Le 31 octobre dernier, la juge Danielle Grenier de la Cour supérieure rendait un jugement invalidant les lois 7 et 8 1 qui empêchaient la reconnaissance du statut de salarié pour les responsables d’un service de garde en milieu familial (RSG) et ceux des ressources intermédiaires (RI) et des ressources de type familial (RTF). Durant la récente campagne électorale, le gouvernement a annoncé qu’il n’interjettera pas appel du jugement.
Ce jugement aura un impact certain sur les établissements du réseau de la santé et des services sociaux ainsi que sur les Centres de la petite enfance (CPE).
LA PROBLÉMATIQUE
Les RI, les RTF et les RSG sont-elles des travailleuses autonomes ou des salariées de l’établissement ou du CPE auquel elles sont associées? Certains tribunaux spécialisés en droit du travail ont déterminé, avant l’adoption de ces lois, que les rapports entre les CPE et les RSG et entre les établissements publics et les RI ou RTF constituaient un contrat de travail. Par exemple, dans l’affaire Centre du Florès 2 où une requête en accréditation visait des ressources intermédiaires, le Tribunal du travail, dont le jugement a été confirmé par la Cour supérieure, soulignait :
« [16] Aucun autre élément souligné par le commissaire ne peut supporter la conclusion voulant que le contractuel soit en affaires pour lui-même et que le Centre « achète » ses services. On ne peut retenir l’idée qu’un individu puisse mettre sur pied par lui-même une entreprise spécialisée dans l’hébergement et l’accompagnement de déficients intellectuels alors que la responsabilité du bien-être de ces usagers demeure exclusivement celle d’un centre de réadaptation, en vertu du permis que lui octroie le ministre. »
Également, selon le Tribunal, les services rendus par le contractuel font partie intégrante de l’entreprise pour laquelle il les rend. Ainsi, le Tribunal a conclu qu’une interprétation libérale de la notion de « salarié » devait être retenue et que les RI et RTF étaient effectivement des salariés de l’établissement plutôt que des travailleurs autonomes.
L’INTERVENTION DU LÉGISLATEUR
Pour contrer les décisions des tribunaux, le 17 décembre 2003, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi 7 qui ajoutait l’article 302.1 à la Loi sur les services de santé et les services sociaux 3 lequel édictait ceci: « Malgré toute disposition inconciliable, une ressource intermédiaire est réputée ne pas être à l’emploi ni être une salariée de l’établissement public qui recourt à ses services et toute entente ou convention conclue entre eux pour déterminer les règles et modalités de leurs rapports quant au fonctionnement des activités et services attendus de la ressource intermédiaire est réputée ne pas constituer un contrat de travail ». La Loi 8 a également été adoptée à cette même date afin de préciser que « la personne reconnue comme RSG par un titulaire de permis de CPE était, quant aux services qu’elle fournissait aux parents à ce titre, une prestataire de services au sens du Code civil du Québec » et que, nonobstant toute disposition inconciliable, elle était réputée ne pas être à l’emploi ni être salariée d’un CPE 4.
Le législateur est allé encore plus loin en précisant également que ces dispositions étaient déclaratoires et qu’elles étaient applicables à une décision administrative, quasi-judiciaire ou judiciaire, rendue avant le 18 décembre 2003. Ainsi, les accréditations syndicales obtenues avant l’adoption de ces lois devenaient désuètes et les demandes pendantes étaient suspendues.
Les Lois 7 et 8 n’imposaient donc aucune condition de travail comme telle, mais empêchaient les RI, les RTF et les RSG de se syndiquer auprès des établissements publics et des CPE.
LA CONTESTATION SYNDICALE
Devant la Cour supérieure, les syndicats ont soutenu que les Lois 7 et 8 portaient atteinte à leur liberté d’association en ce qu’elles :
1) rendaient sans effet les accréditations accordées aux syndicats ainsi que le processus de négociation collective amorcé;
2) privaient globalement les RI, RTF et RSG du droit d’exercer les activités essentielles à leur liberté syndicale comme celles de se syndiquer et de négocier collectivement leurs conditions de travail par l’entremise d’un agent négociateur.
