1. Changement jurisprudentiel important concernant l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu versée suite à la cessation d’une assignation temporaire pour une cause extrinsèque
-Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341 (Ann Quigley). Requête en révision judiciaire, 26 novembre 2013, 200-17-019337-138.
En octobre 2013, la juge administrative Ann Quigley a rendu une décision importante sur une demande de transfert de l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu (ci-après, l’« IRR ») versée à un travailleur congédié pour cause alors qu’il était en assignation temporaire. L’employeur alléguait que l’IRR a été versée pour une raison étrangère à la lésion professionnelle et ne devrait pas être imputée à son dossier.
Après avoir analysé les différentes dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, c. A-3.001, ci-après la « LATMP ») et effectué une analyse de la jurisprudence, la juge a conclu que l’alinéa 2 de l’article 326 LATMP n’autorise qu’un transfert complet, de la totalité des coûts (IRR, frais, etc.), pour une période donnée. Lorsque l’employeur a demandé que seule l’IRR ne soit pas imputée à son dossier, il s’agissait alors d’un transfert partiel.
Par conséquent, la juge a analysé la question sous l’angle du lien direct, ou non, entre les prestations versées et la lésion professionnelle. Elle a conclu que « les demandes de transfert partiel de coûts devaient plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 LATMP afin de déterminer si les prestations ont été imputées ou non en raison de l’accident du travail » (paragraphe 96). L’employeur devait faire sa demande dans le délai de la prescription civile (3 ans). Il devait démontrer l’absence de lien direct entre les prestations qu’il souhaitait faire retirer de son dossier et l’accident du travail.
Par sa preuve, Supervac 2000 a démontré que l’assignation temporaire était toujours disponible, « qu’elle l’aurait été jusqu’à la date de consolidation de la lésion puisqu’il s’agissait d’une série de tâches qui sont disponibles toute l’année » (paragraphe 136) et était autorisée par le médecin. L’interruption de l’assignation temporaire était clairement due au congédiement pour une autre cause. Par conséquent, la juge a conclu que le versement de l’IRR après le congédiement était relié à une situation étrangère à l’accident du travail et les coûts ne doivent pas être imputés au dossier de l’employeur.
Une requête en révision judiciaire a été déposée le 26 novembre 2013. Il est à noter que les principes énoncés dans cette décision ont été suivis dans plusieurs autres décisions au cours des derniers mois.
2. La recevabilité en preuve de documents relatifs à une filature : deux courants
– Fernandes et Arr. Rosemont/Petite Patrie, 2013 QCCLP 6354 (Robert Langlois). Requête en révision déposée le 13 décembre 2013.
Un traceur de lignes sur la chaussée allègue avoir subi une lésion professionnelle alors qu’il était affecté exceptionnellement à l’entretien ménager de locaux administratifs. Lorsque son superviseur l’invite à quitter les lieux parce qu’il travaille de façon insatisfaisante, il déclare s’être blessé à l’épaule droite en lavant le plancher. La CSST rejette sa réclamation pour lésion professionnelle. À l’audience de la CLP, l’employeur annonce son intention de déposer un rapport de filature, un enregistrement réalisé lors de cette filature ainsi que des photographies. Il veut également mettre en preuve des bandes vidéo captées par une caméra de surveillance sur les lieux du travail. Le tribunal soulève d’office la question de leur recevabilité en preuve.
L’employeur invoque plusieurs doutes sur la loyauté du travailleur pour justifier la surveillance qu’il a exercée à son insu. À deux reprises, des filatures sont initiées, sans que l’employeur n’ait démontré avoir tenté de trouver l’adresse de résidence du travailleur par des moyens raisonnables. Lors de la première filature, il n’a pas de réel motif. L’employeur invoque le refus, à deux reprises, d’assignations temporaires qui étaient peu exigeantes, l’absence d’évolution et des doutes sur la loyauté du travailleur pour justifier une seconde surveillance. La CLP retient que c’est au médecin traitant qu’il revient de décider de la capacité du travailleur à occuper une assignation temporaire et qu’aucune preuve ne vient établir que le travailleur aurait induit son médecin en erreur. Pendant ce temps, l’employeur ne demande pas d’expertise et n’initie pas de procédure d’évaluation médicale. Considérant l’atteinte à la vie privée du travailleur et les motifs de l’employeur ne justifiant pas une dérogation à ce droit, le dépôt du rapport de filature, de l’enregistrement réalisé lors de cette filature ainsi que des photographies prises à cette occasion est refusé.
Par ailleurs, la CLP décide que la surveillance effectuée par l’employeur à l’aide d’une caméra sur les lieux mêmes du travail ne portait pas atteinte à l’honneur, à la dignité ou à la réputation du travailleur. Le dépôt d’images ou de bandes vidéo captées par les caméras de surveillance sur les lieux du travail alors que le travailleur vaquait à ses occupations est donc autorisé. Après avoir entendu la preuve, la CLP conclut que ces images ne remettent pas en question la crédibilité du travailleur sur les circonstances d’apparition des douleurs. Le travailleur a donc subi une lésion professionnelle.
