La Cour suprême se questionne sur le droit au régime de retrait préventif de la travailleuse enceinte 

Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33.

Le 1er mai dernier, la Cour suprême a rendu une décision portant sur le droit d’une enseignante suppléante enceinte au retrait préventif de la travailleuse enceinte en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (RLRQ, chapitre S-2.1, ci-après, la « LSST »).

Avant sa grossesse, elle faisait régulièrement des remplacements. Après la remise des certificats visant le retrait préventif de la travailleuse enceinte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « CSST »), elle est informée qu’elle est admissible au programme, si elle obtient un contrat. Quelques jours plus tard, elle est appelée pour une offre de suppléance, qu’elle accepte.

En raison des risques biologiques, la CSST l’informe qu’elle a droit à une réaffectation ou à un retrait préventif. La Commission des lésions professionnelles (ci-après, la « CLP ») conclut qu’elle n’est pas admissible à ce régime puisqu’elle n’est pas une « travailleuse » parce qu’elle ne pouvait pas entrer dans la salle de classe. Selon la CLP, il n’y avait aucun contrat de travail formé. La Cour supérieure et la Cour d’appel concluent que la décision de la CLP était raisonnable et la confirme. La Cour suprême accueille l’appel et déclare que madame Dionne a droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte.

La Cour retient que lorsqu’un travailleur invoque son droit de refuser d’exécuter un travail dangereux ou de demander un retrait temporaire du lieu de travail en application de la LSST, il ne doit pas être considéré en absence du travail. L’exercice de son droit ne peut être considéré comme un refus d’exécuter le contrat de travail. Ainsi, une travailleuse enceinte est réputée être « au travail » pendant sa réaffectation ou son retrait préventif. La LSST protège les femmes enceintes, leur santé, leur sécurité financière et leur sécurité d’emploi.

La Cour conclut que lorsque l’enseignante enceinte accepte l’offre de suppléance, un contrat de travail est conclu. Le droit que la LSST lui confère de se retirer d’un lieu de travail dangereux ne permet pas de conclure que son retrait préventif fait obstacle à la formation du contrat de travail. C’est l’incapacité de son employeur de lui fournir un travail sans danger, de la réaffecter, qui l’empêchait de travailler. Madame Dionne est donc une « travailleuse » au sens de la LSST et elle a droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte.

L’obligation d’accommodement dans un contexte de lésion professionnelle

Caron c. Commission des lésions professionnelles, 2014 QCCS 2580.

Un éducateur ayant subi une lésion professionnelle demandait à la CLP de déclarer que, dans le cadre du processus de réadaptation (ou de détermination d’un emploi convenable), il était capable d’exercer un des deux emplois convenables qu’il a identifiés, soit celui de chef d’équipe, une tâche qu’il a occupée pendant une assignation temporaire, et celui d’éducateur, avec les adaptations requises afin que soient respectées ses limitations fonctionnelles. L’employeur, un centre de réadaptation en déficience intellectuelle, a affirmé n’avoir aucun emploi convenable à lui offrir. La CSST a pris acte de cette information et a rendu une décision à cet effet. La CLP a rejeté son recours.

Le travailleur a produit une requête en révision judiciaire de cette décision.

La  Cour supérieure est d’avis que le travailleur a le droit de contester l’affirmation de l’employeur qu’il n’a pas d’emploi convenable à lui offrir, en invoquant la Charte des droits et libertés de la personne, (RLRQ, chapitre C-12, ci-après, la « Charte ») et la CLP a le devoir de trancher ce différend.

Selon la Cour, si l’absence d’emploi convenable résulte d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte, donc si le travailleur est victime de discrimination illégale en raison de son handicap résultant de sa lésion professionnelle, la CLP a le devoir d’exercer les vastes pouvoirs de réparation que lui confère la Charte. La CLP n’a pas tranché cette question.

La Cour identifie la question soulevée par le travailleur comme étant celle de déterminer si la Charte peut constituer le fondement d’une obligation de l’employeur de modifier un emploi existant pour le rendre convenable. Puisqu’elle n’a pas suivi la démarche requise pour déterminer si le travailleur a été victime de discrimination illicite fondée sur son handicap, elle n’a pas pu déterminer si le droit de retour au travail dans un emploi convenable a été enfreint.  La requête en révision judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à la CLP, afin qu’elle tranche cette question.

L’entrave à un examen médical en raison du refus de retirer un hijab

Berrada et Commission scolaire de Montréal, 2013 QCCLP 734 (Robert Langlois).

Une éducatrice de service de garde conteste une décision de la CSST portant sur la suspension de l’indemnité de remplacement de revenu (ci-après, l’« IRR ») imposée suite à une entrave à un examen médical.

La travailleuse subit une fracture au poignet droit et une entorse de l’épaule droite. Elle rencontre un médecin à la demande de la CSST. Lors de cet examen, elle refuse de retirer son voile de type hijab, malgré les demandes faites par le médecin. Ce dernier lui explique que cela est nécessaire afin de l’examiner adéquatement. Il lui propose différents arrangements afin que l’examen puisse avoir lieu, ce qu’elle refuse. Pour cette raison, le médecin met fin à l’examen.

Selon le Code de déontologie des médecins (RLRQ, chapitre M-9, r. 17), le médecin ne doit procéder à l’examen médical seulement dans des circonstances propices à la qualité de son expertise. Il doit être en mesure d’agir avec compétence. Le médecin choisi par la CSST doit être en mesure de manipuler les membres supérieurs, vérifier s’il y a déformation ou modification de la forme, analyser la texture et la couleur de la peau et noter s’il y a une cicatrice. Puisque les épaules de la travailleuse sont recouvertes par le voile, il lui est impossible de procéder adéquatement à l’examen.

