La pandémie de la COVID-19 a transformé le monde du travail tel que nous le connaissions. Le télétravail est devenu la norme établie pour bon nombre d’employés en raison des consignes de sécurité et de santé publique relatives à la crise sanitaire. Cette pratique courante du télétravail place les intervenants du monde du travail face à de nouveaux défis de toutes sortes. Notamment, il est maintenant plus courant qu’un travailleur dépose une réclamation à la CNESST pour une lésion professionnelle, en alléguant une situation survenue à domicile, alors qu’il effectuait du télétravail.

Bien qu’elle n’exclue pas les situations où un travailleur effectue son travail à l’extérieur de l’établissement, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) régissant l’admissibilité des lésions professionnelles, n’a pas été adoptée à une époque où cette réalité était courante. La LATMP, bien que récemment modifiée par l’adoption du projet de loi n°59, a été sanctionnée à une époque où le travailleur était, en règle générale, appelé à exécuter ses fonctions dans les locaux de l’employeur, où ce dernier était en mesure d’exercer une supervision physique de l’employé, mais surtout de son environnement.

Cette nouvelle réalité exige que les employeurs mettent en place un encadrement à la pratique du télétravail. En outre, il devient essentiel pour les employeurs d’identifier les risques inhérents au télétravail, de réfléchir aux mesures de prévention appropriées et d’appliquer les meilleures pratiques en matière de gestion des réclamations pour les lésions professionnelles, dans ce contexte bien particulier.

 

Le domicile du travailleur comme lieu de travail

Tel que nous l’avons mentionné, bien que la LATMP ne contienne aucune disposition spécifique relative au télétravail, ses dispositions demeurent applicables dans un tel contexte.

L’article 28 de la LATMP, bien connu de tous les gestionnaires de dossiers de lésions professionnelles, établit une présomption en faveur du travailleur dans la reconnaissance d’une lésion professionnelle, facilitant la démonstration de la survenance de celle-ci. Lorsque le travailleur est en mesure de prouver les trois conditions d’application de cette présomption, soit 1) qu’il a subi une blessure 2) sur les lieux du travail et 3) alors qu’il était à son travail, ce dernier se voit reconnaître une lésion professionnelle. Notons que l’employeur peut renverser cette présomption, notamment par le biais d’une preuve médicale.  Lorsque la présomption ne s’applique pas ou est renversée, il revient alors au travailleur de démontrer, par prépondérance de preuve, un événement imprévu et soudain ainsi que la relation entre son diagnostic et l’évènement.

Dans le contexte où la prestation de travail est effectuée au domicile du travailleur, les conditions d’application de la présomption demeurent les mêmes, mais leur application peut soulever des questionnements particuliers. La jurisprudence récente en fait d’ailleurs état.

 

Survol de la jurisprudence récente

Du contexte pandémique a émergé une jurisprudence où des travailleurs se sont vus reconnaître des lésions professionnelles à la suite d’un accident survenu à la maison[1]. Par exemple, dans l’affaire Corbeil et Ville de Longueuil – Service de Police[2], la juge administrative Francine Charbonneau du Tribunal administratif du travail (TAT) devait évaluer si la douleur au cou d’une employée travaillant à l’ordinateur de son domicile constitue une lésion professionnelle. Lors d’une journée de télétravail à l’ordinateur, sur un poste qui n’était pas ergonomique, la travailleuse a commencé à ressentir une douleur au bas de son cou. Le lendemain, la douleur était amplifiée au point où elle n’était pas capable de se lever de son lit. Elle travaillait majoritairement à l’ordinateur depuis 2018 et n’avait auparavant jamais eu de douleur au cou. Malgré le diagnostic d’entorse cervicale posé par le médecin traitant, la CNESST a d’abord déterminé que la présomption de l’article 28 LATMP ne s’appliquait pas à la travailleuse qui se trouvait en télétravail, notamment parce qu’elle n’était pas sur les lieux du travail. La juge a renversé la décision de la CNESST : étant en télétravail à la demande de son employeur en raison de la crise sanitaire, le domicile de la travailleuse est considéré comme étant son lieu de travail. Le Tribunal conclut donc que la présomption s’applique et que la travailleuse a subi une lésion professionnelle.

