La Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace (Loi 15) a été adoptée sous bâillon le 9 décembre dernier. Elle se veut une étape importante vers une nouvelle grande transformation de notre réseau public de santé et de services sociaux, la précédente étant celle ayant mené à la création des CISSS et des CIUSSS en 2015.
Si cette loi titanesque, qui compte plus de 1200 articles, a fait couler beaucoup d’encre depuis son dépôt à titre de projet à la fin mars 2023, peu se sont intéressés à son impact sur le portrait des rapports collectifs du travail dans le réseau. Or, une étude des derniers amendements apportés au projet de loi révèle une réorganisation somme toute importante du « portrait syndical ». Nous vous proposons ici une introduction à cette réorganisation, qui n’apparaissait pas comme telle dans la première mouture du projet de loi.
Il faut d’abord savoir qu’il n’est pas du tout question de syndicats et de rapports collectifs du travail dans le texte principal de la Loi 15. Ce sont plutôt les dispositions modificatives d’autres lois qui opèrent les changements. Cela est logique dans la mesure où la nouvelle loi se veut un véritable remplacement à la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS)[1], et non une loi sur les relations du travail. Dans le texte principal, retenons tout de même la création de Santé Québec, nouvel employeur, qui a pour mission d’offrir, par l’entremise des établissements publics, des services de santé et des services sociaux à la population (art. 23). À noter également que les établissements publics sont maintenant des unités administratives de Santé Québec (art. 37).
Modifications à la Loi sur le régime de négociation
Rappelons que la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic[2] est une loi cadre d’ordre public qui vise tous les établissements, incluant les établissements privés-conventionnés (EPC). Il s’agit de la loi qui prévoit la négociation de la convention collective à deux (2) paliers : les stipulations négociées et agréées à l’échelle nationale et celles négociées et agréées à l’échelle locale ou régionale. Règle générale, les sujets à connotation monétaire (salaires, congés, assurances, etc.) sont négociés au niveau national, alors que les sujets relatifs à l’organisation du travail (probation, liste de rappel, mutations volontaires, etc.) sont négociés localement par chaque établissement.
Nous notons une seule modification substantielle à cette loi : le changement à la définition d’« établissement ». Si on exclut les exceptions relatives aux établissements Inuits, Naskapis et Cris, il ne reste que deux (2) types d’établissements : Santé Québec et les EPC.
Aux fins des rapports collectifs du travail, on réduit donc considérablement les employeurs. Il y a maintenant un (1) seul employeur pour tout le réseau public (Santé Québec) et un (1) employeur par EPC (comme avant). Exit donc les CIUSSS, les CISSS, les CHU et autres types d’établissements. Il s’agit certes d’établissements au sens de la Loi 15, mais pas au sens de la Loi sur le régime de négociation et les autres lois du travail. Notons d’ailleurs au passage la confusion possible : Santé Québec n’est pas un établissement au sens de la Loi 15, mais gère des établissements publics, établissements publics qui ne sont pas des établissements (et donc pas des employeurs) au sens des lois sur le travail. Quant aux EPC, ce sont des établissements qui ne sont pas sous la gouverne de Santé Québec puisque non-publics. Il s’agit donc d’établissements autonomes (des employeurs) au sens des lois sur le travail.
Finalement, soulignons l’absence totale de modification quant au régime de négociation comme tel. Bien que Santé Québec soit un établissement qui regroupe tous les établissements publics de la province et qu’on peut certainement le qualifier de « national », la négociation à deux (2) paliers est maintenue. C’est donc dire qu’il y aura des dispositions nationales et des dispositions locales applicables chez Santé Québec. Reste à voir comment les négociations locales chez un employeur d’une telle ampleur s’organiseront. Chose certaine, on peut s’attendre à une plus grande homogénéité dans les règles entourant les 26 matières locales prévues à la loi.
