Le 22 décembre 2010, la Cour suprême rendait une décision importante en matière de santé et de services sociaux, le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée 1. Cette décision indique quelle est la compétence des gouvernements fédéral et provincial en matière de procréation assistée.
En effet, le 19 juin 2008, la Cour d’appel a jugé que certains articles de la Loi sur la procréation assistée 2, adoptée par le Parlement du Canada en mars 2004, excédaient la compétence de ce dernier et étaient donc inconstitutionnels 3. Cette décision de la Cour d’appel donnait raison au procureur général du Québec, ci-après «P.G.», qui lui avait soumis une question constitutionnelle visant à faire déclarer inconstitutionnels certains articles de cette loi.
Le procureur général du Canada, insatisfait de la décision de la Cour d’appel, a logé un appel à la Cour suprême. La Cour suprême devait se prononcer de nouveau sur la question constitutionnelle d’abord soumise à la Cour d’appel.
LA LOI SUR LA PROCRÉATION ASSISTÉE ET LES QUESTIONS SOUMISES À LA COUR SUPRÊME ET À LA COUR D’APPEL
La Loi sur la procréation assistée est une loi fédérale qui contient des dispositions qui interdisent ou réglementent certaines pratiques liées à la procréation assistée. Elle contient notamment une section visant à interdire certains actes tels que:
• le clonage;
• la modification du génome d’une cellule humaine;
• la rétribution d’une mère porteuse, ou;
• l’achat d’ovules, de spermatozoïdes ou d’embryons.
La constitutionnalité de la majorité des articles de cette section n’a pas été contestée par le P.G. En effet, ce dernier reconnait que ces interdictions, incluant celles énoncées ci-haut, relèvent bien de la compétence fédérale en matière criminelle.
Toutefois, le P.G. a contesté la constitutionnalité de certains articles de cette section, car il jugeait que ceux-ci empiétaient sur les compétences provinciales sur les hôpitaux, sur la pratique médicale, sur la propriété et les droits civils ou sur les matières d’une nature purement locale.
Il a également contesté la constitutionnalité de tous les articles contenus aux sections intitulées «Activités réglementées » et «Renseignements personnels et accès à l’information». La section «Activités réglementées » interdit, sauf en conformité avec les règlements fédéraux et suite à l’obtention d’une autorisation par l’agence fédérale, certaines activités liées à la procréation assistée, telles que la manipulation de matériel reproductif humain ou le remboursement des frais supportés par une mère porteuse. Quant à la section «Renseignements personnels et accès à l‘information », elle prévoit notamment la gestion des renseignements personnels par les détenteurs d’autorisation fédérale et la création d’un registre de renseignements médicaux sur les donneurs.
LE RENVOI RELATIF À LA LOI SUR LA PROCRÉATION ASSISTÉE
La Cour suprême a évalué si les dispositions contestées étaient liées à la compétence fédérale en droit criminel ou aux compétences provinciales sur les hôpitaux, sur la propriété et les droits civils ou sur les matières d’une nature purement locale. La formation de neuf juges étant divisée à quatre contre quatre, l’opinion du juge Cromwell a donc déterminé le sort du renvoi et la constitutionnalité des articles qui y étaient visés.
En effet, quatre juges ont répondu que les dispositions visées par le renvoi n’excédaient pas la compétence législative du Parlement fédéral en droit criminel et étaient donc constitutionnelles. Quatre autres juges ont répondu que ces dispositions relevaient exclusivement de la compétence des provinces, ce qui les rendait inconstitutionnelles. Le juge Cromwell a expliqué, en douze paragraphes, pourquoi il jugeait certains articles constitutionnels et d’autres non.
