Plus de 10 000 québécois et québécoises atteints de maladies graves et incurables ont choisi d’avoir recours à l’aide médicale à mourir (ci-après « AMM ») depuis la mise en œuvre de la Loi concernant les soins de fin de vie[1] (ci-après « Loi ») en 2015[2]. Ce taux qui dépasse celui des autres juridictions qui autorisent l’AMM témoigne du large consensus social établi au Québec concernant les soins de fin de vie.
Depuis le 7 juin 2023, certaines modifications à la Loi sont entrées en vigueur à la suite de l’adoption du projet de loi n° 11 (ci-après « PL 11 »)[3]. Ce projet de loi très attendu donne suite aux recommandations émises par la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie (ci-après « Commission ») et permet notamment d’élargir l’aide médicale à mourir, en introduisant la notion de demande anticipée d’aide médicale à mourir.
Les demandes anticipées
L’article 26 de la Loi énonce les conditions auxquelles une personne doit satisfaire pour obtenir l’AMM. Avant l’adoption du PL 11, la Loi prévoyait qu’une personne devait être apte à consentir aux soins afin d’obtenir l’aide médicale à mourir. Selon les critères reconnus par la jurisprudence[4], une personne apte à consentir aux soins :
- Comprend la nature de sa maladie;
- Comprend la nature et le but du traitement;
- Comprend les risques associés à ce traitement;
- Comprend les risques qu’elle court si elle ne suit pas le traitement;
- Ne voit pas sa capacité à consentir être compromise par la maladie.
Le critère d’aptitude est ainsi un obstacle à l’obtention de l’AMM pour plusieurs personnes dont la maladie affecte la capacité à consentir, telle que les personnes souffrant d’un trouble neurocognitif comme l’Alzheimer. Or, pour de nombreux intervenants qui ont témoigné devant la Commission, chaque individu devrait avoir le droit de pouvoir prévoir une fin de vie digne et respectueuse de ses valeurs.
Afin de répondre partiellement à cette préoccupation, le PL 11 introduit la notion de demande anticipée, laquelle permet aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude de formuler une demande anticipée afin de bénéficier de cette aide une fois devenues inaptes.
La formulation de la demande anticipée s’apparente à celle de la demande contemporaine en ce qu’elle doit être formulée de manière libre et éclairée, par la personne elle-même, dans un formulaire prescrit par le ministre ou par acte notarié. Il n’est pas possible de formuler une demande anticipée au moyen d’un mandat de protection ou au moyen d’une directive médicale anticipée.
Pour obtenir l’AMM suivant une demande anticipée, la personne doit respecter à la fois les conditions d’obtention générales prévues à l’article 26 de la Loi et les conditions spécifiques aux demandes anticipées énoncées au nouvel article 29.1 :
« 29.1. Pour obtenir l’aide médicale à mourir suivant une demande anticipée, une personne doit, en plus de formuler une demande conforme aux dispositions des articles 29.2, 29.3 et 29.7 à 29.10, satisfaire aux conditions suivantes:
- au moment où elle formule la demande:
a) elle est majeure et apte à consentir aux soins;
b) elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29);
c) elle est atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins;
- au moment de l’administration de l’aide médicale à mourir:
a) elle est inapte à consentir aux soins en raison de sa maladie;
b) elle satisfait toujours aux conditions prévues aux sous-paragraphes b et c du paragraphe 1°;
c) sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
d) elle paraît objectivement éprouver:- des souffrances qu’elle avait décrites dans sa demande, et ce, en raison de sa maladie;
- des souffrances physiques ou psychiques persistantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables. »
Soulignons que les articles de la Loi qui encadrent les demandes anticipées ne sont pas actuellement en vigueur. La Loi prévoit un délai maximum de 24 mois à compter du 7 juin 2023 afin d’élaborer les mesures permettant les demandes anticipées[5]. Ce délai permettra notamment de former les équipes soignantes, d’élaborer le formulaire de demande anticipée prescrit par le ministre et de concilier la législation fédérale avec les nouvelles dispositions québécoises sur les demandes anticipées.
