La présence du secteur privé dans le domaine de la santé suscite des débats : l’affaire Chaoulli, la multiplication des offres de service par le secteur privé, des patients opérés dans une clinique privée aux frais de l’État…

Depuis plusieurs années, la CSST autorise régulièrement des travailleurs à recevoir des examens radiologiques dans une clinique privée de radiologie. Mais qu’en est-il des frais des visites médicales auprès de médecins non participants à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ou d’une intervention chirurgicale faite dans une clinique privée?

Dans Pearson et Amusements Spectaculaires inc.1, la Commission des lésions professionnelles s’est questionnée au sujet du remboursement des frais de consultation d’un médecin non participant à la RAMQ.

Dans cette affaire, la travailleuse était suivie par son médecin de famille depuis plusieurs années. Le 1er janvier 2005, ce médecin devient un professionnel de la santé non participant au régime de l’assurance maladie du Québec. Il a facturé directement le coût des visites médicales de la travailleuse ayant subi une lésion professionnelle à la CSST.

Dans un premier temps, la CSST lui paie ses honoraires professionnels. Après quelques mois, l’organisme fait parvenir au médecin une lettre dans laquelle il explique notamment qu’il doit facturer directement la CSST et que cette dernière versera une rémunération conforme aux tarifs de la RAMQ et qu’aucun montant additionnel ne peut être réclamé à la travailleuse pour une prestation d’assistance médicale. Le 2 décembre 2005, la CSST refuse de rembourser au médecin l’intégralité d’une facture de 75 $ pour une visite médicale. Quelques mois après ce refus, le médecin écrit à la travailleuse et lui demande directement le paiement de ses honoraires.

Le 23 août 2006, la CSST refuse à la travailleuse sa demande de remboursement des frais encourus auprès de son médecin. Cette décision sera reconsidérée le 17 octobre 2006 et la CSST accepte de rembourser à la travailleuse le montant fixé selon le tarif de la RAMQ.

La travailleuse demande le remboursement intégral, par la CSST, des frais de consultation médicale d’un médecin non participant au régime d’assurance maladie du Québec.

La Commission des lésions professionnelles (CLP) constate que « le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion » (article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2, « LATMP »), notamment les services du professionnel de la santé (article 189 LATMP) de son choix (article 192 LATMP). La travailleuse avait donc le droit de choisir d’être traitée par son médecin de famille, même s’il est un professionnel non participant.

La CSST ne conteste d’ailleurs pas ce droit de la travailleuse, mais estime qu’elle « n’a pas à rembourser la totalité des frais encourus par la travailleuse pour consulter [le] professionnel de la santé de son choix ».

L’article 194 LATMP prévoit que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST et que le médecin ne peut réclamer ce coût à la travailleuse.

Considérant notamment que la LATMP prévoit un mécanisme de paiement des honoraires des médecins pour les soins requis suite à une lésion professionnelle, que le médecin doit facturer la RAMQ pour les services fournis à la travailleuse accidentée conformément aux ententes intervenues en application de la Loi sur l’assurance maladie du Québec3 (article 196 LATMP), qu’une telle entente existe pour les actes professionnels visés par la demande de la travailleuse et que la CSST rembourse le coût de ces services à la RAMQ (article 197 LATMP) dans de telles circonstances, la CLP conclut que la travailleuse a droit au remboursement de l’équivalent du montant que son médecin recevrait de la RAMQ s’il était participant au régime.

La CLP a également rendu des décisions traitant du remboursement d’une chirurgie subie en cabinet privé.

Ainsi, dans Brousseau et Isolation Confort ltée4, un travailleur a subi une intervention chirurgicale dans un cabinet privé. La Commission des lésions professionnelles a ordonné à la CSST de rembourser au travailleur la somme de 1800$ qu’il avait payée pour cette intervention.

Dans le cadre d’une requête en révision, la commissaire Ginette Godin note que la CSST et le représentant du travailleur admettent que les coûts d’une intervention chirurgicale pratiquée en clinique privée sont couverts par la LATMP, en respectant certaines exigences et modalités.

La commissaire conclut que considérant les faits de ce dossier, la CLP n’a pas la compétence requise pour déterminer le montant de ce remboursement dans les circonstances. Notamment, le premier commissaire ne tient pas compte du montant attribuable à l’hébergement dans une clinique privée.

Elle rappelle que selon l’article 194 LATMP, « le coût de l’assistance médicale est à la charge de la Commission » et qu’aucun montant ne peut être réclamé au travailleur accidenté. En réclamant directement au travailleur, le professionnel de la santé commettrait une infraction pénale, telle que prévue à l’article 463 LATMP.

La commissaire Ginette Godin écrit : « [22] De plus, la soussignée ne croit pas que la loi puisse permettre à un travailleur accidenté de bénéficier d’une médecine plus onéreuse que celle couverte par la Loi sur l’assurance maladie et à laquelle ne peut prétendre la majorité des citoyens puisqu’il s’agirait d’une injustice et d’une iniquité à l’encontre de l’ensemble des citoyens du Québec. »

Dans Saint-Louis et Transformation B.F.L.5, un travailleur ayant subi une lésion professionnelle réclamait le remboursement du coût d’une chirurgie. Cette chirurgie était offerte en cabinet privé au coût de 400 $ dans un délai de moins d’un mois, alors qu’un délai de neuf mois était à prévoir en centre hospitalier.

La CLP a conclu que ces frais n’étaient pas remboursables en vertu de l’article 189 (2) LATMP. La chirurgie ayant été faite en cabinet privé, il ne s’agissait donc pas d’un soin ou un traitement fourni par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux6. Par ailleurs, le Règlement sur l’assistance médicale7 ne prévoit pas le remboursement de frais de chirurgie subie en cabinet privé. La Commission rappelle que seuls les soins, traitements et aides techniques prévus à l’article 189 LATMP et au Règlement peuvent être remboursés.

La CLP n’a donc pas réglé la question du remboursement des coûts des soins reçus dans des cliniques privées. Dans Saint-Louis et Transformation B.F.L.8, le tribunal ajoute : « […] Bien que le tribunal soit sympathique à la cause du travailleur qui, en obtenant une chirurgie en cabinet privé plus rapidement qu’en établissement hospitalier, accélère sa guérison et son retour au travail et par conséquent, diminue les frais reliés à sa réclamation, le tribunal ne peut faire droit à sa requête.[…] »

Ce paradoxe est au coeur du débat actuel sur la médecine en cabinet privé : y a-t-il lieu de privilégier une guérison et un retour au travail plus rapides en remboursant des frais de consultation de médecin non participant et d’intervention chirurgicale en cabinet privé? Cette option pourrait avoir pour effet de diminuer les coûts d’indemnisation, dans certains cas.

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