En novembre dernier, la Cour d’appel du Québec a analysé, dans l’affaire Unifor, section locale 174  c. Cascades Groupe Papiers fins inc., division Rolland 2015 QCCA 1904, la portée d’une entente de dernière chance dans un contexte d’alcoolisme. La Cour d’appel a été claire à l’effet qu’une entente de dernière chance ne constitue pas automatiquement une limite à la compétence de l’arbitre. Pour qu’une telle limite existe, le salarié doit expressément renoncer à la procédure de griefs et d’arbitrage. Par contre, la Cour ne se prononce pas sur la validité d’une telle renonciation. De plus, malgré les faits relevant une problématique de dépendance à l’alcool, nous soulignons que la Cour d’appel n’a pas abordé la question de l’accommodement raisonnable.

La décision de la Cour d’appel

Rappelons qu’une entente de dernière chance vise à accorder une chance ultime à un salarié qui présente certaines problématiques importantes et répétées. La Cour d’appel indique qu’une telle entente constitue une forme de transaction qui a pour principal objet d’éviter le congédiement et, le cas échéant, un grief ou une procédure judiciaire. Ce qui caractérise ce type entente est que les parties y prévoient généralement les conséquences qu’entrainera le non-respect des conditions, généralement un congédiement immédiat.

Dans cette affaire, le salarié, un cariste possédant 35 ans d’ancienneté, a heurté une colonne alors qu’il conduisait un chariot élévateur. Le salarié a accepté de se soumettre à un test qui a révélé que son taux d’alcoolémie était supérieur de plus du double à la limite permise pour conduire une automobile.

Suite à ces évènements, l’employeur décide de congédier le salarié. Toutefois, lorsque le salarié est rencontré afin que lui soit remise la lettre de congédiement, les représentants de l’employeur l’informent que, compte tenu de son ancienneté, celui-ci pourrait reprendre son poste à condition de reconnaître son problème de consommation d’alcool, de consulter le programme d’aide aux employés (« PAE »), de suivre les recommandations du PAE et d’en faire le suivi auprès de l’employeur. Le salarié accepte cette offre verbale.

L’intervenant du PAE recommande une cure fermée pour traiter sa dépendance. L’employeur consent une avance de fonds afin que le salarié puisse immédiatement participer à cette cure. Ce dernier débute la cure fermée puis l’abandonne deux jours plus tard. Il indique son désir de participer à une cure externe. Puisque le salarié a abandonné la cure fermée, l’employeur considère qu’il n’a pas respecté l’entente convenue et il procède à son congédiement.

L’arbitre a conclu que le salarié a effectivement commis une faute lourde et qu’il n’a pas respecté l’entente de dernière chance avec l’employeur. Néanmoins, l’arbitre estime que le congédiement est une mesure disproportionnée. En effet, le salarié possède 35 ans d’ancienneté et il a, dans les faits, suivi une cure externe durant une période d’un an suite à son congédiement. Il substitue une suspension de 6 mois au congédiement.

Soulignons que dans cette affaire, l’entente est intervenue verbalement entre les parties et il n’a jamais été question de limiter la compétence de l’arbitre de griefs. Il n’a pas non plus été prévu que la seule sanction possible en cas de non-respect de l’entente serait le congédiement.

La Cour supérieure accueille la requête en révision judiciaire et annule la décision de l’arbitre. La Cour d’appel rétablit la sentence arbitrale puisque les conclusions de l’arbitre font parties des conclusions possibles et acceptables se justifiant par rapport aux faits et au droit.

La Cour d’appel précise d’abord que l’entente n’a pas pour effet de neutraliser les larges pouvoirs conférés à l’arbitre par l’article 100.12 du Code du travail. Pour qu’elle ait un tel effet, l’entente doit contenir une clause de renonciation expresse à la procédure de griefs et d’arbitrage. En l’absence d’une telle clause, la compétence de l’arbitre n’est nullement limitée.

La Cour d’appel souligne que la validité d’une telle clause fait l’objet d’une controverse jurisprudentielle, la majorité des arbitres étant d’avis qu’ils sont liés par ce type de clause alors que d’autres estiment que l’article 100.12 du Code du travail est d’ordre public. Toutefois, la Cour d’appel n’en dit pas davantage puisqu’elle indique que le cas qui lui est soumis ne nécessite pas qu’elle se prononce sur le sujet. La Cour d’appel affirme donc, d’une part, que l’existence d’une clause de renonciation est nécessaire pour limiter la compétence de l’arbitre et, d’autre part, elle indique que si les parties avaient effectivement prévu ce type de clause, sa validité aurait dû être étudiée.

Le courant majoritaire

Il appert de la jurisprudence arbitrale que la majorité des arbitres affirment être liés par l’entente intervenue. En ce sens, le pouvoir d’intervention de l’arbitre est restreint; son seul pouvoir consistant à vérifier s’il y a violation de l’entente et, le cas échéant, maintenir la sanction automatique. Ainsi, l’arbitre doit respecter l’entente intervenue entre les parties quant à la sanction prédéterminée. Cette tendance jurisprudentielle est majoritaire, sauf lorsqu’il s’agit d’un salarié souffrant d’un handicap et que la mesure est liée à ce handicap.

Le courant minoritaire

Certains arbitres considèrent plutôt qu’une entente de dernière chance ne peut déposséder l’arbitre de sa faculté d’analyser le caractère proportionnel de la sanction imposée eu égard à la faute reprochée au salarié. Selon ces arbitres, tout manquement à une entente de dernière chance est analysé comme un élément factuel, constituant un facteur aggravant ou déterminant. L’arbitre pourra donc conclure que la sanction, souvent le congédiement, est disproportionnée par rapport aux faits et aux circonstances particulières.

L’obligation d’accommodement

Finalement, lorsqu’il s’agit d’un salarié présentant un handicap, les arbitres sont d’avis qu’ils doivent analyser l’ensemble du dossier afin de s’assurer que la sanction est appropriée au manquement reproché. En effet, les arbitres doivent s’assurer que l’employeur a bel et bien rempli son obligation d’accommodement. Rappelons que la jurisprudence est maintenant unanime à l’effet que l’alcoolisme et la toxicomanie sont des handicaps. L’Employeur se doit donc de respecter l’obligation d’accommodement à l’égard de salariés souffrant de telles pathologies. Par conséquent, il ne peut appliquer automatiquement une entente de dernière chance. En cas de contestation par grief, l’arbitre dispose des pouvoirs nécessaires afin de vérifier si l’Employeur s’est acquitté de ses obligations en pareilles circonstances. Le cas échéant, la mesure prévue à l’entente pourra être maintenue.

Quelques éléments à inclure dans les ententes de dernière chance

Ainsi, à la lumière de ces principes jurisprudentiels, nous vous rappelons qu’il est important :

  • De convenir d’une telle entente par écrit, avec la participation du salarié et du syndicat;
  • De prévoir expressément une clause limitant les pouvoirs de l’arbitre;
  • De considérer les particularités du dossier du salarié et ne pas seulement prendre un modèle d’entente « général »;
  • De recenser et décrire en détails les antécédents du salarié, les démarches réalisées par l’employeur et toute action posée afin de soutenir le salarié. Les parties peuvent convenir que ces démarches démontrent que l’employeur a rempli son obligation d’accommodement;
  • D’indiquer clairement et en détails les conditions que le salarié doit respecter et la condition précise visées (absentéisme chronique en raison d’un diagnostic précis, par exemple);
  • De déterminer la sanction applicable en cas de non-respect de l’entente;
  • De prévoir une durée raisonnable à l’entente au terme de laquelle l’entente ne s’appliquera plus.

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