Cette chronique juridique fait suite au Midi MB / Webinaire du 31 mars 2016
Le 1er janvier dernier est entrée en vigueur la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du travail (RLRQ, 2015, c.15, « Loi 42 ») qui a notamment pour objet de regrouper en un tribunal unique (Tribunal administratif du travail, « TAT »),la Commission des relations du travail (« CRT ») et la Commission des lésions professionnelles (« CLP »).
Les divisions du TAT
Avant le 1er janvier 2016, la CRT était constituée de trois divisions :
- la division de la construction et de la qualification professionnelle (art.115.2 de la version antérieure du Code du travail, RLRQ, c. C-27, ci-après « C.T. »);
- la division des services essentiels (art.115.2.1 de la version antérieure du C.T.); et
- la division des relations du travail (art.115.3 de la version antérieure du C.T.).
Pour sa part, la CLP était constituée de deux divisions :
- la division du financement (art. 371 de la version antérieure Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, ci-après « LATMP »; et
- la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles (art. 372 de la version antérieure de la LATMP).
Le TAT comporte désormais quatre divisions (art. 4 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (RLRQ, c. T-15.1, ci-après « LITAT ») :
- la division des relations du travail (art.5 LITAT);
- la division de la santé et de la sécurité du travail (art.6 LITAT);
- la division des services essentiels (art.7 LITAT); et
- la division de la construction et de la qualification professionnelle (art.8 LITAT).
Le seul changement est donc que toutes les affaires qui auparavant étaient entendues par les deux divisions de la CLP seront entendues par la division de la santé et de la sécurité du travail du TAT.
Juges administratifs
Les juges administratifs qui siègent au TAT doivent posséder certaines qualités prévues par la LITAT. Ils doivent notamment avoir une connaissance de la législation applicable et une expérience pertinente de 10 ans à l’exercice des fonctions du TAT[1]. Plus particulièrement, seul un avocat ou un notaire pourra être affecté à la division de la santé et la sécurité du travail. La seule modification est que la connaissance de la législation applicable n’était pas un prérequis expressément mentionné dans la LATMP.
Assesseurs
Devant la CLP, la LATMP prévoyait deux types de membres : les membres issus et les assesseurs. Les premiers, au nombre de deux, agissaient à titre de conseillers : l’un était issu des associations syndicales et l’autre des associations d’employeurs. Quant aux assesseurs, ceux-ci avaient le rôle de conseiller les juges administratifs sur toute question de nature médicale, professionnelle ou technique et étaient nommés par le président de la CLP.
En toute circonstance, devant la CRT, il n’y avait ni membres issus ni assesseurs. Ceci subsiste devant le TAT, pour les trois divisions qui relevaient antérieurement de la CRT.
Devant le TAT, la notion de membres issus a été complètement évacuée. En conséquence, la règle générale est que les juges administratifs siègent seuls, à moins que la présidente du TAT estime qu’il serait approprié d’affecter une affaire à un banc de trois juges administratifs. Aussi, pour la division de la santé et de la sécurité du travail, la présidente peut décider qu’il serait utile d’adjoindre au juge administratif un ou plusieurs assesseurs[2]. Dans les faits, les assesseurs médicaux de la CLP continuent de siéger dans le même type de dossiers devant le TAT.
Lieux physiques
À l’ère de la CRT et de la CLP, les deux institutions disposaient de locaux distincts. La CRT occupait deux bureaux, l’un à Montréal et l’autre à Québec. La CLP disposait pour sa part de nombreux bureaux régionaux répartis à l’échelle de la province.
Les nouveaux bureaux régionaux du TAT sont donc les anciens bureaux de la CLP. Néanmoins, pour l’instant, les bureaux de la CRT et de la CLP situés dans les villes de Montréal et de Québec sont encore occupés de manière exclusive par l’une et l’autre des anciennes institutions.
Il est à noter qu’actuellement, les litiges relevant de la division des relations du travail ne sont pas encore entendus dans les bureaux régionaux, mais une décentralisation aura probablement lieu dans un avenir rapproché
La mobilité des membres du TAT
L’une des plus grandes préoccupations des divers intervenants qui se sont fait entendre lors des consultations particulières et des auditions publiques préalables à l’étude détaillée du Projet de loi 42[3] était la préservation des missions de la CRT et de la CLP ainsi que de leur expertise respective. De plus, certains intervenants étaient inquiets quant à la possibilité pour un membre du TAT de siéger sur plusieurs divisions dans une même cause. L’exemple classique étant celui du harcèlement psychologique qui peut à la fois relever de la division de la santé et de la sécurité en tant que lésion professionnelle et faire l’objet d’une plainte devant la division des relations du travail.
Lors des débats, les parlementaires étaient assez affirmatifs à l’effet qu’un même juge administratif ne devrait pas siéger sur plusieurs divisions dans une même cause. Or, ces préoccupations n’ont pas trouvé corollaire dans la LITAT.
En effet, aux termes des articles 19 et 83 de la LITAT, la présidente a la possibilité de nommer un juge administratif sur plus d’une division, en tenant compte de ses compétences et de son expérience spécifique et de joindre des affaires dans lesquelles les questions en litige sont en substance les mêmes ou dont les matières pourraient être convenablement réunies.
La présidente du TAT a par ailleurs ouvertement affirmé qu’elle entendait utiliser les pouvoirs qui lui sont attribués par la loi pour joindre ce genre de cause, évitant ainsi au travailleur d’avoir à faire la même preuve deux fois[4].