À l’heure actuelle, le Code criminel ne permet pas l’administration de l’AMM à une personne devenue inapte, exposant ainsi les médecins qui seront appelés à administrer l’AMM dans le cadre d’une demande anticipée à des poursuites criminelles. Le gouvernement québécois devra s’entendre avec le gouvernement fédéral afin de prévoir une exception pour le Québec dans le Code criminel.
Exclusion des troubles mentaux
Le PL 11 prévoit l’exclusion de l’accès à l’AMM aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental. En effet, l’alinéa 3 de l’article 26 de la Loi précise qu’un trouble mental autre qu’un trouble neurocognitif n’est pas considéré comme une maladie pour laquelle une personne peut formuler une demande.
Bien que la Commission se soit penchée sur la possibilité d’inclure les troubles mentaux aux cas d’admissibilité, elle est arrivée à la conclusion qu’il existe actuellement trop de risques associés à un tel élargissement. Notons par exemple la difficulté d’évaluer les souffrances liées aux troubles mentaux ainsi que la difficulté de distinguer entre les idéations suicidaires et une volonté raisonnée d’obtenir l’AMM. La recommandation de la Commission d’exclure les troubles mentaux des cas d’admissibilité s’inscrit « en continuité avec le principe de précaution que le Québec privilégie depuis le début des travaux sur l’aide médicale à mourir »[6].
Notons qu’au fédéral, le gouvernement du Canada vient tout juste de présenter un projet de loi qui vise à retarder l’admissibilité de l’AMM aux personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, repoussant l’exclusion au 17 mars 2027[7]. Cette prolongation a notamment pour but de donner plus de temps aux provinces pour préparer l’élaboration de politiques ou d’orientations permettant que l’AMM soit administrée de façon sécuritaire et adéquate dans les situations où le trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Autres modifications
En plus des modifications détaillées ci-haut, le PL 11 apporte les modifications suivantes à la Loi :
- Le critère de fin de vie est retiré des conditions auxquelles une personne doit satisfaire pour obtenir l’aide médicale à mourir[8];
- Les maisons de soins palliatifs et les hôpitaux privés ne pourront plus exclure l’AMM de leur offre de soins[9];
- Au même titre que les médecins, les infirmières praticiennes spécialisées pourront désormais offrir tous les soins de fins de vie, y compris l’aide médicale à mourir. La notion de « professionnel compétent » est proposée pour désigner un médecin ou une infirmière praticienne spécialisée[10];
- Il sera dorénavant permis aux infirmières et infirmiers de constater les décès, tant pour l’aide médicale à mourir que dans toutes les autres circonstances de décès[11].
Conclusion
Alors que la possibilité de bénéficier de soins de fin de vie fait l’objet d’un large consensus tant à l’Assemblée nationale que dans la société, l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes en situation d’inaptitude et aux personnes souffrant de troubles mentaux fait toujours l’objet de débat. La recherche d’un équilibre entre le droit à l’autodétermination des individus et la protection des personnes vulnérables demeure un défi de taille. Des débats collectifs devront continuer d’être menés afin de déterminer jusqu’où la population québécoise souhaite élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.
[1] Loi concernant les soins de fin de vie, RLRQ, c. S-32.0001.
[2] Commission sur les soins de fin de vie, Synopsis du Rapport annuel d’activités 2021-2022 élaboré par la Commission sur les soins de fin de vie, décembre 2022, en ligne : https://csfv.gouv.qc.ca/fileadmin/docs/rapports_annuels/csfv_rapport_activites_2021-2022_resume.pdf, p. 2.
[3] Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2023, c. 15.
[4] C.L. c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal, 2014 QCCA 1371; Centre hospitalier de
l’université de Montréal (CHUM) – Hôpital Notre-Dame c. G.C., 2010 QCCA 293; Institut Philippe-
Pinel de Montréal c. G. (A.), [1994] R.J.Q. 2523 (C.A.).
[5] Art. 59 PL 11.
[6] Assemblée nationale du Québec, Rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, décembre 2021, en ligne : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4405768https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cssfv-42-1/index.html, p. 58.
[7] Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), projet de loi no C-62 (1ère lecture à la Chambre – 1 février 2024), 1ère sess., 44e légis. (Can.).
[8] Art. 16 PL 11.
[9] Art. 10 PL 11.
[10] Art. 4 PL 11.
[11] Art. 47, 48, 49, 50, 51 et 55 PL 11.