Le 8 juin dernier, la Cour d’appel rendait un arrêt en matière de consentement aux soins1. Celui-ci est digne d’intérêt en ce que la Cour d’appel réitérait des propos tenus près de 15 ans plus tôt, mais très souvent ignorés, selon lesquels « le simple fait qu’une personne ait un régime de protection ne crée pas une présomption d’inaptitude à consentir à des soins médicaux »2 R.J.Q. 229 (C.A.).]. Cette distinction est en effet souvent méconnue, tant par les usagers et leurs proches que par les professionnels de la santé, les juristes et même, comme en témoigne cet arrêt, par la magistrature.
LES FAITS
L’usager, un homme de 84 ans sous curatelle, présentait de multiples problèmes de santé physique, ainsi qu’un trouble cognitif progressif. Cette condition avait comme conséquence des problèmes d’ordre comportemental importants, notamment des épisodes de violence conjugale envers son épouse octogénaire.
Il avait été hospitalisé à de multiples reprises au cours des dernières années, dont cinq fois en 2009. Après avoir fait des séjours dans certaines résidences d’accueil, il était retourné vivre avec son épouse en juin 2008. L’usager fuyait régulièrement l’hôpital et les maisons d’accueil où il avait été admis, ou se faisait expulser de ces dernières ressources en raison de ses problèmes de comportement.
Malgré les propos de l’usager à l’effet qu’il pouvait vivre facilement dans son appartement avec son épouse et qu’il prenait sa médication de façon rigoureuse, le Tribunal retenait de la preuve qu’il demeurait dans un logement inadapté à sa condition et que sa prise de médicaments était irrégulière et inadéquate.
Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour supérieure ordonnait son hébergement dans une ressource adaptée à ses besoins ainsi que l’administration des soins et traitements requis par son état de santé et ce, pour une période de deux ans.
Dans sa décision, la Cour supérieure affirmait que :
« L’inaptitude du défendeur doit être tenue pour acquise. En effet, le Curateur public fut nommé pour le représenter le 1er octobre 2009 par une décision du tribunal qui a déclaré le défendeur inapte et a prononcé l’ouverture d’un régime de protection à la personne et aux biens de ce majeur. »3
Tout en confirmant ce jugement, la Cour d’appel déclarait que le juge de la Cour supérieure avait erré :
« Avec beaucoup d’égards, le juge commet une erreur de droit en inférant du jugement de curatelle, que nous infirmons par ailleurs, l’inaptitude à consentir aux soins. Il faut encore procéder à une évaluation particularisée de la situation de la personne visée par la requête. Or, le juge s’applique ensuite à constater cette inaptitude en puisant dans la preuve administrée devant lui, malgré l’affirmation reproduite ci-haut […] »4
Il importe donc de rappeler les distinctions entre l’inaptitude à consentir aux soins et celle nécessaire à l’ouverture d’un régime de protection.
L’INAPTITUDE À CONSENTIR AUX SOINS
Les règles relatives au consentement aux soins sont prévues au Code civil du Québec5. En vertu de celles-ci, nul ne peut être soumis à des soins sans son consentement6. Ainsi, un usager majeur apte peut consentir ou refuser des soins, même au détriment de sa santé. Cependant, un régime particulier est mis en place pour celui qui est inapte à consentir aux soins (le « majeur inapte »), d’où l’importance de déterminer l’aptitude du majeur à consentir aux soins.
Une telle évaluation doit faire l’objet d’une appréciation médicale rigoureuse, fondée sur des critères bien précis. Ceux-ci n’ayant pas été établis par le législateur, il a fallu attendre en 1994 pour que la Cour d’appel, dans l’arrêt Pinel7 R.J.Q. 2523 (C.A.).], établisse le test applicable. Parfois désigné sous le vocable de « test de la NouvelleÉcosse », car il est inspiré de la Hospitals Act de la Nouvelle-Écosse 8, l’évaluation de l’aptitude à consentir aux soins requiert l’examen de cinq questions :
1) La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé?
2) La personne comprend-elle la nature et le but du traitement?