La CLP doit déterminer si la suspension de l’IRR en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (RLRQ, chapitre A-3.001, ci-après, la « LATMP ») est justifiée en l’espèce. L’article 142 alinéa 2 LATMP prévoit que la CSST peut suspendre l’IRR si un travailleur entrave un examen médical prévu par la loi, omet ou refuse de se soumettre à cet examen. La décision de la travailleuse de ne pas collaborer constitue une telle entrave. Aucun motif n’est présenté par la travailleuse pour expliquer son action. Aucune raison valable justifiant ce refus n’ayant été faite, la CLP confirme la décision de la CSST de suspendre le versement de l’IRR.

L’impact de la crédibilité sur l’admissibilité d’une réclamation

CSSS Haut-Richelieu/Rouville et Langlois, 2014 QCCLP 2363 (Francine Charbonneau).

La CLP doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle. De façon préliminaire, la CLP doit se prononcer sur l’admissibilité d’une preuve par filature.

La CLP conclut que l’employeur avait des motifs rationnels, raisonnables et sérieux de procéder à une telle enquête. L’événement allégué, soit d’avoir glissé sur un gant bleu qui était sur un plancher pâle, suscite des doutes quant à sa survenance. Alors que le travailleur déclare avoir des douleurs importantes, il ne se présente pas à des examens médicaux et à des traitements de physiothérapie. Il ne s’est pas présenté à une assignation temporaire.  Ces discordances amènent l’employeur, après une évaluation de toutes les particularités de la situation, à mandater une équipe à effectuer une surveillance, nécessaire afin de vérifier l’état de la personne. Elle est réalisée dans des endroits publics respectant ainsi le principe de la vie privée. La CLP conclut que la preuve ne déconsidère pas l’administration de la justice. La filature est donc recevable.

Bien qu’il y ait un diagnostic de blessure au sens de l’article 28 LATMP, soit une entorse dorso-lombaire, les autres critères de la présomption de cet article ne sont pas satisfaits. À plusieurs reprises, le travailleur a bonifié sa version de l’événement devant les différents médecins qu’il a consultés. Ses allégations ont été démenties par la vidéo, en particulier son incapacité. Contrairement à ses propos, le travailleur effectue des mouvements qui ne sont aucunement limités, lorsqu’il est filmé à son insu. La preuve démontre qu’il a inventé de faux prétextes pour ne pas se présenter à des rendez-vous. La crédibilité du travailleur est entachée. La CLP conclut que le travailleur ne peut pas bénéficier de la présomption et qu’il n’a pas fait la preuve qu’il a subi un accident de travail. La requête de l’employeur est accueillie : le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

L’interprétation de la notion de « négligence grossière et volontaire »
 

Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Malonga, 2014 QCCLP 373 (Jean-François Martel).

La CLP est saisie de l’admissibilité d’une réclamation pour un accident de travail. L’employeur prétend en effet qu’en vertu de l’article 27 LATMP, le travailleur a fait preuve de négligence grossière et volontaire faisant obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.

Ce journalier manutentionnaire occupe, au moment des événements, un poste d’aide-boulanger à la couche et procède à la scarification des pains. Les employés utilisent un four industriel dont la vitesse de fonctionnement leur donne 40 secondes pour lamer la pâte. La consigne de sécurité consiste à ne pas tenter de récupérer une lame échappée par mégarde, d’aucune façon. Il convient d’aviser le superviseur afin que le convoyeur soit mis en arrêt. Malgré la formation reçue, la connaissance de cette directive et la mise en garde d’un collègue présent lors des événements, le travailleur passe outre cette consigne et tente de récupérer une lame qu’il a échappée.  C’est alors que sa tête est restée coincée. Il subit une commotion cérébrale et une entorse cervicale.

L’employeur invoque que la lésion est uniquement due à la négligence volontaire et grossière de la part du travailleur. À son avis, le travailleur a sciemment fait fi de la consigne en toute connaissance de cause.

La CLP est d’avis que le travailleur a fait preuve de négligence volontaire en ce qu’il a été téméraire et insouciant en contrevenant délibérément aux directives et de négligence grossière puisqu’il connaissait les graves conséquences que pouvait causer son geste. La CLP déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

Bridor inc. et Sansfaçon Fournier, 2014 QCCLP 1122 (Marlène Auclair).

La CLP doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle. Lors de son témoignage, ce dernier explique qu’après avoir terminé ses tâches d’aide-boulanger, son collègue s’empare des coquilles auditives du travailleur et s’enfuit. Par réflexe, il se met à courir pour récupérer son bien. Il tente de l’attraper, se tourne la cheville et tombe. Il subit une fracture du tibia et du péroné du membre inférieur droit.

L’employeur soumet que l’article 27 LATMP s’applique parce que le travailleur a enfreint une règle de sécurité, soit de ne pas courir dans son établissement, dans un geste volontaire, imprudent et insouciant. La CLP retient que c’est par simple réflexe que le travailleur se met à courir à la suite de son collègue. Il s’agit d’un geste automatique, sans réfléchir aux conséquences de son acte. Bien qu’il n’ait pas respecté une consigne de l’employeur, la juge administrative estime que le geste en lui-même n’avait pas de conséquences graves, manifestes et évidentes.

Puisque le travailleur n’effectue pas son travail au moment de ce geste, il ne peut pas bénéficier de la présomption de l’article 28 LATMP. Cependant, la preuve est suffisante pour conclure qu’il y a eu une lésion professionnelle, soit un accident survenu à l’occasion de son travail.

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