1. Quelle est l’étendue des obligations de l’employeur dans le cadre d’une réclamation en vertu de l’article 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles ?
• Construction Château St-Marc inc., 2011 QCCLP 6138, CLP 424295-71-1011, 15 septembre 2011, Robert Langlois, juge administratif.

Le 6 octobre 2009, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CSST ») envoie une lettre à l’employeur l’informant du défaut de paiement des cotisations par un entrepreneur ayant agi à titre de sous-traitant pour la période du 1er janvier au 6 octobre 2009. En vertu de l’article 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la « LATMP »), l’employeur est tenu au paiement de ces cotisations en proportion des travaux exécutés en son nom. L’employeur et l’entrepreneur ont estimé la somme due. Avant même l’envoi de la facture, l’employeur achemine un chèque fait conjointement à l’ordre de l’entrepreneur et de la CSST, portant le logo de l’employeur et au montant de 27 965,96 $. Le chèque est endossé par l’entrepreneur. La CSST encaisse ce chèque.

Le 29 janvier 2010, la CSST informe l’employeur que sa part de responsabilité est de 36 731,07 $, somme à laquelle s’ajoutent des intérêts. L’employeur fait parvenir un chèque de 8 765,11 $ représentant la différence entre les deux montants.

La CSST considère que le paiement de 27 965,96 $ est un paiement « non spécifique » s’appliquant au compte de l’entrepreneur. Elle réclame le paiement de la somme de 28 595,57 $ à l’employeur. Une mise en demeure est envoyée à l’employeur, indiquant qu’une saisie des biens par mesure de recouvrement de la créance pourrait être faite. Le 11 mai 2009, l’employeur transmet un chèque de 28 595,57 $ à la CSST afin d’éviter une saisie.

À l’audience devant la Commission des lésions professionnelles (ci-après la « CLP »), l’employeur admet qu’il devait la somme de 36 886,06 $ à la CSST, mais prétend que le montant a été acquitté.
La CLP précise que la CSST pouvait raisonnablement conclure qu’il s’agissait d’un acompte sur les sommes dues par l’entrepreneur. En effet, le chèque du 11 mai 2009 suit de quelques mois un chèque semblable, mais pour une période différente. Ce chèque est fait par l’employeur, quelques semaines après l’envoi d’une lettre de la CSST lui mentionnant qu’elle pourrait lui réclamer des cotisations impayées par l’entrepreneur pour une nouvelle période. Il est versé tout entier à la CSST. L’employeur n’est pas tenu de payer les cotisations autres que celles dues par l’entrepreneur pour la période où il réservait ses services. Or, la CLP constate que l’employeur s’est vu contraint de payer 65 326.64 $ pour régler une dette de 36 731.07 $.

Si la CSST avait des doutes, elle pouvait communiquer avec les parties, plutôt que de décider unilatéralement de l’appliquer au compte « non spécifique » de l’entrepreneur. La CSST reproche à l’employeur d’avoir voulu régler ses dettes avant la transmission du compte, ce qui équivaut à nier le droit d’une personne de payer une facture par anticipation pour se libérer de son obligation, et a exigé sans droit le paiement de la somme de 28 595.57 $. L’employeur, ayant acquitté cette somme pour éviter les préjudices, a droit à la restitution de cet indu. La CSST doit donc remettre à l’employeur cette somme.

2. Un employeur a-t-il l’obligation de donner accès à un rapport d’enquête interne à un travailleur pour la préparation de sa preuve ?
• Morin et ASSSM, 2011 QCCLP 6393, CLP 389905-62B-0909, 29 septembre 2011, Michel Watkins, juge administratif.

La travailleuse conteste la décision de la révision administrative ayant déclaré qu’elle n’a pas été victime d’une lésion professionnelle de nature psychologique en lien avec des événements qu’elle allègue être reliés au travail. Son représentant demande à la CLP d’ordonner à l’employeur de lui permettre l’accès à un rapport d’enquête sur le climat de travail au sein de l’équipe de santé environnementale afin de préparer sa preuve. Cette demande est formulée lors de la première journée d’audience, après qu’un seul témoin ait été entendu.