3) La personne saisit-elle les risques et les avantages du traitement si elle le subit?
4) La personne comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement?
5) La capacité de comprendre de la personne est-elle affectée par sa maladie?9 R.J.Q. 792 (C.A.).]
Cette évaluation doit être confirmée dans un rapport rédigé par un médecin, préférablement un psychiatre. Elle est requise pour chacun des soins et ce, à chaque occasion où le majeur doit se soumettre à de tels soins. Ainsi, un énoncé général selon lequel une personne est inapte à consentir à tous les soins devra être nuancé dans la très grande majorité des cas.
Un arrêt de la Cour d’appel, rendu en 2004, offre un excellent exemple de l’analyse particularisée du consentement aux soins chez le majeur10. Dans cette affaire, une usagère avait été déclarée apte à consentir à la prise de médication ainsi qu’à une chirurgie, mais inapte à consentir à son hébergement.
En présence d’un majeur inapte à consentir aux soins, il sera nécessaire de recourir au consentement substitué11. Ce consentement devra être donné dans le seul intérêt du majeur, en tenant compte des volontés que celui-ci a pu manifester, et en s’assurant que les risques ou effets secondaires ne sont pas hors de proportion avec les bienfaits espérés12.
Néanmoins, même si le majeur est inapte à consentir aux soins, une autorisation judiciaire sera requise si l’établissement essuie un refus catégorique de la part de l’usager13. Dans cette hypothèse, un rapport médical devra faire état de l’examen en cinq questions, du refus catégorique, de la nécessité des soins et de leurs bienfaits prépondérants par rapport aux risques et effets secondaires. Ce rapport servira d’assise au soutien de la requête en autorisation de traitements qui sera présentée au Tribunal, à la demande de l’établissement ou du médecin.
L’INAPTITUDE POUVANT DONNER LIEU A L’OUVERTURE D’UN REGIME DE PROTECTION
Quant à l’inaptitude du majeur aux fins de l’ouverture d’un régime de protection, les règles sont établies dans un chapitre distinct du C.c.Q.14. La finalité de l’ouverture d’un tel régime est d’assurer la protection du majeur inapte ou l’administration de son patrimoine, en plus de sa représentation dans l’exercice de ses droits civils15. L’incapacité du majeur protégé à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens peut être partielle ou totale et ce, pour une durée temporaire ou permanente.
Selon le degré de l’inaptitude du majeur, trois régimes de protection différents sont prévus, soit la curatelle, la tutelle ou le conseiller au majeur16. Par exemple, celui inapte à prendre soin de luimême et à administrer ses biens, de façon totale et permanente, devra bénéficier d’un régime de curatelle17.
Sauf exceptions, pour les usagers pris en charge par un établissement de santé et de services sociaux, le Rapport du directeur général constitue la première étape en vue de l’ouverture d’un régime de protection18. Ce document, adressé au Curateur public du Québec, comprend une évaluation médicale et psychosociale faisant état de l’appréciation du degré d’inaptitude et des options quant au choix d’un représentant légal.
Soulignons que l’ouverture d’un régime de protection ne peut être demandée par un établissement ou un médecin, contrairement à la demande d’autorisation de soins. Cette démarche sera plutôt entreprise par un proche du majeur inapte ou le Curateur public 19.
CONCLUSION
Ce bref résumé met en évidence les distinctions fondamentales entre ces deux inaptitudes, tant au niveau des règles applicables que de leur finalité.
Ces régimes peuvent évidemment se chevaucher, mais un majeur protégé, par exemple sous curatelle, pourrait être apte à consentir aux soins. Inversement, un usager apte à gérer ses biens et sa personne pourrait être inapte à consentir aux soins. Une évaluation de cette aptitude demeure donc nécessaire pour tous les soins.
L’utilisation d’un même terme pour référer à deux réalités bien différentes peut créer de la confusion tant chez les professionnels de la santé que chez les juristes. Il est donc souhaitable que les enseignements récents de la Cour d’appel permettent de dissiper cet imbroglio.