En droit du travail québécois, l’obligation de loyauté et la clause de non-concurrence se trouvent spécifiquement codifiées aux articles 2088 et 2089 du Code civil du Québec 1. Ce n’est pas le cas dans les provinces de common law et la Cour suprême du Canada a profité de l’arrêt RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc.2 pour clarifier les obligations des employés en contexte de départ massif ou « en bloc » au profit d’un concurrent.

Avant de nous intéresser au dispositif de la décision, relatons les faits pertinents de l’affaire. En 2000, à Cranbrook en Colombie-Britannique, la presque totalité des conseillers en placements de la succursale RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. (RBC) démissionnent et sont immédiatement embauchés par la succursale Merrill Lynch Canada Inc. (Merrill Lynch), concurrente directe dans le domaine du courtage en placements. Ce départ massif est coordonné par le directeur de RBC de l’époque, un dénommé Delamont, qui est du nombre des employés démissionnaires. Ces derniers ne donnent aucun préavis de départ à RBC.

Appelée à se prononcer dans le cadre de l’action en dommages-intérêts intentée par RBC contre Merrill Lynch, les conseillers en placements démissionnaires et le directeur Delamont, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique conclut à la responsabilité de chacun des co-défendeurs : le premier pour avoir incité des employés à une concurrence déloyale envers l’ancien employeur, les seconds pour violation des obligations implicites de leur contrat de travail de donner un préavis raisonnable et d’éviter une concurrence déloyale et le dernier pour manquement à son obligation implicite de bonne foi.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique infirme, à la majorité, chacune des conclusions de la cour inférieure, à l’exception de celle pesant sur les conseillers en placements pour absence de préavis raisonnable.

Saisie à son tour du dossier, la Cour suprême rectifie le tir. Avant de rétablir en partie le jugement de première instance, les juges majoritaires orientent essentiellement leur analyse sur la fin du lien d’emploi et les obligations en découlant. En effet, ils statuent sur l’existence de certaines obligations pouvant subsister et lier l’employé, même à la suite de sa fin d’emploi.

Suivant ces diverses obligations, que la Cour qualifie de résiduelles, l’employé démissionnaire se doit de fournir une période de préavis raisonnable et de respecter ses obligations fiduciaires ou celles relatives au contrôle exercé sur les activités de son employeur ainsi que son obligation de non-concurrence, seulement lorsque cette dernière est prévue au contrat. Si l’employé ne respecte pas ses obligations, il s’expose à une condamnation au paiement de dommages-intérêts, selon les circonstances de l’espèce.

La Cour insiste toutefois sur le fait qu’en l’absence d’une stipulation de non-concurrence incluse au contrat de travail, l’employé démissionnaire peut librement concurrencer son ancien employeur. Il n’existe donc aucune obligation implicite interdisant à un employé de faire concurrence à l’ancien employeur, comme l’a avancé à tort la juge de première instance. Il s’agit de la seule conclusion de la juge de première instance qui est jugée erronée, les autres étant maintenues et rétablies dans le jugement de la Cour suprême.

Si le dispositif de cette affaire clarifie certes les principes généraux de common law, il se veut plutôt redondant pour le système législatif québécois qui prévoit déjà explicitement des règles similaires. Il convient ici de rappeler qu’au Québec, le contrat de travail et l’ensemble des obligations qui en découlent sont assujettis exclusivement aux dispositions issues du droit civil d’origine française.

Malgré les similarités d’un régime législatif à l’autre, ressortent toutefois quelques différences notoires, à commencer par la notion d’obligation fiduciaire qui n’existe pas comme telle en droit civil. En fait, au Québec, tous les employés sont en principe soumis à une même obligation de loyauté générale qui continue de s’appliquer, même en cas de démission, tel que l’édicte clairement le texte de l’article 2088 C.c.Q. :

« 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.

Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui. » (Nous soulignons)

Toutefois, la jurisprudence émanant des tribunaux québécois atténue l’effet de cette dernière différence. Un certain courant révèle que le degré d’intensité de l’obligation de loyauté peut augmenter avec le niveau hiérarchique de l’employé ou l’importance de ses responsabilités professionnelles au sein de l’entreprise. Ainsi, il est fort probable que les tribunaux québécois en seraient venus à une conclusion semblable à celle de la majorité de la Cour suprême, à l’effet que le directeur Delamont devait faire primer les intérêts de l’employeur sur les siens.

Quant à la question du préavis raisonnable, la Cour suprême affirme que cette obligation est valable pour l’employeur certes, mais l’est tout autant pour les employés. Au Québec, les termes de l’article 2091 C.c.Q. reconnaissent spécifiquement ce caractère réciproque :

« 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. (Nous soulignons)

CONCLUSION

Que retenir de ceci? Bonne foi et loyauté ne sont pas nécessairement synonymes de non-concurrence en contexte de démission. Encore faut-il qu’une clause de non-concurrence soit prévue au contrat de travail, à défaut de quoi un employé aura en principe le champ libre après sa fin d’emploi. Chaque cas en étant un d’espèce, la prudence demeure toutefois de rigueur.

Bref, l’arrêt RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc. nous apparaît un excellent résumé de ce qu’un employé peut ou ne peut pas faire en contexte de démission au profit d’un concurrent. Les règles applicables, qu’elles proviennent de la common law ou du droit civil, sont conçues pour protéger l’employeur, tout en accordant le droit à l’employé de poursuivre sa carrière chez un compétiteur, d’où l’importance de prévoir une clause de nonconcurrence au besoin.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.