– Légaré et Signalisation SMG inc., 2013 QCCLP 6231 (Suzanne Séguin).
Dans une première décision (2012 QCCLP 4356), la CLP décide, entre autres, de la capacité du travailleur à reprendre son travail. La preuve qui a été faite à cette audience comportait, notamment, une filature révélant que le travailleur avait de bonnes capacités physiques. L’examen fait par un orthopédiste, à la même époque que l’enquête, s’était avéré normal. Se basant notamment sur ces preuves, la CLP a conclu que le travailleur avait la capacité de reprendre le travail à la date de cet examen.
Le travailleur demande une révision sous l’article 429.56 LATMP. Il reproche notamment au premier juge administratif d’avoir apprécié sa crédibilité en considérant la preuve par filature. Il prétend qu’il y a eu atteinte à son droit à la vie privée ainsi qu’à celle de ses voisins. Lors de l’audience initiale, il ne s’est pas opposé au dépôt en preuve de cette enquête. Selon un courant jurisprudentiel, il n’est pas nécessaire pour un juge de traiter de la recevabilité d’une preuve de filature (bande vidéo et rapport d’enquête) dans sa décision en l’absence d’objection d’une partie en ce sens. La CLP reconnaît alors, de façon implicite, que cette preuve n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et que son utilisation n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La CLP siégeant en révision retient que le travailleur a consenti implicitement à la production de cette preuve.
Quant au droit à la vie privée des voisins, le travailleur en a fait mention à plusieurs reprises lors de l’audience devant le premier juge. La CLP retient qu’il est normal qu’un voisin ainsi que sa propriété soient filmés alors que le travailleur pelletait de la neige au moment de la filature. Elle conclut donc à l’absence d’erreur du premier juge administratif, confirmant ainsi sa décision.
3. La répétition de mouvements et une variété de tâches
– St-Pierre et CH Vallée-de-l’Or soins psychiatriques, 2013 QCCLP 6913 (Michel Moreau).
Une préposée en alimentation travaillant 38 heures de travail par semaine a développé une ténosynovite sténosante au majeur, à l’annulaire et à l’auriculaire droit en 2012. La CLP observe que la travailleuse utilise la main droite lors de chacune des tâches, principalement en préhension. Considérant que, depuis 10 ans, la travailleuse prépare et sert quotidiennement une moyenne de 300 repas, qu’elle effectue le lavage des cabarets, couverts, chaudrons et autres instruments de cuisine, que les répétitions de mouvements se succèdent en continu et à un rythme assez rapide, en sollicitant essentiellement sa main droite, la CLP conclut donc que la travailleuse a subi une maladie professionnelle.
4. La lésion attribuable à un tiers : la notion de piège
– Plomberie Outaouais enr. et Entreprises RGMSP inc., 2014 QCCLP 112 (Michèle Gagnon Grégoire).
Entreprises RGMSP inc. est maître d’œuvre sur un chantier résidentiel. Un plombier de Plomberie Outaouais, un sous-traitant, a effectué des travaux sur ce chantier. Ce plombier a voulu utiliser une échelle pour descendre du deuxième étage lorsqu’il est tombé. Il a poursuivi sa chute en passant par une ouverture du plancher du rez-de-chaussée. Il s’est écrasé sur le plancher de béton du sous-sol et a subi un traumatisme crânien.
Le rapport de l’inspecteur révèle que l’échelle de chantier venait tout juste d’être réinstallée, sans avoir été adéquatement fixée par le charpentier menuisier. Rien n’indiquait que le moyen d’accès n’était pas prêt à être utilisé et le charpentier menuisier effectuait d’autres tâches.
La CLP conclut que la configuration des lieux constituait un piège ou un guet-apens. Même si l’accident peut être survenu suite à une perte d’équilibre du travailleur, celui-ci ne pouvait pas s’attendre à ce que l’échelle ne soit pas fixée et à ce que l’ouverture menant au sous-sol ne soit pas fermée. La lésion est donc attribuable à un tiers, le maître d’œuvre, qui était responsable de la coordination des travaux et de la sécurité des lieux. Tous les coûts sont transférés à l’unité à laquelle appartient Entreprises RGMSP inc.
5. Les meilleures pratiques…
Le 25 novembre 2013, la CLP a ordonné la formation d’un banc de trois juges administratifs pour trancher la question suivante :
« La décision reconnaissant la relation entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle constitue-t-elle une fin de non-recevoir pour l’employeur qui demande un transfert de coûts au motif que ce nouveau diagnostic est une lésion professionnelle prévue à l’article 31(1), soit une blessure ou une maladie qui survient par le fait où à l’occasion des soins qu’un travailleur a reçus pour une lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins? »
En attendant que la décision soit rendue sur cette question, nous vous recommandons d’identifier les dossiers qui traitent de ce sujet et de demander à la CLP de suspendre ces dossiers.