Trois ans suivant l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie1 (ci-après « Loi québécoise »), la Commission sur les soins de fin de vie (ci-après « Commission ») dépose, le 3 avril dernier, son premier rapport sur la situation des soins de fin de vie au Québec2, le tout conformément à l’article 75 de la Loi québécoise.
L’objectif premier de ce rapport est de faire le point sur la situation des soins palliatifs et de fin de vie au Québec depuis l’entrée en vigueur de la Loi québécoise. Ce rapport vise également à présenter les différents enjeux et constats issus de ces trois dernières années dans le but de formuler des recommandations pour améliorer l’offre en matière de soins palliatifs et de fin de vie.
Dans la même veine, Santé Canada vient tout juste de publier son quatrième et dernier rapport intérimaire sur la question de l’aide médicale à mourir3. Ce rapport couvre une période de 10 mois, soit du 1er janvier 2018 au 31 octobre 2018. Il met en perspective les tendances relatives à l’aide médicale à mourir au Canada. À compter du printemps 2020, le gouvernement fédéral produira des rapports annuels dans le but de permettre de mieux comprendre, via les données colligées en vertu du Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir 4, la situation de l’aide médicale à mourir à l’échelle nationale.
Pour les fins de cette chronique, nous n’élaborerons pas quant au contenu de ce rapport. Nous concentrerons notre analyse sur le rapport publié par la Commission.
Que dit le rapport ?
Avant tout, il convient de rappeler que la Loi québécoise distingue deux soins en fin de vie, à savoir l’aide médicale à mourir et les soins palliatifs. Malgré leur finalité similaire, une nuance majeure doit être apportée. Alors que le second a pour but d’offrir des soins de confort à un usager lorsque son état de santé est précaire, l’aide médicale à mourir consiste plutôt à administrer une dose létale à un majeur apte qui répond aux critères légaux. Soulignons que, parmi les soins palliatifs, la Loi québécoise prévoit également la sédation palliative continue, laquelle consiste en l’administration de médicaments (ou substances) à une personne souffrante, en fin de vie, et ce, en la rendant inconsciente, de façon continue, jusqu’à son décès.
De manière générale, le principal enjeu soulevé par la Commission a trait à l’accessibilité aux soins palliatifs et de fin de vie pour certains patients provenant de certaines régions sociosanitaires et établissements. Voyons comment les données recueillies permettent de faire un tel constat.
La sédation palliative continue
Entre le 10 décembre 2015 et le 31 mars 2018, on dénombre 1704 cas de sédation palliative continue au Québec. La majorité des personnes ayant bénéficié de ce soin étaient âgées de 60 ans et plus et atteintes d’un cancer5. Plus de la moitié des sédations palliatives continues ont été données en milieu hospitalier en comparaison à 4 % à domicile.
Autre fait saillant : les données permettent de démontrer une variation importante du nombre de sédations palliatives continues entre les différentes régions sociosanitaires et établissements. Dans la région de Québec, 409 ont été prodiguées alors qu’à Montréal, le nombre était de 219.
L’aide médicale à mourir
Quant à l’aide médicale à mourir administrée, les données recensées permettent de faire des constats similaires à celles des sédations palliatives continues. En effet, parmi les 1632 aides médicales à mourir administrées, le cancer constitue la condition médicale la plus courante. Qui plus est, la très grande majorité de ces personnes étaient âgées de 60 ans et plus et avaient un pronostic vital estimé à moins de six mois. Bien que la Loi québécoise exige la présence de souffrances physiques ou psychiques, 89 % des personnes présentaient les deux6.
Comme les sédations palliatives continues, les données colligées suggèrent une disparité d’accès selon les différents établissements et régions sociosanitaires. À titre d’exemple, 87 aides médicales à mourir ont été administrées au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) alors qu’au Centre hospitalier universitaire de Québec – Université de Laval, 162 usagers ont bénéficié de l’aide médicale à mourir. Selon la Commission, il est difficile d’expliquer les causes de cet écart important. Elle se dit néanmoins préoccupée de constater que les régions et établissements qui déclarent moins de sédations palliatives continues sont les mêmes où il y a moins d’aides médicales à mourir.
