En vertu du Code civil du Québec 1, les établissements de santé doivent obtenir l’autorisation du Tribunal pour dispenser les soins nécessaires à un majeur inapte lorsque ce dernier refuse catégoriquement de recevoir ces soins. En général, la durée des ordonnances accordées par le Tribunal est de deux ans 2. Cette durée est-elle appelée à augmenter? La Cour d’appel a récemment rendu un arrêt intéressant sur le sujet 3.

L’ARRÊT DE LA COUR D’APPEL

Dans cette affaire, l’usagère visée est âgée de 84 ans et est atteinte de la maladie d’Alzheimer. L’établissement demande pour une troisième fois à la Cour supérieure de l’autoriser à lui dispenser les soins requis par son état de santé. Les deux premières demandes ont été accordées pour une durée de 24 mois. Le Tribunal accueille cette fois la demande d’ordonnance pour une durée de cinq ans.

Le Curateur public du Québec demande la rétractation de ce jugement devant la Cour supérieure puisque, par inadvertance, il n’a pas été convoqué à l’audition. Par sa requête, il demande au Tribunal de réduire la durée de l’ordonnance à trois ans pour permettre de réévaluer la situation de l’usagère à plus brève échéance 4.

Lors de l’audition de cette requête, le médecin de l’établissement témoigne à l’effet que l’usagère doit être encadrée pour éliminer le danger qu’elle représente pour elle-même et éviter une détérioration graduelle de son fonctionnement, de sa qualité de vie et de son autonomie. De plus, les soins médicaux demandés seront nécessaires jusqu’à la fin de sa vie. Le médecin affirme également que l’usagère ne sera jamais capable de consentir aux soins requis par son état de santé puisqu’il sera au mieux, stable, et au pire, dégénératif. Pour cette raison, l’établissement demande au Tribunal de maintenir l’ordonnance de soins d’une durée de cinq ans et ce, malgré que cette durée soit plus longue que celle habituellement accordée par la Cour supérieure et la Cour d’appel.

Le Tribunal retient qu’il n’a reçu en preuve que l’expertise du témoin de l’établissement. Il ajoute qu’il doit rendre une décision au sujet d’une usagère qui n’est pas dans la vingtaine et pour laquelle on ne peut espérer d’amélioration. Invoquant l’article 4.2 du Code de procédure civile 5, concernant la proportionnalité des procédures, le Tribunal souligne que l’intégrité de l’usagère est sans contredit plus importante que le coût associé aux procédures. Par contre, il ajoute que le Tribunal doit être réaliste et considérer que l’usagère sera inapte à consentir aux soins jusqu’à la fin de ses jours. Pour ces raisons, il maintient intégralement le jugement initial et rejette la requête en rétractation du Curateur public.

Ce dernier a décidé d’interjeter appel dans ce dossier. Il reproche à l’établissement d’avoir fait prévaloir ses ennuis administratifs au détriment du droit fondamental de l’usagère de faire réévaluer sa condition à plus brève échéance. La Cour d’appel donne d’ailleurs raison au Curateur public sur cet argument, affirmant que les ennuis administratifs ne doivent pas prévaloir sur les droits fondamentaux des usagers.

Le Curateur public fait également remarquer à la Cour qu’aucune décision n’a accordé une ordonnance de soins de plus de trois ans. La Cour d’appel rappelle au Curateur public que le Tribunal doit rendre une décision à partir de la preuve qui lui est soumise.

En l’espèce, la preuve démontre qu’il s’agit de la troisième ordonnance de soins pour cette usagère et que la maladie est constante et définitive. Il s’agit d’une situation exceptionnelle qui permet au juge, dans sa discrétion, de rendre une ordonnance de plus longue durée. Ainsi, la Cour d’appel maintient le jugement de première instance.