Également, selon les syndicats, les lois modificatives traitaient les RI, les RTF et les RSG différemment des autres salariés en les privant définitivement de l’accès à des institutions ainsi qu’à des bénéfices dont jouit l’ensemble des travailleurs du Québec (notamment la Loi sur les normes du travail, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi sur l’assurance parentale). Le travail des RI, des RTF et des RSG étant accompli majoritairement par des femmes, la différence de traitement serait également fondée sur le sexe, ces femmes constituant, par ailleurs, une minorité historiquement défavorisée de la population active.
LES PRINCIPES
En 2007, dans l’arrêt BC Health Services 5, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit procédural de négocier collectivement comme partie intégrante de la liberté d’association prévue à l’article 2d) de la Charte canadienne. Le droit de négocier est toutefois restreint : un gouvernement pourra y passer outre, mais pas en cas d’ « entrave substantielle ».
Par la suite, la Cour supérieure 6 a appliqué les principes de l’arrêt BC Health Services dans l’affaire relative à la Loi 30 [7.Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales, L.R.Q., c. U-0.1.]. Rappelons que cette loi consistait en une réorganisation de toutes les unités de négociation dans le secteur de la santé et des services sociaux et une obligation de négocier certains sujets à l’échelle locale. La Cour supérieure a conclu qu’il y avait entrave substantielle et que la loi était inconstitutionnelle. L’affaire est présentement en appel.
Dans la décision concernant les Lois 7 et 8, la juge Danielle Grenier a également appliqué le test de l’ « entrave substantielle ». Elle a retenu que ces lois retiraient aux RSG, aux RI et aux RTF le statut de salarié acquis après des efforts considérables. Ces lois annulaient les accréditations et les conventions collectives qui auraient pu être négociées ou qui étaient en voie de l’être. Elles annulaient également toutes les décisions rendues par les tribunaux administratifs, quasi-judiciaires ou judiciaires avant le 18 décembre 2003. Ainsi, la juge a conclu qu’il y avait « entrave substantielle ».
Également, elle a jugé que ces Lois contrevenaient au droit à l’égalité :
« [388] De ce qui précède, le Tribunal conclut que les Lois 7 et 8 créent une distinction fondée sur un motif énuméré (sexe) et analogue (travail de care à domicile exécuté majoritairement par des femmes), et que cette distinction a pour effet de perpétuer un préjugé défavorable à l’égard des personnes qui exécutent ce travail, par l’application d’un stéréotype voulant que ce type de travail ne soit pas du vrai travail. »
L’IMPACT
Ainsi, les RI, les RTF et les RSG peuvent, depuis le 31 octobre 2008, demander à ce que le statut de salarié leur soit reconnu et sont, en conséquence, « syndicables ». Les requêtes en accréditation déposées au moment de l’entrée en vigueur des lois 7 et 8 seront vraisemblablement réactivées. Selon le jugement, 149 requêtes en accréditation avaient été déposées à l’automne 2003. Il semble également que de nombreuses requêtes ont été déposées depuis le jugement. Se posent toutefois plusieurs questions de logistique, particulièrement dans le réseau de la santé et des services sociaux. Par exemple, si les RI et les RTF sont maintenant syndicables, le régime d’accréditation prévu à la Loi 30 est, pour le moment, silencieux à leur égard. Qui plus est, il nous semble impensable de leur appliquer les mêmes conditions de travail que celles qui prévalent dans le réseau et ce, de par la nature même de l’emploi.
Il importe tout de même de rappeler que chaque cas est un cas d’espèce et que des critères précis doivent être examinés avant de déterminer si une personne peut être considérée comme une salariée. En effet, la juge Grenier indique :
« [135] Il ne fait aucun doute que la définition du statut de salarié dans les cas où une personne possède à la fois les attributs du salarié et ceux de l’entrepreneur indépendant demeure une question difficile à résoudre. Toutefois, la détermination du statut de salarié doit se faire à la lumière des tests applicables développés par la jurisprudence en matière de droit du travail et plus particulièrement par les tribunaux qui traitent des rapports collectifs de travail. Aucune formule magique ne permet de déterminer quels facteurs l’emporteront sur d’autres. Chaque cas est un cas d’espèce et la détermination du statut de salarié se fera en fonction de la preuve administrée. »
Ainsi, devant les nombreuses requêtes des RI, des RTF et des RSG, il sera important d’examiner chacune des situations afin de déterminer si une contestation du statut de salarié est possible.