Le 4 juin 2021, les députés de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité le projet de loi n° 79, Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement.

L’adoption du projet de loi fait suite aux travaux de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui avait pour mandat d’examiner « les causes systémiques de toutes les formes de violence, y compris la violence sexuelle, à l’égard des femmes et des filles autochtones, et faire rapport à cet égard »[1].

Dans son rapport complémentaire propre au Québec, l’Enquête nationale recommande notamment de « remettre aux familles autochtones toutes les informations dont dispose [le gouvernement du Québec] concernant les enfants qui leur ont été enlevés à la suite d’une admission dans un hôpital » ou dans tout autre lieu offrant des services de santé[2].

Objectif de la Loi

La Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement (la « Loi »), qui entrera en vigueur le 1er septembre 2021, « a pour objet de soutenir les familles d’enfants autochtones disparus ou décédés dans leurs recherches de renseignements auprès d’un établissement, d’un organisme ou d’une congrégation religieuse sur les circonstances ayant entouré la disparition ou le décès de ces enfants à la suite d’une admission en établissement, en tenant compte notamment des particularités linguistiques et culturelles de ces familles et de leurs besoins psychologiques et spirituels »[3].

À cette fin, la Loi introduit des mesures dérogatoires aux règles de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[4] portant sur les dossiers des usagers. Rappelons qu’en principe, « [l]e dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom »[5].

 Champ d’application

La Loi ne vise pas seulement les établissements au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris[6]. Son champ d’application est très large et couvre aussi les congrégations religieuses ainsi que « tout lieu régi par la loi où étaient offerts des services de santé ou de services sociaux avant le 31 décembre 1992 »[7].

En choisissant la date du 31 décembre 1992, le législateur québécois s’assure de couvrir l’année suivant la fermeture du dernier pensionnat autochtone dans la province.

La Loi s’applique aussi à plusieurs organismes assujettis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[8], c’est-à-dire les ministères, les organismes gouvernementaux, les organismes municipaux et les organismes scolaires.

Il est important de noter que la Loi ne vise pas directement les pensionnats autochtones. Ces dernières institutions relèvent du Parlement fédéral en vertu de la Constitution canadienne. L’Assemblée nationale n’est pas compétente pour légiférer à leur égard.

Demande de communication

Un membre de la famille d’un enfant autochtone disparu ou décédé peut formuler une demande visant la communication de renseignements personnels concernant cet enfant.

Le demandeur doit notamment « disposer de renseignements susceptibles de laisser croire que cet enfant a été admis, avant le 31 décembre 1992, en établissement » et « faire état de circonstances qui suggèrent que cet enfant est disparu ou est décédé, avant le 31 décembre 1992, alors qu’il était admis en établissement »[9].

Traitement de la demande

L’établissement, l’organisme ou la congrégation religieuse concerné par une demande de communication doit suivre trois étapes principales.

Première étape : s’adresser à la Régie de l’assurance maladie du Québec

Conformément à l’article 6 de la Loi, s’il est raisonnable de croire que la personne concernée par la demande de renseignements est toujours vivante, l’établissement, l’organisme ou la congrégation religieuse doit tenter d’en obtenir la confirmation en s’adressant à la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Sur demande à cet effet, la Régie transmet les noms, date de naissance, sexe et coordonnées de la personne concernée inscrits à son fichier d’inscription des personnes assurées. Elle transmet aussi, le cas échéant, la date de décès et l’adresse au moment du décès.

Deuxième étape : localiser et contacter la personne concernée

Dans l’éventualité où la personne concernée par la demande est toujours vivante, l’établissement, l’organisme ou la congrégation religieuse doit effectuer les démarches nécessaires pour la localiser.

S’il y parvient, il doit contacter la personne concernée et l’informer de son droit de refuser la communication des renseignements entourant sa disparition (sauf le fait qu’elle est toujours vivante et, le cas échéant, qu’elle a été adoptée)[10].

Troisième étape : communiquer les renseignements au demandeur

À la suite de la réception des renseignements transmis par la Régie, l’établissement, l’organisme ou la congrégation religieuse doit communiquer les renseignements au demandeur conformément à la Loi.