LES DÉCISIONS REPRENANT LE PRINCIPE DE LA « SITUATION EXCEPTIONNELLE »

Cet arrêt a depuis été invoqué par quelques établissements devant la Cour supérieure. En mai 2010 6, un établissement a demandé une ordonnance de soins de 60 mois pour une usagère âgée de 25 ans atteinte de schizophrénie réfractaire persistante et sévère. Le médecin de l’établissement a témoigné que le risque le plus sérieux pour les gens souffrant de ce type particulier de schizophrénie est de vouloir mettre fin à leurs jours. Il a également expliqué que le risque de passage à l’acte, pour les patients ainsi diagnostiqués, est plus important entre 20 et 30 ans. Ainsi, le médecin a affirmé avoir prévu un plan de traitement de cinq ans qui vise à rendre l’usagère autonome et fonctionnelle audelà de la période critique de passage à l’acte. Le Curateur public s’est opposé à cette demande et a réclamé une ordonnance de soins n’excédant pas trois ans.

Le Tribunal a repris les motifs de la Cour d’appel et a affirmé qu’il a la discrétion pour prolonger la durée « normale » d’une autorisation de soins dans une situation exceptionnelle.

Ainsi, le témoignage du médecin de l’établissement, qui n’a pas été contredit, a permis au Tribunal de conclure qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle. Le Tribunal a donc accueilli la requête selon ses conclusions et ordonné à l’usagère visée de se soumettre aux soins proposés pour une durée de cinq ans. Cette décision n’a pas été portée en appel par le Curateur public.

Récemment, l’Institut Philippe-Pinel de Montréal a également demandé au Tribunal de prononcer une ordonnance de 60 mois à l’endroit d’un usager de 32 ans qui présentait des troubles schizo-affectifs avec agressivité 7. Le Curateur public s’est à nouveau opposé à cette demande et a demandé au Tribunal de respecter la limite auparavant établie à trois ans. Le Tribunal a répété que seules des circonstances exceptionnelles justifient une ordonnance de soins de 60 mois et a accueilli la requête de l’établissement pour 48 mois, afin de concilier les besoins de traitement et les droits de l’usager.

Par ailleurs, la Cour supérieure a réduit à trois ans une demande d’autorisation de soins de 60 mois déposée par un établissement 8. Il s’agissait d’une demande à l’endroit d’un usager âgé de 26 ans et souffrant de schizophrénie paranoïde. Le Tribunal explique qu’il pourrait être dangereux pour l’usager, ses proches et le personnel médical de cesser la prise de médication. En effet, il est fort probable que l’usager retombe dans ses délires s’il cesse le traitement. Cependant, le Tribunal est d’avis que le terme de cinq ans est exceptionnel et que la situation de l’usager pourrait évoluer durant les trois années de l’ordonnance. Afin de favoriser le bien-être de l’usager et d’éviter les risques probables associés à l’arrêt de médication, le Tribunal a ordonné aux parties de se présenter en Cour deux mois avant l’expiration de l’ordonnance afin de vérifier l’opportunité d’émettre une prolongation de cette dernière.

CONCLUSION

Il semble désormais possible que les tribunaux émettent des ordonnances de soins dépassant la durée autrefois limitée à trois ans. Ces ordonnances seront exceptionnellement rendues, tel que répété dans les décisions susmentionnées, lorsque la preuve médicale le justifiera.

Cette dimension exceptionnelle n’a pas nécessairement un lien avec l’âge ou avec la nécessité de dispenser des soins jusqu’au décès de l’usager. Chaque situation peut présenter, en regard de la preuve soumise au Tribunal, un caractère exceptionnel.

L’établissement doit s’assurer que la preuve du caractère exceptionnel de la situation ressort du rapport médical et du témoignage des professionnels.

Ces demandes d’ordonnance d’une durée de cinq ans doivent évidemment se faire dans l’intérêt de l’usager et non pas pour éviter une lourdeur administrative à l’établissement. Cependant, tel que l’a conclu la Cour supérieure dans l’affaire CSSS Drummond, l’usager et l’établissement peuvent tous deux bénéficier d’une ordonnance de traitement de plus longue durée. L’usager pourra bénéficier d’un plan de traitement approprié à sa condition et l’établissement n’aura pas à présenter une requête pour ordonnance de soins à plus brève échéance lorsque la condition exceptionnelle de l’usager ne le nécessite pas.

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