La Cour d’appel a récemment rendu trois décisions en matière de garde en établissement. Dans les affaires G. (G.) c. CSSS Richelieu-Yamaska1, Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher c. G. (A.)2 et T. (G.) c. Centre de santé et de services sociaux du Suroît3, la Cour d’appel insiste sur le fait que la dangerosité doit être prouvée et non seulement alléguée. L’opinion des experts quant à la dangerosité doit être motivée, sans quoi une demande de garde en établissement sera rejetée.
L’AFFAIRE G. (G.) c. CSSS RICHELIEU-YAMASKA4
Dans cette décision, l’usager est un homme de 33 ans qui habite chez ses parents. Il n’occupe aucun emploi. Il voit des complots partout. Il conserve des couteaux et une épée dans sa chambre et dort la lumière allumée en obstruant l’accès à sa chambre. Il répète à son père que celui-ci n’est pas son père biologique. Son père présente une requête pour qu’il lui soit ordonné de se soumettre à un examen psychiatrique. Celle-ci est accueillie. Deux médecins évaluent par la suite l’usager et concluent qu’il présente une dangerosité envers lui-même et autrui. Le CSSS présente une requête pour garde en établissement, laquelle est accueillie. L’usager se pourvoit contre ce jugement.
D’abord, la Cour d’appel note que le juge de première instance a analysé les faits et s’est penché sur les deux rapports d’examen concluant à des propos à teneur paranoïde ainsi qu’à la présence d’une psychose et d’une dangerosité de l’usager envers lui-même et autrui. La Cour mentionne que le juge de première instance a considéré que l’usager avait besoin d’un suivi, d’un encadrement et d’une aide médicale.
La Cour d’appel se demande si le juge de première instance a erré en concluant que la garde de l’usager dans un établissement de santé était nécessaire. Elle s’attarde aux critères qui régissent une telle demande. Elle souligne que la liberté de la personne est une valeur fondamentale de la société québécoise. La garde en établissement ne peut être autorisée que pour des raisons graves et sérieuses. Il n’existe pas de critères absolus ou exhaustifs pour déterminer la présence d’un danger. Cependant, la Cour note que ce danger doit être entendu dans le sens d’un danger de blessure physique. De plus, le « danger doit être probable ou clairement envisageable » et on ne peut se contenter de l’alléguer. La Cour insiste également sur l’importance, pour le juge de première instance, de motiver sa décision.
Or, la Cour considère que le premier juge a omis de se prononcer quant à la présence d’un tel danger. Elle estime que la preuve ne démontre aucun danger « clairement envisageable » pour l’intégrité physique de l’usager ou celle d’autrui. Elle précise qu’un diagnostic de maladie mentale ne crée aucune présomption de dangerosité. Pour la Cour, la garde en établissement devrait avoir plutôt pour objectif de protéger l’usager contre lui-même ou contre son entourage. La Cour a donc annulé l’ordonnance de garde rendue en première instance.
L’AFFAIRE CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX PIERRE-BOUCHER c. G. (A.)5
Dans cette affaire, l’usager est connu de l’établissement puisqu’il y avait déjà été transféré une première fois après avoir été déclaré non criminellement responsable d’une accusation d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire. L’usager avait déjà aussi fait l’objet d’une ordonnance de traitement d’une durée d’un an en 2008. De plus, il est connu pour un trouble de personnalité paranoïde avec des épisodes psychotiques. Avant d’être hospitalisé, l’usager a arrêté sa voiture sur un pont et bloqué la circulation en la stationnant à travers la route. L’établissement avait obtenu une garde provisoire afin de procéder à son évaluation. L’usager a fait l’objet de deux évaluations psychiatriques qui sont déposées au soutien d’une demande de garde en établissement. Le juge de première instance rejette cependant cette demande du CSSS, d’où le pourvoi.
La Cour d’appel mentionne que le juge de première instance a reconnu que l’usager présentait des propos confus et qu’il a insisté sur l’exigence d’une démonstration convaincante de la dangerosité. Il a toutefois décidé que la preuve à cet égard était insatisfaisante.
La Cour d’appel rappelle les deux conditions requises à l’appui d’une demande d’ordonnance de garde en établissement. La première condition requiert que deux rapports d’examen psychiatriques concluent à la nécessité de la garde en établissement. La seconde oblige le juge à être lui-même convaincu de la présence d’un danger pour la personne ou pour autrui et que la garde est nécessaire. Le juge peut très bien choisir d’écarter la preuve médicale pour des motifs valables qu’il est cependant tenu de justifier. La détermination du danger doit s’appuyer sur la preuve. La Cour précise qu’il doit s’agir d’un « danger important ou d’un potentiel de danger élevé ». Encore ici, elle souligne que la dangerosité ne découle pas du seul fait qu’une personne soit atteinte d’une maladie mentale.
