Le projet de loi 59 : Une réforme importante du régime de santé et de sécurité du travail
Le 27 octobre 2020, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Monsieur Jean Boulet, présentait le projet de loi n° 59 (ci-après, « PL59 »), Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail[1]. Le PL59 propose de moderniser le régime de santé et de sécurité du travail, notamment par la modification et l’ajout de nombreuses dispositions en matière de prévention et réparation des lésions professionnelles.
De façon périodique, Monette Barakett vous présente un aspect du PL59. Dans la présente chronique, nous vous proposons une analyse des différentes modifications législatives apportées à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (ci-après « LSST »).
Mise à jour importante : Veuillez prendre note qu’en date du 10 mars 2021, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. Jean Boulet, a déposé des propositions d’amendements au PL59.
Cinquième chronique : Modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail
La LSST, une loi d’ordre public, a pour objet « l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs »[3]. Dans la poursuite de cet objectif, la loi établit divers dispositifs de collaboration des travailleurs, des employeurs et de leurs associations respectives.
Nous vous présentons dans cette chronique les modifications apportées par le PL59 à la LSST, soit :
A) L’étendue de l’application des mécanismes de prévention et de participation des travailleurs à tous les secteurs d’activités, et ce, en fonction de l’envergure des établissements ainsi que la possibilité pour l’employeur de ne former qu’un seul comité de santé et sécurité pour l’application d’un unique programme de prévention pour l’ensemble des établissements de l’employeur où s’exercent des activités de même nature.
B) La nouvelle obligation de l’employeur concernant la protection du travailleur victime de violence physique ou psychologique, intégrant la violence conjugale, familiale et à caractère sexuel.
C) Les modifications quant au processus et au rôle du Directeur de la santé publique relativement au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
D) Les autres modifications particulières.
A) Mécanismes de prévention
Dans sa forme actuelle, la LSST prévoit, à son article 58, que les employeurs d’établissements exerçant dans certains secteurs doivent mettre en application un programme de prévention. La Loi prévoit quatre « éléments » de prévention, à savoir :
- Le programme de prévention
- Le programme de santé
- Le comité de santé et de sécurité du travail
- Le représentant à la prévention
Les secteurs d’activités assujettis à ces différents programmes sont identifiés par règlement. On compte six groupes prioritaires subdivisés en 32 secteurs d’activités économiques. Présentement, les groupes 1 et 2 sont les secteurs les plus à risque et sont donc assujettis aux obligations les plus élevées en matière de prévention. Les groupes subséquents sont contraints à des obligations moindres ou, dans certains cas, n’ont pas à mettre en place d’un tel programme.
Le PL59 propose d’étendre l’obligation de mettre en place un programme à tous les établissements groupant au moins 20 travailleurs au cours de l’année, et ce, sans distinction quant à la nature des activités qui y sont exercées. Ce qui constituait une suggestion prend maintenant la forme d’une obligation dans le PL59[4].
De plus, certains établissements employant moins de 20 travailleurs seront également assujettis à une obligation de mise en place d’un programme de prévention selon des conditions prévues par règlement. Enfin, sans égard au nombre de travailleurs, un établissement pourrait être obligé d’avoir un programme de prévention si la CNESST le juge opportun.
L’employeur qui emploie des travailleurs dans plus d’un établissement où s’exercent des activités de même nature pourra dorénavant élaborer un seul programme de prévention[5] et ne former qu’un seul comité de santé et sécurité pour l’ensemble de ses établissements[6]. Cette approche vise à simplifier l’appareil préventif et à en augmenter l’efficacité.
Par le biais de ces changements, une majorité de travailleurs sera protégée par de tels programmes à vocation préventive. En effet, selon les données recueillies dans l’analyse d’impact réglementaire[7], 80% des travailleurs œuvrent dans des établissements d’au moins 20 personnes au Québec.
Le PL59 propose également quelques changements concernant le contenu du programme de prévention. En effet, ce dernier devra présenter des priorités d’actions privilégiant la hiérarchie des mesures de préventions établie par règlement[8]. Il s’agit de la codification d’un principe appliqué depuis longtemps par la CNESST, mais qui n’avait jamais été formellement indiqué dans un texte de loi. Qui plus est, le programme de prévention devra dorénavant prévoir l’identification et l’analyse des risques psychosociaux liés au travail[9]. À cet effet, l’Association canadienne de normalisation (groupe CSA)[10] et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)[11] ont identifié une série de risques qui pourra servir de guide à l’employeur dans l’identification de ces facteurs ayant un impact psychosocial pour leurs travailleurs.