Pouvoirs, preuve et procédure
L’art. 9 de la LITAT, qui prévoit les pouvoirs des juges administratifs du TAT, reprend l’essentiel des pouvoirs qui étaient attribués à la CRT aux termes de l’art. 118 C.T. et à la CLP aux termes des art. 377, 378, 383, 429.27 et 429.46 LATMP.
La LITAT prévoit une procédure commune pour toutes les divisions du TAT[5]. On parle désormais d’un « acte introductif » plutôt que d’une « requête introductive » (devant la CLP). L’expression « requête en accréditation » subsiste quant à elle dans le Code du travail. De plus, l’acte introductif doit être déposé au bureau du TAT qui dessert la région où est situé le domicile du travailleur ou, lorsqu’aucun travailleur n’est partie à une affaire, au bureau du TAT qui dessert une région où l’employeur a un établissement. Il est utile de rappeler qu’auparavant, une demande ou une plainte faite à la CRT était introduite par son dépôt à l’un des bureaux de la CRT, soit à Montréal ou à Québec.
De plus, la LITAT prévoit que le TAT peut, par règlement, « édicter des règles de preuve et de procédure précisant les modalités d’application des règles établies par la présente loi ou par les lois dont découlent les affaires qu’il entend ainsi que des exceptions dans l’application des règles établies par la loi concernant un recours ou une division du Tribunal » (art.105 LITAT). Il semble donc que le TAT devrait adopter un seul règlement applicable à l’ensemble des divisions, en faisant les nuances et les distinctions nécessaires.
Pour l’instant, un tel règlement n’a pas été adopté et, aux termes de l’art.263 LITAT, « les règles qui étaient applicables devant la [CLP] et devant la [CRT] demeurent, selon le cas, applicables à titre supplétif, mais dans la seule mesure où elles sont compatibles avec la présente loi ». Pour le moment, les causes entendues par la division de la santé et la sécurité du travail continueront d’être régies par le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles (RLRQ, c. A-3.001, r. 12), désormais appelé Règlement sur la preuve et la procédure du Tribunal administratif du travail[6]. Précisons qu’aucun règlement n’avait été dûment adopté pour la CRT.
Modifications législatives et autres changements
Plusieurs dispositions (pouvoirs, délais ou autres) qui étaient antérieurement prévues au C.T. ou à la LATMP et qui ont à première vue été abrogées ont été reprises ailleurs dans ces lois ou dans la LITAT. Par exemple, les délais qui étaient prévus à l’art.133 C.T. sont maintenant répartis aux art. 39.1, 45, 46.1 et 111.3 al.3 du C.T. Nous vous invitons à être vigilants et à utiliser les versions à jour des lois du travail, disponibles sur le site web de Publications du Québec.
En terminant, voici une liste de certains autres changements découlant de la Loi 42 :
- Possibilité d’omettre le nom des personnes impliquées[7] (ce pouvoir existait seulement pour la CLP);
- Prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter[8] (la version antérieure du C.T. prévoyait la possibilité de prolonger les délais dans certains cas spécifiques);
- Une plainte déposée par un salarié contre son syndicat doit l’être « dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont le salarié se plaint[9]», alors qu’auparavant, le C.T. prévoyait seulement qu’une telle plainte devait être déposée « dans les 6 mois »;
- Possibilité de visiter les lieux ou ordonner une expertise par une personne qualifiée qu’il désigne pour l’examen et l’appréciation des faits relatifs à l’affaire dont il est saisi[10] (ce pouvoir existait seulement pour la CLP et le Tribunal d’arbitrage);
- Aucune autorisation n’est désormais nécessaire pour déposer une décision au greffe de la Cour supérieure; ce dépôt doit se faire conformément aux règles prévues du nouveau Code de procédure civile (RLRQ, c.C-25.01)[11];
- Devant le TAT, les parties peuvent se faire représenter par une personne de leur choix à l’exception d’un professionnel radié, déclaré inhabile à exercer sa profession ou dont le droit d’exercer des activités professionnelles a été limité ou suspendu[12] alors qu’auparavant, devant la CRT, la seule règle était que les parties pouvaient se faire représenter par des représentants dûment mandatés;
- Possibilité de rejeter « sommairement » toute affaire qu’elle juge abusive ou dilatoire[13] alors qu’auparavant, la CLP pouvait rejeter toute affaire qu’elle jugeait abusive ou dilatoire, sans autre précision;
- Un travailleur peut maintenant intervenir devant le TAT, division de la santé et de la sécurité du travail, en matière d’imputation des coûts[14].
Conclusion
Avec la Loi 42, le gouvernement avait pour objectif d’effectuer une réorganisation administrative, de créer un guichet unique en matière de travail, d’assurer une présence à la grandeur de la province et, finalement, d’alléger la réglementation, le fardeau administratif et le fardeau fiscal pour les citoyens[15].
Les principaux changements apportés aux institutions en matière de travail sont effectivement de nature administrative. En se fiant strictement au texte de la loi, il semble que peu de changements concrets se feront sentir dans l’immédiat. La réalisation de l’efficacité envisagée par cette refonte administrative dépendra en grande partie des décisions qui seront prises par les membres du TAT, notamment à savoir si on joindra dans un même dossier des plaintes relevant de plusieurs divisions, si on affectera un juge administratif à plus d’une division ou si un règlement commun de preuve et de procédure sera adopté. Pour ce dernier élément, on peut se questionner à savoir si la règle de divulgation de la preuve établie pour la CLP sera reprise pour l’ensemble des divisions du TAT.