Il y a quelques mois, la Commission des normes et de la santé (« CNESST ») a annoncé qu’elle avait mis en place des mesures d’assouplissement en matière d’imputation afin d’aider les employeurs à traverser les conséquences de la crise sanitaire.

Elle a alors mis à jour son guide Orientations en imputation[1] afin d’y prévoir que les employeurs peuvent présenter une demande de transfert de l’imputation en lien avec les conséquences de la pandémie, en soumettant leur demande en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »). Ceux-ci doivent alors démontrer de façon objective que la situation liée à la COVID-19 a eu des conséquences sur le déroulement du dossier d’un travailleur (par exemple : le report d’une chirurgie, l’incapacité de visiter un lieu d’emploi pour fins d’adaptation d’un poste de travail, l’annulation d’une expertise médicale [204, 209, BEM], etc.)[2].

Bien que la CNESST ait adopté de telles mesures, plusieurs demandes formulées par les employeurs ont été refusées. Il est alors intéressant de voir comment le Tribunal administratif du travail a, à son tour, analysé l’impact des conséquences de la Covid-19 dans les dossiers d’imputation.

Tel est le cas de la décision Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal – Hôpital Rivière-des-Prairies[3], rendue le 26 septembre dernier, dans laquelle le Tribunal reconnait que la suspension des traitements en clinique ainsi qu’une condition de santé empêchant le travailleur de retourner au travail en raison des risques de contracter la Covid-19, constituent des situations qui ont pour effet d’obérer injustement l’employeur.

 

Les faits de cette affaire

Dans cette décision, le travailleur, occupant le poste de préposé aux bénéficiaires dans un établissement de santé, s’était blessé au travail au cours du mois d’octobre 2019.

Alors qu’il était en arrêt de travail et qu’il suivait des traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et d’acupuncture de manière assidue depuis la survenance de l’accident, ceux-ci ont été suspendus en raison de la fermeture des cliniques au mois de mars 2020. Durant l’été 2020, les traitements ont repris, mais de façon virtuelle.

Le travailleur ainsi que ses professionnels à charge ont tous noté non seulement une stagnation de la condition du travailleur, mais également une détérioration de son état à la suite de la suspension des traitements en clinique. Un rendez-vous à la clinique de la douleur a également été repoussé en raison des délais causés par la crise sanitaire.

Par ailleurs, les certificats médicaux remplis par le médecin qui a charge démontraient qu’à compter de l’été 2020, c’était le diabète ainsi que l’obésité du travailleur qui justifiait le maintien de l’arrêt de travail puisque le travailleur présentait une condition de santé qui le mettait à risque de développer des complications sévères s’il contractait la Covid-19. Le médecin qui a charge au dossier se contentait alors d’autoriser exclusivement une assignation temporaire qui pourrait s’effectuer en télétravail; le travailleur refusant de prendre le transport en commun pour se rendre au lieu de travail.

L’employeur a alors proposé différentes alternatives et solutions afin de permettre une assignation temporaire que pourrait effectuer le travailleur, eu égard à ses conditions médicales en lien avec la Covid-19. Il a notamment proposé de changer l’horaire de travail du travailleur afin de réduire l’achalandage dans les transports en commun et lui assurer une place assise durant le transport. Il a également proposé une affectation dans un autre établissement se situant à proximité de son domicile. L’employeur n’a toutefois jamais été en mesure d’offrir une assignation temporaire en télétravail, en raison du poste de préposé aux bénéficiaires qu’occupait le travailleur et puisque les activités de l’employeur se prêtent difficilement au télétravail.

Les suggestions offertes par l’employeur ont toutes été refusées par le médecin qui a charge et le travailleur est demeuré en arrêt de travail jusqu’à la décision de capacité rendue par la CNESST.

 

La décision

Dans un premier temps, le Tribunal reconnait qu’une situation totalement étrangère à la lésion professionnelle ayant entraîné une suspension des traitements et une prolongation de la période de consolidation peut justifier un transfert d’imputation. Après analyse jurisprudentielle, le Tribunal considère que la pandémie de la Covid-19 s’assimile à une telle situation étrangère à la lésion professionnelle.

