Le 1er novembre 2022, l’honorable juge Bernard Jolin de la Cour supérieure a rendu une décision exceptionnelle en matière d’autorisation de soins dans l’affaire Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine c. A.P.[1].

Après avoir entendu une imposante preuve d’experts (trois intensivistes pédiatriques, une neurologue pédiatrique et une éthicienne clinique), le Tribunal a autorisé le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (« Sainte-Justine ») à extuber un enfant de 5 ans hospitalisé aux soins intensifs de l’établissement dans un état végétatif depuis une tragique noyade. Le Tribunal autorise également Sainte-Justine à ne pas réintuber l’enfant si la cause de l’échec de l’extubation est liée à ses lésions neurologiques sévères et irréversibles.

 

Le contexte

Le 12 juin 2022, une tragédie survient alors que X, 5 ans, est retrouvé au fond de la piscine familiale. La preuve révèle qu’il a été submergé sous l’eau approximativement 15 à 20 minutes et a été en arrêt cardiorespiratoire pendant une durée totale de 1h30, son rythme cardiaque ayant repris suite aux manœuvres de réanimation prodiguées.

Il est admis aux soins intensifs pédiatriques de Sainte-Justine en soirée. Un tube endotrachéal l’aide à respirer et il est hydraté et nourri par gavage. Sur le plan neurologique, il demeure dans un profond coma avec atteinte sévère des réflexes du tronc cérébral.

Les quatre experts médicaux qui ont témoigné dans cette cause sont unanimes quant au pronostic sombre et dévastateur de l’enfant. Il ne voit pas, n’entend pas et n’a pas conscience de son environnement. Les experts ne doutent pas que son expectative de vie est significativement réduite et ne croient pas à une possibilité d’amélioration de son état[2].

Puisqu’il respire, l’intubation de l’enfant est contre-indiquée. S’il peut survivre à son extubation, il peut également en décéder.

À de multiples reprises, l’équipe médicale de Sainte-Justine discute avec les défendeurs, parents de X, de la possibilité de l’extuber puisqu’il respire de manière autonome et que la ventilation mécanique est devenue contre-indiquée pour son état. Les défendeurs s’y opposent, craignant la mort de X. Ils souhaitent que leur fils soit réintubé sans condition[3].

Malgré les nombreuses tentatives de rallier les défendeurs à un plan de traitement consensuel et dans l’intérêt de X, l’impasse entre les parties subsiste, de sorte que Sainte-Justine formule une demande d’autorisation de soins pour retirer le tube endotrachéal sans possibilité de réintubation en cas d’échec de l’extubation lié à sa condition neurologique.

Appliquant les principes juridiques en matière de consentement aux soins d’un mineur de moins de 14 ans[4], dont le principe phare de celui de l’intérêt de l’enfant, le Tribunal devait répondre aux deux questions en litige suivantes :

  1. Le refus des parents de consentir au plan de traitement proposé par Sainte-Justine est-il raisonnable et justifié au regard de l’intérêt de l’enfant?
  2. Dans la négative, le plan de traitement proposé par Sainte-Justine est-il requis par l’état de santé de l’enfant et correspond-il à son meilleur intérêt?

 

L’analyse du Tribunal

Malgré toute l’empathie requise pour aborder une telle affaire, le juge conclut que le refus des défendeurs de consentir au plan de traitement n’est pas justifié et est contraire au meilleur intérêt de X.

Il énonce que les défendeurs s’opposent à tout plan de traitement qui comprend une extubation sans possibilité de réintubation puisque cette démarche peut entraîner la mort de leur enfant. Le Tribunal détermine que « leur foi en Dieu, omniprésente dans leurs échanges avec l’équipe médicale, les amène à rejeter toute forme d’intervention susceptible de causer la mort de X et à évacuer l’avis unanime des experts »[5].

Ainsi, il est d’avis que les défendeurs n’envisagent le meilleur intérêt de X que sous l’angle de son maintien en vie, quelle que soit sa condition. En effet, « leur objectif consiste à maintenir X intubé le plus longtemps possible pour permettre l’accomplissement d’un miracle »[6]. Le Tribunal indique que la conception des défendeurs s’écarte d’une juste perspective de la réalité, à laquelle s’ajoute une méfiance qu’ils entretiennent à l’égard de l’équipe médicale.

