La Cour supérieure a rendu un jugement le 21 septembre 2015 (2015 QCCS 4365) dans lequel elle condamne le ministère des Transports du Québec (le «MTQ») à verser des dommages importants à Inter-Cité Construction ltée («Inter-Cité») pour avoir fautivement annulé un appel d’offres en invoquant la clause de réserve.
Le MTQ a lancé un appel d’offres public pour les travaux de prolongement de l’Autoroute 5 dans la municipalité de Chelsea. Selon les documents d’appel d’offres, le MTQ affirme détenir les autorisations environnementales pour les activités prévues aux devis. Suite à l’ouverture publique des soumissions, il s’avère qu’Inter-Cité a déposé la plus basse soumission conforme. Environ deux semaines après l’ouverture des soumissions, le MTQ informe Inter-Cité qu’il a des difficultés à obtenir les autorisations environnementales fédérales qui selon les documents d’appel d’offres devaient déjà être en sa possession. En fait, le MTQ croyait qu’il obtiendrait les autorisations avant la date d’ouverture des soumissions.
Durant un peu plus de trois mois, le MTQ et Inter-Cité ont des échanges à propos des autorisations non encore reçues, du report des travaux et des frais qu’Inter-Cité entend réclamer.
Finalement, quatre mois après l’ouverture des soumissions et sans que les travaux n’aient débuté, le MTQ annonce à Inter-Cité qu’il annule l’appel d’offres puisqu’il lui manque toujours une autorisation environnementale. Le MTQ avise Inter-Cité par écrit qu’il se prévaut de la clause de réserve prévue aux documents d’appels d’offres selon laquelle il ne s’engage à accepter aucune des soumissions reçues et, sur la base de l’article 34 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics (RLRQ, c. C-65.1, r.5) (ci-après le « Règlement »). verse 5 000 $ à Inter-Cité en compensation pour l’annulation de l’appel d’offres.
Suite à l’annulation de l’appel d’offres, Inter-Cité poursuit le MTQ.
Nous rappelons qu’en matière d’appel d’offres, il faut considérer deux contrats, soit le contrat A entre le donneur d’ouvrage et les soumissionnaires et le contrat B entre le donneur d’ouvrage et l’adjudicataire.
Dans cette affaire, la Cour détermine que le contrat B ne s’est jamais conclu, et ce, malgré qu’Inter-Cité ait été déclarée le plus bas soumissionnaire conforme et que les parties aient eu des échanges durant quatre mois suite à l’ouverture des soumissions. La Cour souligne que le MTQ a délibérément omis de transmettre une lettre d’adjudication à Inter-Cité. La situation est donc analysée par le tribunal sous l’angle du contrat A.
La Cour conclut que le MTQ a commis plusieurs fautes qui ont engagé sa responsabilité. D’abord, les documents d’appels d’offres n’autorisaient pas le MTQ à rendre l’octroi du contrat conditionnel à l’obtention des autorisations environnementales puisqu’il prétendait déjà les avoir. Dans ce contexte, le MTQ ne pouvait utiliser la clause de réserve pour mettre fin au processus. La clause de réserve ne peut servir d’échappatoire lorsque le donneur d’ouvrage est lui-même fautif.
Non seulement le MTQ a-t-il manqué à son obligation d’information envers les soumissionnaires, mais pire, il les a induits en erreur. Les représentations du MTQ à l’égard des autorisations sont importantes pour les soumissionnaires. Cette information est rassurante pour eux et influence leur évaluation des risques liés au projet. La Cour considère que le MTQ a également manqué à son obligation de collaboration envers les soumissionnaires. Il a tardé à aviser Inter-Cité qu’il ne détenait pas les autorisations environnementales dont il avait besoin et il a minimisé les difficultés qu’il éprouvait à les obtenir. Cela est d’autant plus grave que des pénalités étaient prévues aux documents d’appel d’offres si l’adjudicataire ne respectait pas l’échéancier prévu. Le MTQ a attendu que la période de validité de la soumission d’Inter-Cité soit terminée pour lui dire que les travaux seraient retardés de plusieurs mois.
La Cour considère que le MTQ est responsable des dommages subis par Inter-Cité depuis le lancement de l’appel d’offres jusqu’à son annulation. La Cour reconnaît qu’Inter-Cité était justifiée d’avoir maintenu ses équipements en attente et de ne pas les avoir réaffectés à d’autres projets étant donné les propos rassurants du MTQ.
De plus, selon la Cour, la décision d’Inter-Cité de soumissionner sur le deuxième appel d’offres du MTQ ne doit pas être considérée comme une renonciation à obtenir compensation. Inter-Cité a fait parvenir au MTQ une lettre de mise en demeure lui réclamant 1,5 million de dollars, et ce, avant même que le MTQ publie le deuxième appel d’offres. De plus, Inter-Cité avait avisé le MTQ que la somme de 5 000 $ qui lui avait été versée ne constituait pas un règlement final.
Selon la Cour, le MTQ ne peut se réfugier derrière la protection qu’offre l’article 34 du Règlement qui quantifie les dommages susceptibles d’être payés par un organisme public suite à l’annulation d’un appel d’offres, puisque c’est fautivement que le MTQ a mis fin au premier appel d’offres.
La Cour accorde à Inter-Cité, pour la mise en disponibilité de son personnel de gestion et pour la mise en attente de sa machinerie, des dommages de l’ordre de 1 335 134 $ plus les intérêts.
Il faut retenir de ce jugement que les donneurs d’ouvrage doivent faire preuve de transparence au moment de la rédaction des documents d’appel d’offres et également lorsque survient un problème suite à l’ouverture des soumissions. Ce jugement démontre que la clause de réserve ne peut servir de porte de sortie lorsque des erreurs ont été commises par le donneur d’ouvrage, et ce, même en l’absence d’intention malicieuse. La Cour retient que le MTQ a agi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
Mentionnons cependant que le MTQ a porté le jugement de la Cour supérieure en appel.