Rappelant que chaque partie est maître de sa preuve, la CLP conclut qu’elle ne peut ordonner à une partie de transmettre à l’autre partie un document aux seules fins d’en prendre connaissance et de préparer sa preuve en conséquence. Aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit une telle ordonnance.

La CLP juge que, à ce stade des procédures, il est prématuré d’ordonner l’accès au rapport d’enquête. Aucune preuve n’est faite sur le mandat confié à l’enquêteur ni sur la présence ou non d’une garantie de confidentialité. La travailleuse, principale intéressée par l’obtention du rapport, n’a pas témoigné. Or, il est primordial d’entendre d’abord la travailleuse au sujet de circonstances de sa participation à l’enquête et aux effets qu’elle y attribue. Plusieurs personnes ayant participé à cette enquête seront appelées à témoigner.

La demande d’accès au rapport d’enquête s’apparente à une partie de pêche. Le document n’est pas admis en preuve et sa pertinence n’est pas établie. Sa pertinence ne pourra être déterminée qu’après le témoignage approprié des personnes concernées par l’enquête et la démonstration d’un lien « rationnel minimal » entre l’enquête, le rapport et la lésion professionnelle alléguée. La requête est rejetée.

3. Quand un travailleur a-t-il un intérêt à déposer une réclamation pour maladie professionnelle?
• Duchesne et Hôpital Maisonneuve-Rosemont, 2011 QCCLP 6434, CLP 406198-71-1003 et 428059-71-1012, 4 octobre 2011, Guylaine Henri, juge administratif.

Le 16 février 2009, une préposée aux bénéficiaires consulte un médecin pour des problèmes aux mains apparus quelque temps auparavant. Le médecin lui prescrit une crème hydratante et le port de gants non allergènes. Il lui recommande également de cesser l’usage du gel antiseptique. En mars 2009, elle consulte un second médecin qui prescrit une crème anti-inflammatoire et une crème de type corticostéroïde pour ses mains. Elle continue de porter les gants antiallergiques que lui fournit son employeur. Pendant ses vacances, l’état de ses mains s’améliore, puis se détériore à son retour au travail. Le 12 novembre 2009, elle consulte un médecin qui prescrit un arrêt de travail, émet une attestation médicale pour la CSST et la réfère en dermatologie. Elle produit sa réclamation à la CSST le 13 novembre 2009.

L’employeur soutient que la réclamation est irrecevable puisqu’elle est produite après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 272 LATMP. La travailleuse explique ne pas avoir produit de réclamation auparavant parce que, d’une part, les médecins lui affirmaient que ses problèmes allaient se résorber si elle suivait le traitement prescrit et, d’autre part, qu’aucun arrêt de travail n’était prescrit. Elle mentionne également qu’elle assume une partie du coût des crèmes prescrites, l’autre partie étant payée par son assurance. La part de la travailleuse est de 53 $.

La CLP est d’avis que le paiement de sommes aussi minimes ne peut entraîner la perte des droits de la travailleuse. Avant son arrêt de travail, elle n’avait pas d’intérêt à déposer une réclamation. La CLP conclut que la travailleuse a un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut de produire une réclamation dans le délai de six mois prévu à l’article 272 LATMP.

4. La CLP peut-elle ordonner à un travailleur de se soumettre à une expertise médicale demandée par l’employeur?
• Guillemette et Collège Lionel-Groulx, 2011 QCCLP 5931, CLP 419282-64-1009, 8 septembre 2011, Philippe Bouvier, juge administratif.

Un travailleur conteste la décision de la CSST qui a déclaré qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 janvier 2010. À l’audience, l’employeur demande à la CLP de se saisir d’une question préliminaire et d’ordonner au travailleur de se soumettre à un examen médical auprès du médecin de l’établissement. Le but de l’employeur est exclusivement d’obtenir une opinion médicale sur le lien de causalité entre les événements rapportés et le diagnostic posé par le médecin du travailleur.