Ayant conclu que le refus des défendeurs est injustifié, le Tribunal s’applique donc à évaluer la légalité du plan de traitement, pouvoir qui lui est dévolu par la loi en matière de consentement aux soins[7].

En se fondant sur la preuve d’experts, le Tribunal conclut que le plan de traitement proposé par Sainte-Justine est requis par l’état de santé de X et correspond à son meilleur intérêt.

En effet, le juge note que l’intubation de l’enfant n’a aucun impact sur son pronostic neurologique[8]. Il retient également que la présence du tube endotrachéal comporte des conséquences négatives, notamment, des crises de raideur musculaire intenses (crises de dysautonomie), l’augmentation du risque de contracter une pneumonie qui est susceptible d’entraîner sa mort, un risque de choc septique provoqué par la présence de micro-organismes dans le sang, un risque d’inflammation de la trachée et un risque de contracter des plaies de lit[9].

S’il survit à l’extubation, cela permettra une prise en charge moins aiguë et une meilleure mobilisation de X pour faciliter ses soins d’hygiène et lui prodiguer des traitements de physiothérapie.

Ainsi, le juge retient que les effets néfastes de l’intubation ou la réintubation sont supérieurs aux bénéfices escomptés, concluant que les risques de décès de l’enfant sont davantage liés à ses lésions cérébrales irréversibles qu’à l’extubation elle-même[10].

Le juge autorise donc le plan de traitement qui s’articule autour d’une extubation sans possibilité de réintubation, combiné à des soins de confort. Précisons toutefois que le plan autorise une réintubation transitoire et temporaire en cas de chirurgie planifiée, puisqu’une telle réintubation ne serait pas liée à sa condition neurologique[11].

Justifiant sa conclusion, il indique que le plan de traitement autorisé n’a pas un caractère permanent et le niveau de soins n’est pas indéfini, contrairement à ce que prétendent les défendeurs. Bien que ce plan ne prévoie pas de durée précise, comme il est généralement le cas en matière d’autorisation de soins, la preuve révèle que la réaction de l’enfant sera connue dans les heures suivant l’extubation. Les défendeurs seront donc impliqués dans la trajectoire de soins subséquente, le cas échéant, n’étant pas dépouillés de leur autorité parentale.

En autorisant le plan de traitement, le Tribunal ne se substitue pas aux parents pour décider à leur place. Il ne fait que corriger leur décision manifestement erronée, tel que la jurisprudence l’enseigne[12].

 

Conclusion

Le Tribunal autorise donc Sainte-Justine à procéder au plan de traitement puisqu’il est requis par l’état de santé de X et dans son meilleur intérêt. Les convictions morales ou religieuses des défendeurs ne peuvent faire obstacle à l’intervention du Tribunal[13].

Notons que les défendeurs ont porté la décision devant la Cour d’appel du Québec et que la cause sera entendue le 19 décembre prochain.

Bien qu’il s’agisse de la première décision au Québec en matière d’extubation, il existe une jurisprudence provenant d’autres provinces canadiennes dans un contexte similaire[14]. Dans ces affaires, les tribunaux concernés ont ordonné l’extubation au motif qu’un tel geste était dans le meilleur intérêt de l’enfant eu égard à sa condition. La mort de ces enfants était inévitable et il n’y avait pas de possibilité d’amélioration de leur état.


[1] 2022 QCCS 4033.

[2] Jugement, par. 69-75.

[3] Jugement par. 125.

[4] Jugement, par. 30 à 45.

[5] Jugement, par. 90.

[6] Jugement, par. 89.

[7] F.D. c. Centre universitaire de santé McGill, (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139.

[8] Jugement, par. 103.

[9] Jugement par. 112.

[10] Jugement par. 128.

[11] Jugement, par. 129.

[12] Jugement par. 122. Couture-Jacquet c. Montreal Children’s Hospital, 1986 CanLII 4022 (QC CA), par. 35.

[13] Jugement, par. 45.

[14] DK v. Gilfoyle, 2021 ONSC 7248 (CanLII); Chalifoux v. Alberta Health Services, 2014 ABQB 624.

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