La responsabilité d’offrir des services de qualité, personnalisés et en toute sécurité conduit parfois les gestionnaires et les cliniciens à devoir se positionner sur les limites de l’offre de service de l’établissement de santé et de services sociaux. Ces décisions sont très difficiles et délicates à prendre et suscitent beaucoup d’inconfort.

L’établissement qui constate avoir épuisé ses ressources ou ne plus être en mesure de répondre aux besoins particuliers d’un usager sans mettre en péril son état de santé ou même celui d’autrui doit prendre position. L’établissement sera alors nécessairement confronté à l’exercice par l’usager ou son représentant, du droit aux services de l’établissement de son choix consacré par les dispositions des articles 5 et 6 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S 4.2, la « LSSSS »). L’exercice de ces droits doit tenir compte des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose (art. 13 de la LSSSS).

En vertu de la LSSSS, un établissement qui ne peut dispenser certains services requis par l’état d’une personne a non seulement le droit mais l’obligation de la diriger vers un autre établissement1.

Deux décisions rendues en octobre 2008 démontrent bien les limites que peuvent constituer les ressources humaines, matérielles et financières dont dispose un établissement.

Dans l’affaire Centre de santé et de services sociaux de Rimouski Neigette c. G (F)2, l’établissement requérait l’autorisation du Tribunal afin de transférer, contre son gré, une personne déjà hébergée qui refusait catégoriquement d’être transférée vers l’unité des troubles de comporte- ment d’un autre établissement. Il alléguait qu’il ne disposait ni de la structure d’encadrement ni des effectifs requis pour la prise en charge d’un cas aussi exigeant, considérant les comportements agressifs de la personne et les menaces envers les autres résidants ainsi que le personnel soignant.

La preuve a établi que l’établissement ne disposait pas des ressources physiques et humaines lui permettant de procurer à la personne un hébergement adapté à sa condition. L’évolution de son état de santé démontrait l’impossibilité d’un redressement significatif et durable de son comportement. Confronté au refus de la personne d’être transférée, l’établissement a judiciarisé le dossier. Pour une période maximale d’un an, le Tribunal a ordonné son transfert dans une unité spécialisée des troubles du comportement d’un autre établissement dont le personnel, formé et expérimenté, était en mesure de gérer de tels troubles de comportement.

Dans l’affaire Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord c. G.T.3, le Tribunal devait déterminer s’il était opportun que la personne hébergée soit transférée de l’unité prothétique vers une autre unité de soins de l’établissement. Son fils, en tant que mandataire, s’opposait à un tel transfert soutenant que cela irait à l’encontre des intérêts de sa mère qui bénéficiait d’excellents soins dans cette unité.

Dans cette affaire, la personne avait été admise dans l’établissement en raison d’un diagnostic de démence mixte avec troubles de comportements secondaires tels une errance invasive et des cris inappropriés. Peu de temps suivant son admission, elle a été transférée dans une unité prothétique nouvellement créée dont les critères d’admission étaient notamment que la personne puisse se déplacer seule et présenter un comportement dérangeant pour son environnement.

Quelques mois plus tard, l’établissement constate que l’état de santé de la personne ne correspondait plus aux critères requis pour son maintien dans l’unité prothétique en ce qu’elle n’était plus en mesure de se déplacer seule et qu’elle n’avait plus de comportements dérangeants pour les autres résidants de l’unité. Des soins corporels devaient de plus lui être prodigués, contrairement aux autres résidants de l’unité prothétique.

L’établissement avait accommodé la personne en la gardant à l’unité prothétique malgré que son état de santé ne correspondait plus aux critères requis pour y être maintenue. Toutefois, il a été démontré que l’état de santé d’une autre personne requérait un traitement dans l’unité prothétique. Comme la seule place disponible correspondait à celle que la personne occupait sans répondre aux critères d’accès à cette unité et que son fils s’opposait à son transfert, l’établissement a présenté une requête au Tribunal pour être autorisé à la transférer d’unité.

Le Tribunal a conclu que la notion de qualité de soins englobe aussi l’aspect de sécurité de la personne. Vu sa vulnérabilité, il estime que la personne serait mieux protégée dans une unité où les résidants ne circulent pas d’une chambre à l’autre et ne risquent pas de l’importuner. Le Tribunal prend aussi en compte l’inconvénient engendré par l’importance des soins exigés par la personne sur les autres résidants. La disponibilité réduite des préposés de l’unité affectait le temps d’accompagnement et le niveau de surveillance des autres résidants.

Le Tribunal a jugé que même s’il y avait eu un engagement de l’établissement envers la personne, à l’effet qu’elle puisse demeurer dans l’unité prothétique jusqu’à ce que bon lui semble, il devait céder le pas à l’impératif d’une utilisation adéquate des ressources disponibles afin que les soins requis soient donnés aux usagers en fonction de leur état de santé.

Le Tribunal a donc autorisé le transfert de la personne dans une autre unité du même établissement et ce, en dépit de l’opposition de son fils.

Chaque établissement peut donc opposer à l’usager qui fait valoir son droit aux services de l’établissement de son choix des contraintes liées à la formation ou à l’expérience de son personnel ou celles concernant l’organisation de ses unités de soins. En l’absence de consentement, l’établissement peut notamment demander au Tribunal le transfert d’un usager vers une autre unité ou vers un autre établissement lorsque son état de santé le requiert et que les ressources de l’établissement ne sont plus en mesure de répondre à ses besoins. À cette fin, l’établissement devra démontrer l’atteinte de ses propres limites.

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