Il juge ainsi que la preuve au dossier est suffisante pour démontrer que la suspension des traitements en clinique, en raison de la pandémie, a détérioré la condition du travailleur et que le retard dans sa prise en charge à la clinique de la douleur a ralenti la réadaptation du travailleur. Ces deux éléments ont ainsi eu pour effet de prolonger la période de consolidation et de retarder la guérison.

Le Tribunal considère que l’employeur n’avait aucun contrôle sur la situation et que celle-ci est totalement étrangère au déroulement normal du dossier. Par conséquent, il conclut que la suspension des traitements de physiothérapie en présentiel ainsi que le délai de la prise en charge à la clinique de la douleur, tous deux causés par la situation reliée à la pandémie de la Covid-19, ont eu pour effet d’obérer injustement l’employeur.

Dans un second temps, le Tribunal reconnait que les diverses conditions personnelles du travailleur le mettant à risque de développer des complications sévères s’il contractait la covid (en raison de son diabète et de son obésité) ont limité le retour au travail à distance par le biais du télétravail, ce qui, a fortiori, l’a maintenu en arrêt de travail puisque l’employeur était dans l’impossibilité de permettre le télétravail.

Le Tribunal considère que l’assignation temporaire proposée par l’employeur et sa proposition d’accommoder le travailleur pour se rendre au travail à l’extérieur des heures de pointe étaient favorables à la réadaptation du travailleur et respectait les limitations temporaires qui étaient posées. Ainsi, le refus du médecin qui a charge d’autoriser l’assignation temporaire n’était aucunement relié à la lésion professionnelle.

Il reconnait, jurisprudence à l’appui, que le refus d’un médecin qui a charge d’autoriser une assignation temporaire pour des motifs médicaux qui ne sont pas en lien avec la lésion professionnelle, constitue une injustice donnant ouverture à l’article 326, alinéa 2, de la Loi.

Dans le contexte où le médecin qui a charge refusait d’autoriser l’assignation temporaire pour un motif étranger à la lésion professionnelle et que la preuve prépondérante est à l’effet que c’étaient les conditions de santé reliées à la Covid-19 qui empêchaient le travailleur de débuter l’assignation temporaire, le Tribunal juge que l’employeur a démontré qu’il était obéré injustement.

Le Tribunal se dit d’avis que n’eut été de l’état d’urgence sanitaire, des conditions personnelles prédisposantes du travailleur et de ses craintes reliées à celles-ci, l’arrêt de travail n’aurait pas été prolongé indûment puisqu’une assignation temporaire en présentielle aurait été autorisée jusqu’à la date de capacité au dossier.

Il considère également que l’employeur a démontré de façon suffisante qu’il a tenté d’accommoder le travailleur dans la mise en place d’une assignation temporaire et que l’impossibilité d’assigner temporaire le travailleur ne pouvait lui être reproché dans le présent dossier.

 

Conclusion et recommandation

Cette décision illustre que la Covid-19 peut entrainer une situation ayant pour effet d’obérer injustement l’employeur. Le Tribunal reconnait ainsi la possibilité de transférer l’imputation lorsque l’employeur est en mesure de démontrer l’impact objectif des conséquences de la pandémie sur l’évolution du dossier.

Nous vous invitons ainsi à cibler les dossiers dans lesquels la documentation médicale indique clairement que ce sont des enjeux reliés à la Covid-19 qui retardent une assignation temporaire ou suspendent les traitements en clinique ou encore une expertise déjà planifiée.

N’oubliez pas qu’une telle demande doit être déposée dans l’année suivant l’événement donnant naissance au droit réclamé.

 


[1] CNESST, Orientations en imputation, (février 2022), En ligne : < https://www.cnesst.gouv.qc.ca/sites/default/files/documents/guide-orientations-imputation.pdf >.

[2] Id., p. 12.

[3] 2022 QCTAT 4358.

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