Les règles applicables diffèrent en fonction des éventualités suivantes :

  • La personne est toujours vivante et est localisée;
  • La personne est toujours vivante, mais n’est pas localisée;
  • Il n’est pas possible de déterminer si la personne est toujours vivante;
  • La personne est décédée.

De façon générale, la nature des renseignements communiqués est limitée aux « renseignements personnels susceptibles de faire connaître les circonstances ayant entouré la disparition ou le décès de l’enfant »[11].

Le tableau suivant montre les règles applicables au traitement d’une demande de communication formulée en vertu de la Loi.

 

Éventualité Renseignements communiqués Exception
La personne est toujours vivante La personne est localisée Les renseignements personnels susceptibles de faire connaître les circonstances ayant entouré la disparition de l’enfant, notamment les renseignements concernant son transfert vers un autre établissement et, le cas échéant, le fait qu’il a été adopté.

Tout autre renseignement concernant la personne, avec son consentement.

Si la personne s’oppose, seul est communiqué le fait qu’elle est toujours vivante et, le cas échéant, qu’elle a été adoptée.
La personne n’est pas localisée Les renseignements personnels susceptibles de faire connaître les circonstances ayant entouré la disparition de l’enfant, notamment les renseignements concernant son transfert vers un autre établissement et, le cas échéant, le fait qu’il a été adopté.

Le fait qu’elle est toujours vivante.

Ces renseignements ne doivent pas porter sur des faits postérieurs au 31 décembre 1992.
Il n’est pas possible de déterminer si la personne est toujours vivante Les renseignements personnels susceptibles de faire connaître les circonstances ayant entouré la disparition ou le décès de l’enfant, notamment les renseignements concernant son transfert vers un autre établissement et, le cas échéant, le fait qu’il a été adopté. Aucune
La personne est décédée Idem Aucune

 

Refus de communiquer

Le refus de communiquer les renseignements personnels demandés doit être motivé par l’établissement, l’organisme ou la congrégation religieuse. Le cas échéant, le demandeur pourra saisir la Commission d’accès à l’information d’une demande de révision.

Durée d’application

Ce régime d’accès particulier s’applique pour une durée de 10 ans. Le gouvernement pourra toutefois reporter l’échéance s’il l’estime nécessaire.

 Pouvoirs et responsabilités du ministre

Le ministre responsable des affaires autochtones est un acteur central dans l’application de la Loi. Il est appelé à jouer un rôle de soutien et d’assistance auprès des familles tout au long du processus.

Il peut également prêter assistance à tout responsable de l’accès aux documents ou de la protection des renseignements personnels d’un établissement ou d’un organisme ainsi qu’à toute personne faisant partie d’une congrégation religieuse qui le requiert.

En cas d’insatisfaction, la Loi met en place une procédure de plainte. C’est au ministre que les plaintes seront adressées. Ce dernier se voit aussi attribuer un pouvoir d’enquête.

Questions

Notre équipe d’avocats expérimentés dans les domaines du droit de la santé, de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels est disponible pour vous assister dans le cadre de la mise en œuvre et de l’application de la Loi.

 

Références

[1] ENQUÊTE NATIONALE SUR LES FEMMES ET LES FILLES AUTOCHTONES DISPARUES ET ASSASSINÉES, Le mandat de l’Enquête nationale, en ligne : <https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/mandate/> (consulté le 14 juillet 2021).

[2] ENQUÊTE NATIONALE SUR LES FEMMES ET LES FILLES AUTOCHTONES DISPARUES ET ASSASSINÉES, Réclamer notre pouvoir et notre place : un rapport complémentaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées – Kepec-Québec, 2019, en ligne : <https://www.mmiwg-ffada.ca/wp-content/uploads/2019/06/Rapport-compl%C3%A9mentaire_Qu%C3%A9bec.pdf> (consulté le 14 juillet 2021).

[3] Loi, art. 1.

[4] RLRQ c S-4.2.

[5] Id., art. 19.

[6] RLRQ c S-5.

[7] Loi, art. 2 al. 1(1o).

[8] RLRQ c A-2.1.

[9] Loi, art. 5 al. 1(3o) et (4o).

[10] Loi, art. 6 al. 5.

[11] Loi, art. 6 al. 1.

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