La Cour analyse ensuite la preuve médicale. Elle précise que les deux psychiatres étaient d’opinion qu’en raison de son état de psychose, l’usager présentait un danger et sa garde était nécessaire. Or, les rapports psychiatriques ne font état d’aucun motif ou n’exposent pas les raisons à l’appui de cette opinion. La Cour estime que la preuve administrée en première instance ne permettait pas de conclure à la dangerosité de l’usager. Suivant la Cour, il manquait un élément de preuve essentiel qui aurait d’ailleurs dû être signalé par le juge de première instance. La Cour rejette donc l’appel. Cependant, il faut souligner le CSSS avait obtenu entretemps une ordonnance lui permettant d’hospitaliser l’usager et de le traiter pendant une période de trois ans.
L’AFFAIRE T.(G.) c. CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU SUROÎT6
Dans cette courte décision où la trame factuelle est absente, la Cour était saisie d’un appel à l’encontre d’une ordonnance de garde provisoire ainsi que d’une ordonnance de garde en établissement.
Nous comprenons de la décision que l’ordonnance de garde provisoire avait été rendue par la juge de première instance sur la foi d’un avis médical donné par un médecin qui, bien que n’ayant pas rencontré le père de l’usager, rapportait les propos de ce dernier eux-mêmes rapportés par un autre médecin.
La Cour d’appel est d’opinion que l’affirmation suivant laquelle l’usager peut présenter un danger grave pour lui-même ou pour autrui n’est pas autrement expliquée ni fondée sur les faits propres à cette affaire.
De plus, sur la foi d’allégations non prouvées, la juge a accordé une dispense de signification de la requête et abrégé le délai de présentation de celle-ci. De même, la juge a renoncé à l’interrogatoire de l’usager, sans que cette décision ne soit motivée.
Pour ce qui est de l’ordonnance de garde en établissement, la Cour d’appel note que la juge de première instance fonde sa décision seulement sur les deux rapports psychiatriques concluant à la nécessité de la garde. Elle s’est contentée de reprendre le constat des médecins quant à l’état de santé de l’usager. Encore ici, la juge de première instance a décidé de ne pas interroger l’usager. La Cour d’appel signale qu’un tribunal doit lui-même avoir des motifs sérieux de croire que l’usager représente un danger et que sa garde est nécessaire.
La Cour d’appel ajoute que les auditions ayant donné lieu aux ordonnances de garde provisoire et de garde en établissement n’auraient pas dû se dérouler dans le bureau de la juge, sans enregistrement des dépositions des témoins ou sans procès-verbal.
Pour tous ces motifs, la Cour d’appel accueille les pourvois et infirme les jugements dont appel tout en requérant la tenue d’une nouvelle audition.
CONCLUSION
Ces décisions rappellent qu’il ne faut pas prendre à la légère une demande de garde en établissement puisque, faut-il le rappeler, ce type de requête porte atteinte au droit à la liberté d’une personne garanti par la Charte des droits et libertés de la personne7.
Le juge devra lui-même être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve administrée, que la personne visée par la requête représente un danger pour elle-même ou pour autrui. Pour ce faire, il doit notamment procéder à l’interrogatoire de la personne concernée tel que le requiert l’article 780 du Code de procédure civile8, à moins de pouvoir démontrer l’application d’une exception permettant d’y passer outre9. Le juge peut même choisir d’écarter la preuve médicale pour autant qu’il justifie une telle décision.
De plus, la preuve doit non seulement être prépondérante, mais elle doit surtout être complète. À cet égard, il est primordial que les experts étoffent leurs rapports médicaux et y indiquent les motifs sur lesquels ils fondent leurs conclusions. Ils ne peuvent se contenter de décrire les faits et l’état mental de la personne pour conclure à la dangerosité de celle-ci envers elle-même ou autrui. Les rapports psychiatriques déposés au soutien de ce type de requête doivent faire état de motifs précis sur lesquels les experts fondent leur opinion, c’est-à-dire le lien entre les faits et la conclusion de dangerosité.
Dans ces décisions, la Cour d’appel insiste donc sur le fardeau de preuve que doit rencontrer l’établissement et invite les juges à refuser ce genre de requête en l’absence d’une preuve convaincante de dangerosité.