Après avoir rappelé les deux courants jurisprudentiels portant sur le pouvoir de la CLP d’ordonner à un travailleur de se soumettre à une expertise médicale en dehors de la procédure d’évaluation médicale, la CLP conclut que le droit à l’intégrité et à l’inviolabilité de la personne du travailleur n’est pas absolu. Il renonce implicitement à ce droit en soumettant une réclamation auprès de la CSST et en déposant une expertise médicale sur son état de santé et la relation causale auprès de la CLP. Par ailleurs, le refus du travailleur de se soumettre à cet examen porte atteinte au droit de l’employeur d’être entendu. La CLP pourra également bénéficier d’une preuve plus complète afin de résoudre le litige. Par conséquent, la CLP ordonne au travailleur de se soumettre à un examen médical effectué par un médecin désigné par l’employeur dans un délai de 60 jours de la notification de la décision.

FINANCEMENT EN BREF

PAYER POUR LES AUTRES…COMMENT SE PROTÉGER ?
LA CSST, ÇA COÛTE CHER! Encore plus lorsque l’on a la mauvaise surprise de payer pour les autres employeurs, tel que nous l’avons vu dans la décision Construction Château St-Marc inc. résumée dans cette chronique.

Tout comme cet employeur, vous pourriez recevoir une lettre de la CSST vous informant que l’entrepreneur (ou une agence de personnel à laquelle vous avez fait appel) fait défaut de payer ses cotisations. La CSST se tournera vers vous pour pallier ce manque. Est-ce légal? Devez-vous répondre? Est-ce une saisie indirecte ?

L’article 316 de la LATMP prévoit cette situation et se lit comme suit :

316. La Commission peut exiger de l’employeur qui retient les services d’un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.

Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d’après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main-d’œuvre, plutôt que d’après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l’article 291.

L’employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d’être remboursé par l’entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu’il lui doit.

Lorsqu’un employeur démontre qu’il retient les services d’un entrepreneur, la Commission peut lui indiquer si une cotisation est due par cet entrepreneur.

La CSST peut donc exiger d’un tiers les cotisations impayées par un entrepreneur fautif, duquel il a requis des services.

Maintenant, devez-vous répondre à cette demande de la CSST ? Bien sûr. Vous devez indiquer à la CSST quelle est la proportion de votre contrat avec l’entrepreneur fautif qui correspond au coût de la main-d’œuvre. Vous devez dénoncer la valeur totale du contrat. Un contrat contient souvent une provision pour l’outillage, le matériel nécessaire à son exécution, des frais de gestion et bien entendu une marge de profit. Seule la partie attribuable à du salaire est redevable.

L’article 316 LATMP prévoit également que l’employeur peut être remboursé et retenir les sommes payées à même l’argent qui serait dû à l’entrepreneur. Toutefois le contrat est souvent terminé depuis longtemps et déjà entièrement payé. Il n’y a donc pas d’argent à retenir.

La meilleure façon de se prévaloir contre ce risque demeure « l’attestation sur l’état de conformité CSST » que vous êtes en droit d’exiger de l’entrepreneur.
Vous pouvez en faire la demande directement par le biais de votre accès au guichet électronique. Voici le chemin :

Mes services en ligne ► Formulaires de demande ► Demande d’attestation ou d’information sur l’état de conformité ► Remplir un formulaire.

Pour ce faire, vous aurez besoin des détails du contrat, soit sa description, la date de fin des travaux, le montant total, les coûts de la main-d’œuvre liés au contrat ainsi que le numéro d’entreprise du Québec (NEQ) de l’entrepreneur.

L’article 316 LATMP est donc un mécanisme allégé de saisie en faveur de la CSST qui se rattache uniquement à la valeur du contrat que vous concluez avec l’entrepreneur. Néanmoins, en investissant un peu de temps et d’efforts, vous pouvez vous protéger contre cette fâcheuse surprise.

Soyez prévoyants, car alors que nous avions des questions à ce sujet de façon très sporadique ces dernières années, il n’est pas rare dorénavant de répondre plusieurs fois par mois à ces questions de nos clients.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.