Modifications à la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales
Mieux connue sous l’appellation « Loi 30 », la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales[3] ne porte pas sur le régime de négociation, mais plutôt sur le régime de représentation syndicale. En effet, il s’agit de la loi qui établit quatre (4) catégories de personnel par établissement et prévoit une (1) unité de négociation pour chaque catégorie de personnel. La loi prévoit donc un maximum de quatre (4) unités de négociation par établissement, mais par territoire. Si un établissement est présent sur plus d’un territoire, il est possible qu’il soit lié par plus de quatre (4) accréditations. La loi prévoit aussi une procédure pour déterminer la ou les nouvelles unités de négociation à la suite d’une intégration d’activités ou d’une fusion d’établissements (art. 12) et à la suite d’une cession partielle d’activités à un autre établissement (art. 29). Bref, c’est la Loi 30 qui établit le « portrait syndical » d’un établissement.
Il faut savoir que la Loi 30 s’applique aux établissements dont le régime de négociation est celui visé à la Loi sur le régime de négociation. Sauf exceptions, elle s’applique donc dorénavant uniquement à Santé Québec et aux EPC.
Comme Santé Québec couvre maintenant tout le territoire québécois, l’exception pour les accréditations territoriales (souvent appelées « bulles ») mentionnée plus haut n’existe plus. L’exception est toutefois maintenue pour les EPC, qui bénéficient du statu quo à cet égard.
Essentiellement, il s’agit là des seules modifications à la Loi 30 que prévoyait la première mouture du projet de Loi 15. Comment déterminer les quatre (4) nouveaux syndicats de Santé Québec? Simplement en suivant la procédure déjà prévue en cas d’intégration d’activités ou de fusion d’établissement (art. 12). Bref, le régime de la Loi 30 ne changeait presque pas.
Des amendements déposés en commission parlementaire le 28 novembre dernier sont toutefois venus considérablement modifier le « portrait syndical » jusqu’alors imposé par la Loi 30. Avec ces amendements, on passe de quatre (4) catégories de personnel à six (6). Essentiellement, le personnel en soins cardio-respiratoires se scinde du personnel infirmier et obtient sa propre catégorie de personnel (avec le personnel de soutien spécialisé). Le personnel d’assistance aux soins cliniques (par exemple les préposés aux bénéficiaires) se scinde quant à lui du personnel de soutien opérationnel et de métiers et obtient aussi sa propre catégorie de personnel. Le résultat est le suivant :
- personnel en soins infirmiers;
- personnel de soutien opérationnel et de métiers;
- personnel d’assistance aux soins cliniques;
- personnel de soutien de nature administrative;
- techniciens et professionnels de la santé et des services sociaux;
- techniciens et professionnels de soutien spécialisé et en soins cardio-respiratoires.
Qu’est-ce qu’implique cette réorganisation des catégories de personnel? Cela complique considérablement les choses. En effet, pour Santé Québec, on ne peut plus simplement suivre la procédure prévue en cas de fusion d’établissements puisque cette procédure fonctionne sur la base de quatre (4) catégories de personnel et non de six (6). Que faire? Les amendements prévoient le même fonctionnement qu’au moment de l’adoption de la Loi 30 en 2003 : un régime transitoire avec une course pour combler les six (6) accréditations « vacantes », suivie d’une période de négociation de 18 mois pour déterminer les premières dispositions locales applicables à chacun des six (6) syndicats accrédités. On repart donc à zéro en dépoussiérant le régime transitoire de l’époque, qui se trouve toujours aux articles 72 à 92 de la Loi 30.
Finalement, il est à noter que ce nouveau portrait syndical à six (6) catégories de personnel s’applique tant à Santé Québec qu’aux EPC. Le début de l’application du régime transitoire diffère toutefois. Pour Santé Québec, la transition débutera au jour du regroupement, qui correspond à la date de l’entrée en vigueur du nouveau régime. Pour les EPC, c’est un arrêté ministériel à venir qui donnera le coup d’envoi.
Concluons en constatant que la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace aura assurément un impact important sur les rapports collectifs du travail dans le réseau de la santé et des services sociaux. Non seulement le législateur a réduit considérablement le nombre d’employeurs en présence (essentiellement Santé Québec et les EPC), il a aussi redessiné les accréditations, ce qui implique une véritable réinitialisation du portrait syndical.
[1] RLRQ, c. S-4.2.
[2] RLRQ, c. R-8.2.
[3] RLRQ, c. U-0.1.