Il est d’avis que la plupart des dispositions visées par le renvoi sont inconstitutionnelles, notamment celles concernant l’accès à l’information et aux renseignements personnels. Toutefois, il a jugé constitutionnels :
• l’article interdisant notamment l’utilisation de matériel reproductif humain dans le but de créer un embryon si le donneur n’y a pas consenti par écrit et conformément aux règlements fédéraux;
• l’article interdisant l’obtention ou l’utilisation d’ovules ou de spermatozoïdes provenant d’un donneur de moins de dix-huit ans, sauf pour les conserver ou pour créer un être humain dont on est fondé à croire qu’il sera élevé par cette personne;
• l’article interdisant, sauf en conformité avec les règlements fédéraux et une autorisation de l’agence fédérale, de rembourser les frais supportés par un donneur d’ovule ou de spermatozoïde, par une personne assurant l’entretien ou le transport d’un embryon ou par une mère porteuse; et
• les articles établissant les mécanismes de mise en oeuvre de ces articles cités plus haut.
LA PROCRÉATION ASSISTÉE, UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE
La principale conséquence du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée est de confirmer que le Parlement peut, par le biais de sa compétence en matière de droit criminel, réglementer certains aspects des services de santé, tels que la manière de consentir à des soins de procréation assistée ou les conditions d’obtention d’une autorisation pour des activités de procréation assistée. Les conséquences sur l’organisation des établissements de santé du Québec sont donc importantes. Notons en particulier que le consentement à la procréation assistée et l’obtention des permis requis pour certaines activités liées à la procréation assistée seront assujettis aux deux paliers de gouvernement.
Les services de procréation assistée sont, depuis le 5 août 2010, des services de santé assurés en vertu de la Loi sur l’assurance maladie 4. Certains établissements de santé ont déjà commencé à offrir ces services ou seront appelés à le faire. Dans ce contexte, il est important de bien maîtriser le cadre juridique applicable.
Au fédéral
Comme cela a été exposé plus haut, la Loi sur la procréation assistée fédérale a d’abord pour effet d’interdire certains actes tels que le clonage ou la rétribution d’une mère porteuse. Cette loi prévoit également la création de l’Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée. Cette agence délivre des autorisations quant à certaines activités de procréation assistée. De plus, la loi fédérale prévoit que l’utilisation de matériel reproductif humain devra être soumise au consentement du donneur sous une forme prévue par règlement.
La section de la loi fédérale concernant l’accès à l’information et les renseignements personnels étant inconstitutionnelle, la Loi sur les services de santé et les services sociaux 5 et la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 6 continuent de pleinement s’appliquer en matière d’accès aux renseignements personnels.
Le Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi) 7 adopté par le gouvernement fédéral impose le respect de conditions particulières à remplir lors de l’obtention du consentement du donneur pour l’utilisation de matériel reproductif humain dans le but de créer un embryon. Notamment, plusieurs renseignements doivent être fournis par écrit au donneur pour que son consentement soit valide.
Au provincial
Quant à la législation provinciale, la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée 8 est entrée en vigueur le 5 août 2010. Cette loi prévoit l’octroi de permis par le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec pour l’exploitation d’un centre de procréation assistée. Le Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée 9, adopté en vertu de cette loi, crée d’autres conditions de validité du consentement d’une personne à une activité de procréation assistée la concernant.
De plus, le Code civil du Québec 10 contient également des dispositions sur le consentement aux soins, sur la nullité du contrat de mère porteuse, ainsi que sur la filiation des enfants nés d’une procréation assistée 11.
CONCLUSION
Le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée confirme la constitutionnalité de la plupart des articles de cette loi et permet à l’Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée de délivrer des autorisations. De plus, la loi québécoise et son règlement balisent également la pratique de la procréation assistée.
Les établissements de santé désirant offrir des services de procréation assistée auront donc beaucoup à faire pour s’assurer de leur conformité aux multiples lois et règlements applicables. Il pourrait notamment être intéressant de développer des formulaires de consentement conformes aux deux lois et au Code civil du Québec. Souhaitons toutefois que les gouvernements provincial et fédéral s’accordent sur les autorisations à obtenir pour exercer des activités réglementées, tel que le leur permettent les articles 68 et 69 de la Loi sur la procréation assistée.