Dans un jugement récent de la Cour d’appel en matière d’outrage au tribunal, le plus haut tribunal de la province responsabilise sérieusement les dirigeants syndicaux locaux, en l’occurrence des infirmières, en présence d’une ordonnance judiciaire visant à prévenir la grève. En effet, l’arrêt Syndicat des professionnelles en soins de St-Jérôme (FIQ) c. Centre de santé et de services sociaux de St-Jérôme, (2013 QCCA 2083) pourrait avoir des échos dans le réseau de la santé et des services sociaux et dans d’autres secteurs assujettis aux services essentiels.

L’auteur a eu le privilège de représenter le CSSS de St-Jérôme à titre d’employeur dans cette affaire l’opposant au syndicat d’infirmières FIQ. Avant d’exposer les semonces de la Cour envers le syndicat et ses représentantes locales, il convient de résumer simplement les faits.

L’action se déroule à l’urgence de l’Hôtel-Dieu de St-Jérôme sur le quart de soir qui débute à 16h. Le 20 septembre 2010, les infirmières et infirmières-auxiliaires du quart de soir tiennent un « sit-in » et refusent de débuter leur quart de travail, le tout pour dénoncer un manque d’effectifs à l’urgence cette soirée-là. Cette grève n’est pas de l’initiative du syndicat, mais de celle des salariées. Elle est illégale.

Le lendemain, les parties font appel à une médiatrice du Conseil des services essentiels.  Une entente est conclue et signée. L’entente, qui selon le Code du travail vaut ordonnance du CSE, contient une clause spécifique obligeant les dirigeants syndicaux à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour que les salariés ne débraient plus. Elle est déposée à la Cour supérieure pour valoir jugement.

Un peu moins de trois mois plus tard, le 12 décembre 2010, se produit un nouveau « sit‑in » en début de quart, toujours pour contester un manque d’effectifs à l’urgence ce soir-là. Les dirigeantes syndicales se rendent alors sur place. Au nom des salariées, elles discutent avec les représentants de l’employeur, mais le ton est à l’affrontement. Plutôt que d’encourager les salariées à entrer au travail, elles tentent de négocier. Elles réclament du temps double pour les salariées de jour qui combleraient les effectifs de soir, elles exigent de parler au directeur général, elles menacent d’appeler les médias, elles remettent en doute les efforts de l’employeur pour trouver du personnel disponible, etc. Plus tard en soirée, les effectifs sont finalement comblés et les salariées acceptent d’entrer au travail. L’employeur entreprend un recours en outrage au tribunal contre le syndicat invoquant qu’il n’a pas « pris toutes les mesures nécessaires » pour que les salariées s’abstiennent de faire grève.

Il faut savoir que l’outrage au tribunal, puisqu’il peut notamment mener à l’emprisonnement, répond aux règles du droit criminel et pénal. Ainsi, le requérant (le CSSS en l’espèce) doit prouver hors de tout doute raisonnable l’acte et l’intention de l’outrage. L’intention peut toutefois être révélée par une insouciance grossière à l’égard de l’ordonnance.

L’employeur a eu gain de cause devant le Cour supérieure. Dans un jugement du 20 janvier 2012 rendue par l’honorable Chantal Corriveau, (2012 QCCS 310) a déclaré le syndicat coupable d’outrage au tribunal. La citation qui suit résume son jugement :

« [140] …le syndicat avait l’obligation de faire respecter l’ordonnance. Il ne pouvait se retrancher en se limitant à demander à l’employeur de mettre en place les mesures correctives, tel qu’offrir du temps double aux employés de jour, sans demander à ses membres de retourner travailler. » (Nous soulignons)

Dans la cause, la juge Corriveau s’est notamment appuyée sur une déclaration de la présidente du syndicat à l’effet qu’il n’était pas du rôle de ce dernier d’exiger que les salariées entrent au travail en contexte de manque d’effectifs. Au contraire, de conclure la juge, c’est exactement ce que visait l’ordonnance et le syndicat n’avait pas du tout incité ses membres à cesser leur moyen de pression préférant plutôt négocier avec l’employeur.

Le syndicat a porté l’affaire devant la Cour d’appel qui a maintenu le jugement de première instance, tout en rédigeant quelques commentaires concernant la responsabilité des dirigeants syndicaux face à une ordonnance similaire, fréquente en matière de services essentiels.

D’abord, pour affirmer le caractère clair de l’ordonnance (« prendre toutes les mesures nécessaires »), les juges Biche, Kasirer et Dufresne citent avec approbation la juge de première instance dans la causeMontréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (SCFP) (2006 QCCS 5273) et écrivent :

« […] si les officières du syndicat voient un manque de clarté dans un tel texte, « on s’inquiéterait de leurs compétences dans leur domaine de prédilection». »

À l’argument que le syndicat ne pouvait tout de même pas commander aux salariées d’entrer au travail, la Cour fait la part des choses et répond :

« [30] Il est vrai que le Syndicat ne pouvait forcer les salariées à rentrer au travail et qu’il n’existe pas de lien de préposition entre un syndicat et ses membres. Toutefois, comme le souligne l’intimé, les officières du syndicat auraient pu inviter les salariées à respecter la décision ou les y encourager, voire manifester clairement leur désaccord avec l’arrêt de travail. Selon la preuve, rien de cela n’a été fait et le Syndicat ne peut pas simplement, dans les circonstances, plaider l’impuissance.

[31] Par ailleurs, le Syndicat soutient qu’il ne pouvait inciter ses membres à reprendre le travail, puisque cela aurait mis la qualité des soins et la sécurité des patients à risque et enfreint, par conséquent, le Code de déontologie des salariées. Cet argument est sans fondement. D’une part, on voit mal comment un tel arrêt de travail pouvait remédier au problème. D’autre part, comme le souligne la juge au paragraphe [135] de son jugement, le contexte de l’arrêt de travail du 12 décembre 2010 est semblable au contexte qui existait les 20 et 21 septembre 2010, alors que le Syndicat s’est engagé de la manière vue précédemment » (Nous soulignons)

Finalement, à l’argument syndical que l’autorité des tribunaux n’avait pas véritablement été menacée et que l’outrage devait être une procédure de dernier recours, la Cour répond que la situation sous étude se prêtait tout à fait à l’outrage :

« [32]…Il ne faut pas perdre de vue que l’outrage est mis en œuvre ici pour traiter du non-respect d’une ordonnance du Conseil des services essentiels qui se rapporte à un arrêt de travail illégal en milieu hospitalier. La juge a soupesé la preuve et elle juge le comportement de l’appelant sévèrement. Ce dernier ne nous fait pas voir que l’outrage au tribunal est inadapté aux circonstances du présent litige. »

Bref, gare aux dirigeants syndicaux qui voudraient jouer à l’autruche et se retrancher derrière leur rôle de soutien aux membres en présence d’une ordonnance claire. Comme nous l’avons plaidé devant la Cour d’appel, l’heure n’était pas à la négociation, mais bien au respect d’un ordre sans équivoque de la Cour.

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