Dans une autre affaire[3], le TAT devait déterminer si la chute d’une travailleuse dans l’escalier de sa résidence alors qu’elle s’apprêtait à prendre sa pause dîner était un événement survenu à l’occasion du travail. Le Tribunal en est venu à la conclusion que la chute constituait une lésion professionnelle. Selon le juge administratif Philippe Bouvier, la pause et le dîner de la travailleuse sont en lien avec sa prestation de travail puisqu’ils sont imposés par l’employeur. De plus, la chute est survenue en concomitance avec la déconnexion pour le dîner. Les autres critères étant également satisfaits, le Tribunal a conclu que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle.

Le TAT en est arrivé à une conclusion similaire dans l’affaire Laverdière et Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (Opérations régionales)[4]. Dans cette affaire, le Tribunal devait déterminer si la chute d’une travailleuse dans l’escalier à l’extérieur de son domicile, alors qu’elle s’apprêtait à prendre une pause, constituait un accident survenu à l’occasion du travail. L’employeur soutenait qu’il n’y avait pas de voies d’accès à caractère professionnel lorsqu’un travailleur exerce ses fonctions en télétravail et donc que l’accident ne pouvait être survenu à l’occasion du travail. Le Tribunal n’a pas souscrit à cette prétention et a conclu que l’usage de la voie d’accès, permettant à la travailleuse de sortir de son domicile pour prendre des pauses à l’extérieur, équivalait à ce qu’elle faisait aux établissements de son employeur. Le TAT conclut que la chute est survenue à l’occasion du travail et que la travailleuse a subi une lésion professionnelle. Notons que la juge administrative Carole Lessard note qu’aucune politique ne régissait les modalités concernant les endroits où la travailleuse pouvait prendre ses pauses, ni les moments où elle pouvait les prendre. Nous portons à votre attention qu’une demande en révision de la décision a été déposée le 22 décembre 2021. L’audience sur cette requête n’a pas encore eu lieu au moment de la publication de la présente chronique.

 

Conclusions

Bien que tout aussi primordiaux, les efforts de prévention de l’employeur afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire comportent leurs limites dans un contexte de télétravail. L’affaire Laverdière et Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (Opérations régionales) est d’ailleurs éloquente à ce sujet. En effet, l’employeur contrôle l’entretien des accès à son établissement, mais il ne peut contrôler le déneigement, par exemple, des accès du domicile de ses employés.

Cela étant, bien qu’il soit impossible pour l’employeur d’avoir un contrôle complet de l’environnement du travailleur en télétravail, au même titre que dans son établissement, les critères donnant ouverture à la reconnaissance d’une lésion professionnelle demeurent quant à eux les mêmes.

Ainsi, il est primordial que les employeurs adaptent leurs pratiques à la réalité du télétravail notamment (et prioritairement si ce n’est pas fait !) en adoptant une politique couvrant une multitude d’aspects dont la santé et la sécurité au travail. Cette politique devrait prévoir les conditions dans lesquelles doit s’effectuer le travail à distance et spécifier le rôle et les obligations de l’employeur mais également du travailleur. Une série de modalités peut être détaillée à la politique, dont l’horaire de la journée de télétravail ainsi que le matériel qui doit être utilisé ainsi que l’obligation de s’assurer de la sécurité des accès, si l’on se réfère de nouveau à la décision dans l’affaire Laverdière. Ces directives de l’employeur pourraient possiblement limiter la reconnaissance de réclamations d’accident du travail, dans un contexte où un contrôle réel et quotidien est impossible.

Également, en cas de réclamation pour un accident de travail ou une maladie professionnelle, il demeure essentiel qu’une enquête et une analyse soient réalisées rapidement par l’employeur auprès du travailleur, tout comme lorsque l’accident survient dans l’établissement de l’employeur. Cette pratique permet d’évaluer le bien-fondé d’une réclamation, mais également de déterminer si des mesures préventives ou correctives peuvent être mises en place afin d’éviter que de telles situations se reproduisent.  Comme il semble que le télétravail sera un modèle d’organisation du travail qui survivra à la pandémie, il devient indispensable pour les employeurs d’adopter de telles pratiques.

Notre équipe d’avocats expérimentés dans les domaines du droit du travail et du droit de la santé et de la sécurité au travail est disponible pour vous assister, si vous souhaitez établir ou réviser vos politiques en matière de télétravail et pour répondre à toute question en matière de santé et sécurité du travail.

 

 

[1] Bien que cela n’était pas étranger avant la pandémie, cette situation était abordée que de façon exceptionnelle devant le TAT.

[2] 2021 QCTAT 3185.

[3] Air Canada et Gentile-Patti, 2021 QCTAT 5829.

[4] 2021 QCTAT 5644.

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