Quant au délai d’administration de l’aide médicale à mourir, soulignons que, contrairement à la Loi fédérale7 qui prévoit un délai minimal de 10 jours entre la signature de la demande et l’administration, la Loi Québécoise ne prévoit aucun délai8. Quoiqu’il en soit, la Commission note qu’au Québec, le délai moyen entre le moment où la personne signe le formulaire et l’administration de l’aide médicale à mourir est de 12 jours. Dans certains cas, le délai était toutefois de plus de 30 jours. Parmi les explications liées à ce délai, figure celle relative aux problèmes d’accès, lesquels sont attribuables à la difficulté de trouver un deuxième médecin9. Il en résulte donc un enjeu en matière d’accès en ce que plusieurs personnes deviennent inaptes, ou même décèdent, avant de recevoir l’aide médicale à mourir.
La Commission observe également, en comparaison avec le reste du Canada, que davantage d’aides médicales à mourir sont prodiguées en milieu hospitalier plutôt qu’à domicile. Dans certaines régions, des patients ont dû être admis en milieu hospitalier pour recevoir l’aide médicale à mourir; ce qui est grandement préoccupant pour la Commission. Cet état de fait s’explique notamment par les difficultés particulières liées à l’administration à domicile, dont le temps de déplacement du médecin, et celles relatives à la récupération et le retour des médicaments. Ajoutons par ailleurs que, de manière générale, une faible proportion de médecins administre l’aide médicale à mourir au Québec; ce qui complexifie davantage l’accessibilité à ce soin.
Dans le même ordre d’idée, à la lumière des données recueillies, 34 % des demandes d’aide médicale à mourir n’ont pas été administrées. Cette proportion varie d’une région à l’autre et d’un établissement à l’autre10. Plusieurs facteurs sont évoqués dont ceux liés aux convictions personnelles du médecin traitant, à l’interprétation restrictive ou libérale des critères de l’aide médicale à mourir de même qu’au traitement de la demande par l’établissement.
Conclusions
Comme divers facteurs peuvent être à l’origine des problèmes d’accès aux soins palliatifs et de fin de vie, la Commission suggère que chaque établissement effectue sa propre analyse critique et, le cas échéant, apporte les correctifs nécessaires. La Commission propose notamment que les différents acteurs du Réseau de la santé et des services sociaux soient davantage formés sur cette question et qu’il y ait une uniformité relative aux définitions des soins palliatifs et de fin de vie ainsi qu’en regard des politiques/directives internes instaurées au sein des établissements.
La Commission recommande aussi qu’une réflexion collective soit enclenchée sur l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, et ce, pour des patients inaptes ou qui ne sont pas en fin de vie.
Il restera à voir quel écho auront les conclusions de ce rapport. Il apparaît néanmoins évident que l’évolution de l’approche au regard des soins palliatifs et de fin de vie se poursuivra. Il faudra également tenir compte de l’issue de la contestation constitutionnelle des lois provinciale et fédérale en matière d’aide médicale à mourir présentement pendante devant la Cour supérieure.
Monette Barakett demeurera à l’affût des développements et continuera de vous informer sur ces enjeux.
Références
1 LRQ c S-32.0001.
2 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Commission sur les soins de fin de vie, Rapport sur la situation des soins de fin de vie au Québec du 10 décembre 2015 au 31 mars 2018, Québec, MSSS, 2019
3 SANTE CANADA, Quatrième rapport intérimaire sur l’aide médicale à mourir au Canada, 2019, consulté en ligne : https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/documents/services/publications/health-system-services/medical-assistance-dying-interim-report-april-2019/medical-assistance-dying-interim-report-april-2019-fra.pdf
4 DORS/2018-166
5 Outre le cancer, il y a les maladies pulmonaires, les maladies cardiaques ou vasculaires de même que les maladies dégénératives.
6 À titre indicatif, les souffrances les plus souvent rapportées sont les suivantes : douleur, dyspnée ou détresse respiratoire, nausées ou vomissements, perte de dignité et de qualité de vie, perte d’autonomie, perte de contrôle, perception d’être un fardeau, fatigue importante.
7 Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres loi (aide médicale à mourir) L.C.2016, ch. 3
8 En effet, la Loi québécoise ne prévoit pas de délai spécifique. Elle prévoit plutôt, à son article 29 (1), un « délai raisonnable ». Cependant, au Canada, l’article 241.2 (3) g) de la Loi fédérale prévoit qu’un délai d’au moins 10 jours doit s’écouler entre le jour où la personne a signé la demande et celui où l’aide médicale est donnée.
9 À noter que le deuxième médecin est exigé pour assurer le respect des critères de la Loi.
10 À titre d’exemple, pour le même nombre de demandes administrées, la région de Québec compte 139 AMM non administrées alors que dans la région de Montréal, il y en a 212.