En 2007, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnelle la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales 1 (ci après la « Loi 30 ») au motif qu’elle violerait la liberté d’association 2. Ce jugement était directement inspiré de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu quelques mois auparavant dans l’affaire B.C. Health Services [3.Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391]. Le plus haut tribunal du pays avait alors mis de côté ses décisions antérieures et conclu que la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés 3 (ci-après la «Charte ») incluait implicitement le droit procédural de négocier collectivement.
La Cour supérieure considère donc que la Loi 30 constitue une ingérence de l’État dans la négociation collective puisqu’en déterminant les catégories d’emploi que peut comprendre une unité de négociation, elle ne permet plus aux salariés de s’unir comme bon leur semble. Elle est d’avis que la Loi 30 force parfois l’union de salariés qui ont des intérêts opposés. De plus, la Cour dénonce l’ingérence dans le processus de négociation collective en obligeant les parties à négocier 26 sujets à l’échelle locale. Pour elle, cette ingérence substantielle de l’État dans le processus de négociation collective influe sur le droit à une négociation entreprise de bonne foi et constitue une atteinte à la liberté d’association. Le Procureur général du Québec a interjeté appel de ce jugement.
Quatre ans plus tard, alors que nous sommes toujours en attente de la décision de la Cour d’appel concernant la constitutionnalité de la Loi 30, la question de la liberté d’association refait surface devant la Cour suprême dans l’affaire Fraser [5.Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20]. Bien que cet arrêt vise les travailleurs agricoles de l’Ontario qui contestent la constitutionnalité de la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles 4, il pourrait influencer les juges de la Cour d’appel dans la rédaction du jugement tant attendu.
Dans Fraser, la Cour suprême rappelle que la Charte protège la liberté d’association ainsi que l’obligation des parties de négocier de bonne foi [7.Au Québec, l’obligation de négocier de bonne foi est prévue à l’article 53 de Code du travail L.R.Q. c. C-27]. Les juges souscrivant à l’opinion majoritaire soulignent toutefois que la Charte ne protège que le droit au processus général de négociation collective et ne saurait obliger le législateur à accorder aux travailleurs des droits de négociation particuliers pour permettre l’exercice de leur liberté d’association.
Deux autres juges ajoutent que les tribunaux doivent se garder de définir constitutionnellement le cadre particulier appelé à régir les relations de travail afin de laisser une latitude aux législateurs provinciaux de concevoir des régimes adaptés aux contextes socio-économiques.
Pour sa part, la juge Deschamps est d’avis que la Charte ne protège pas un modèle particulier de relations de travail. Elle confère plutôt le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer une méthode particulière de négociations. Il faut, selon elle, laisser le soin aux législateurs de faire les choix politiques afin d’établir un équilibre entre les forces économiques qui s’opposent en droit du travail.
Bref, l’arrêt Fraser aura certainement un impact sur la décision de la Cour d’appel concernant la constitutionnalité de la Loi 30 puisque la Cour suprême semble vouloir respecter le choix des législateurs provinciaux quant à l’encadrement du droit d’association prévu à la Charte. Cette loi encadre-t-elle la liberté d’association de manière conforme à ce que souhaite permettre la Cour suprême dans l’arrêt Fraser ? Espérons que la Cour d’appel nous en donnera prochainement la réponse.