de l’employeur de reconnaitre l’Association comme véritable agent négociateur des cadres de premier niveau, en novembre 2009, celle-ci dépose une requête en accréditation auprès de la Commission des relations du travail, devenue le Tribunal administratif du travail[3] (« TAT »).

Dans sa décision du 7 décembre 2016[4], le TAT analyse la constitutionnalité de l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » prévue au Code. Le Tribunal conclut que l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » du Code porte atteinte à la liberté d’association des personnes visées par la requête en accréditation, soit les SDO. Ainsi, elle déclare leur exclusion inopérante puisqu’inconstitutionnelle.

Le 5 novembre 2018, la Cour supérieure, saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire présenté par l’employeur, infirme la décision du TAT[5]. En effet, elle conclut que les cadres sont en mesure de négocier collectivement à l’extérieur des balises du Code[6].

En février 2022, la Cour d’appel rétabli la décision du TAT et déclare constitutionnellement inopérante l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » à l’art. 1 l) 1° du Code[7]. Elle conclut que l’exclusion des SDO entrave substantiellement leur droit à un régime permettant une véritable négociation de leurs relations de travail et, de ce fait, attente à leur liberté d’association.

 

L’analyse de la Cour suprême du Canada

Le 19 avril dernier, la Cour suprême du Canada a clos le débat[8]. La Cour conclut que l’exclusion des cadres du régime général des rapports collectifs du travail au Québec ne viole pas la liberté d’association et que de ce fait, les cadres ne peuvent pas se syndiquer en vertu du Code.

Dans le cadre de son analyse, la Cour établit qu’il n’existe qu’un seul cadre d’analyse afin d’évaluer si une loi ou une action gouvernementale viole l’alinéa 2d) de la Charte canadienne[9]. Il s’agit du cadre à deux volets établis dans l’arrêt Dunmore[10] qui consiste à se demander :

  1. Si les activités en cause relèvent du champ d’application de la garantie de liberté d’association; et
  2. Si l’exclusion législative, par son objet ou son effet, entrave substantiellement les activités protégées.

Quant au premier volet du cadre d’analyse, la Cour suprême reconnait que les revendications de l’Association portent sur des activités protégées par la liberté d’association, soit le droit de former une association ayant suffisamment d’indépendance vis-à-vis de l’employeur, le droit de lui présenter collectivement des revendications et de voir ces revendications prises en compte de bonne foi[11].

Cependant, la Cour suprême estime que l’Association échoue au niveau de la deuxième étape du cadre d’analyse. En effet, elle conclut que l’exclusion des cadres du régime du Code n’a pas pour objet d’entraver substantiellement la liberté d’association des cadres.

La Cour rappelle que lorsque le législateur a exclu les cadres de la définition de « salarié » au Code, cette exclusion avait pour objectifs d’opérer une distinction entre les cadres et les salariés dans les organisations hiérarchiques, d’éviter de placer les cadres en situation de conflit d’intérêts et de faire en sorte que les employeurs aient confiance que les cadres représentent leurs intérêts, tout en protégeant ceux des salariés[12].

D’autre part, la Cour est d’avis que l’Association n’a pas été en mesure de démontrer que l’exclusion législative a pour effet d’entraver substantiellement le droit de ses membres à une véritable négociation collective. La Charte canadienne garantit un processus de négociation collective véritable, et non l’accès à un régime particulier.

À cet effet, la Cour constate que l’Association a été en mesure de conclure un protocole d’entente avec l’employeur qui établit un cadre de collaboration et de consultation des conditions de travail. Celui-ci démontre que les membres de l’Association sont en mesure de s’associer et de négocier collectivement avec leur employeur.

Le pourvoi est donc accueilli.

 

Conclusion

Mettant un terme à un débat ayant duré près de 15 ans, la Cour suprême tranche que l’exclusion des cadres du régime québécois de rapports collectifs prévu au Code ne viole pas leur liberté d’association.

Ce faisant, la Cour reconnait la légitimité du régime québécois de relations du travail, qui repose sur la distinction entre les cadres et les salariés, notamment pour éviter les conflits d’intérêts.

Il s’agit d’une décision importante pour le droit du travail québécois puisqu’elle ferme pour l’instant la porte à une possibilité d’élargir considérablement le droit à la syndicalisation.

 

 

[1] 2024 CSC 13.

[2] RLRQ, c. C-27.

[3] Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1, art. 261.

[4] Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., 2016 QCTAT 6870.

[5] Société des casinos du Québec inc. c. Tribunal administratif du travail, 2018 QCCS 4781.

[6] Id., par. 122.

[7] Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., 2022 QCCA 180.

[8] Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, préc., note 1.

[9] Charte canadienne des droits et libertés, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11; «2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes : […] d) liberté d’association. ».

[10] Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94.

[11] Préc., note 1, par. 47.

[12] Id., par. 51 à 55.

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