B) Obligations générales de l’employeur : violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale et à caractère sexuel
Actuellement, l’employeur se voit imposer une série d’obligations générales qui sont énumérées à l’article 51 de la loi dans le but de protéger la santé et d’assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Le PL59 prévoit une nouvelle obligation pour l’employeur [12] :
16° prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.
Aux fins du paragraphe 16° du premier alinéa, dans le cas d’une situation de violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel, l’employeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence.
À cet égard, notons que l’analyse d’impact réglementaire évoque, à titre d’exemple, la possibilité pour un employeur de changer le numéro de téléphone au bureau d’une travailleuse qui serait victime de menaces d’un ex-conjoint[13].
C) L’exercice du droit au retrait préventif
La LSST prévoit actuellement, à ses articles 40 à 48, le droit de la travailleuse enceinte ou qui allaite et qui considère que son travail présente un risque pour elle ou pour le développement de son enfant, de demander d’être affectée à « des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir ». Elle doit alors déposer auprès de l’employeur un certificat signé par le médecin traitant. Si l’employeur n’est pas en mesure de la réaffecter et si les risques sont reconnus après la consultation d’un médecin expert en santé au travail, elle peut arrêter de travailler et recevoir une indemnité de remplacement du revenu. Si l’employeur est en mesure de soustraire la travailleuse aux tâches jugées à risque, elle est maintenue en emploi sans perte de bénéfices.
Le PL 59 prévoit que le directeur national de santé publique (DSP) doit présenter, avant la fin de l’année 2021, des protocoles visant l’identification des dangers et les conditions de travail qui y sont associées pour l’exercice du droit au retrait préventif. Ainsi, le médecin effectuant le suivi de grossesse pourra émettre directement un certificat à cet effet lorsque le danger sera identifié par l’un de ces protocoles. A contrario, si le danger identifié ne figure pas dans un tel protocole, le certificat pourra être émis suivant consultation du médecin chargé de la santé au travail chez l’employeur ou, à défaut, de la santé publique[14].
D) Autres modifications
Enfin, la réforme prévoit des mécanismes de participation des travailleurs sur les chantiers de construction, dont la présence d’un représentant en santé et en sécurité sur un chantier occupant simultanément au moins 10 travailleurs à un moment des travaux, de même qu’un comité de chantier lorsque le nombre de travailleurs est d’au moins 20[15].
Quant aux étudiants effectuant des stages en milieu de travail sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement, le PL59 prévoit dorénavant la possibilité pour les stagiaires d’être couverts par la LSST.
Finalement, notons qu’il est suggéré de prévoir de façon expresse que la LSST s’applique au travailleur en télétravail et à son employeur.
Notes et références
[1] Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, projet de loi no 59, 1e sess., 42e légis. (QC).
[2] RLRQ, chapitre S-2.1.
[3] Art. 2 LSST.
[4] PL59, article 152 (modifiant l’actuel article 68 LSST).
[5] Nouvel article 58.1 LSST.
[6] Nouvel article 68.1 LSST.
[7] Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. (2020, septembre). Analyse d’impact réglementaire, Projet de loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/etudes_d_impact/AIR_ModernisationRSST_20200930.pdf p. 48.
[8] PL59, article 147 (modifiant l’actuel article 59(2)(2°).
[9] PL59, article 147 (modifiant l’actuel article 59(2)(1°).
[10] Groupe CSA et Bureau de normalisation du Québec. (2013, janvier). Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail (CAN/CSA-Z1003-13/BNQ 9700-803/2013). https://www.csagroup.org/store-resources/documents/codes-and-standards/2422141.pdf
[11] Institut national de santé publique du Québec. (2016). Risques psychosociaux du travail. https://inspq.qc.ca/risques-psychosociaux-du-travail-et-promotion-de-la-sante-des-travailleurs/risques-psychosociaux-du-travail
[12] PL59, article 143(4°) (modifiant l’actuel article 51(16°) LSST).
[13] Préc., note 4, p. 41.
[14] PL59, article 139 (prévoyant l’ajout d’un article 40.1 LSST).
[15] PL59, article 222 (modifiant l’actuel article 209 LSST).