Dans un contexte de retour au travail à la suite d’une longue période d’invalidité ou dans un contexte d’absentéisme chronique, il n’est pas rare que l’employeur propose des ententes de retour au travail avec ses employés et avec le syndicat, le cas échéant.
Pour les employeurs, ces ententes constituent parfois une entente dite de dernière chance afin d’accommoder un salarié qui présente un profil d’absentéisme chronique ou qui revient d’une longue invalidité. Ces ententes prévoient diverses clauses afin d’encadrer le retour au travail, notamment la durée et les modalités de celui-ci. Il est également fréquent que ces ententes prévoient de prolonger la durée de la période de requalification à l’assurance salaire, soit la durée de la période de rechute qui sera considérée comme la poursuite de la même invalidité. En effet, certaines conventions collectives prévoient une période durant laquelle un salarié devra effectuer son travail afin qu’il puisse bénéficier, le cas échéant, d’une nouvelle période d’invalidité pour le même diagnostic.
Récemment, l’arbitre Andrée St-Georges a tranché un grief syndical contestant, de manière générale, la légalité de ce type de clause. Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS du NÎM (CSN) et Centre intégré universitaire du Nord-de-l’Île-de-Montréal[1] le syndicat contestait ces clauses en invoquant que par cette demande de prolongation de la période de requalification, l’employeur agissait de manière abusive, discriminatoire et contraire aux lois et à la convention collective. À cet égard, le syndicat alléguait que l’employeur exerce des pressions indues aux salariés et du chantage économique pour faire accepter de telles conditions de retour au travail. Il ne recherchait pas l’annulation des ententes antérieures, mais plutôt une décision déclaratoire pour le futur.
Dans cette affaire, le délai de requalification pour débuter une nouvelle invalidité était de moins de 15 jours de travail effectif à temps complet[2] pour une invalidité de moins de 78 semaines ou de 45 jours de travail effectif dans le cas d’une invalidité égale ou supérieure à 78 semaines en vertu de la convention collective.
La preuve présentée visait un cas type concernant une salariée présentant un taux d’absentéisme élevé selon l’employeur. La salariée avait d’ailleurs déjà été sensibilisée à cet effet dans le passé. L’employeur avait exigé qu’elle justifie toutes ses absences à l’aide d’un certificat médical, et ce, pour une période de 6 mois. Quelque temps après cet avis, l’employeur a accommodé la travailleuse pour des motifs humanitaires afin qu’elle soit inscrite sur la liste de rappel et qu’elle exprime une disponibilité réduite. Deux ans plus tard, elle est de nouveau avisée de ses absences ponctuelles importantes sur une période de 4 mois. L’année suivante, la salariée débute une période d’invalidité pour des problèmes de santé majeurs et doit subir une opération. Un retour au travail progressif est finalement prescrit par le médecin après près de 104 semaines d’absence, soit la durée totale de l’invalidité de courte durée au sens de la convention collective. Des discussions entre l’employeur, le syndicat et la salariée ont lieu quant au retour au travail progressif de cette dernière et son admissibilité à l’invalidité longue durée. Dans ce contexte, l’employeur fait évaluer la salariée par son médecin-conseil qui recommande également un retour au travail progressif, mais sur une période plus longue que celle recommandée par le médecin traitant. Il estime également que le risque de rechute est élevé et que le pronostic est sombre.
Dans ces circonstances, l’employeur propose à la salariée et au syndicat un projet d’entente de retour au travail progressif conditionnel à certaines conditions, notamment les termes du retour au travail progressif ainsi qu’une prolongation du délai de requalification d’une durée de 6 mois. Ainsi, si la plaignante s’absente pour les mêmes diagnostics, moins de six mois après la fin de son retour progressif, elle ne pourra pas bénéficier à nouveau de l’assurance salaire auprès de l’employeur. Ce dernier justifie ce délai en raison du risque élevé de rechute et d’un profil d’absentéisme important, en plus du fait qu’il s’agit d’un premier retour au travail en près de deux ans et que ce n’est pas de la première entente de retour au travail de la salariée. Après diverses discussions et négociations, l’entente est finalement signée avec un délai de requalification de 4 mois.
Lors de l’audience, l’employeur a démontré qu’il avait recours à cette pratique depuis plusieurs années et qu’il effectuait une analyse personnalisée de chaque situation. Il précisait également que le recours à ce type d’entente se justifiait notamment par le fait que le retour au travail progressif après 104 semaines d’absence n’est pas prévu à la convention collective. Ainsi, afin d’accepter un tel retour au travail progressif à titre de mesure d’accommodement, l’employeur demande, en contrepartie, que le délai de requalification à l’invalidité de courte durée, pour lequel il est auto-assureur, soit prolongé afin d’éviter des coûts exorbitants en matière d’assurance salaire. Il précisait que ces coûts constituent une contrainte excessive dans un contexte d’accommodement pour un retour progressif d’une salariée ayant un pronostic médical sombre et un profil d’absentéisme élevé. Cette période prolongée de requalification permet également à l’employeur de s’assurer et d’apprécier la capacité de la personne salariée à reprendre son emploi de façon soutenue et durable avant que puisse débuter l’admissibilité à une nouvelle période d’invalidité de 104 semaines. L’employeur a également fait la preuve que ces longues absences ont un impact direct sur les soins, les équipes de travail ainsi que sur les usagers.
Après avoir rappelé les principes d’accommodement émanant des tribunaux supérieurs, l’arbitre est d’avis que l’employeur était justifié de demander une prolongation de la période de requalification pour la salariée considérant la possibilité de « coûts récurrents possibles, voire probables à court terme[3]. » Pour l’arbitre, cette clause dans une entente de réintégration n’est ni abusive, ni déraisonnable ou discriminatoire, car elle traduit un équilibre entre les obligations des parties soit une prestation de travail de la salariée et un accommodement raisonnable sans contrainte excessive pour l’employeur.
Qui plus est, l’arbitre estime que tant dans l’entente type analysée que dans les autres ententes déposées, rien ne laisse présager que les salariés ont signé les ententes sous l’effet de la contrainte. À cet égard, l’arbitre fait référence aux clauses usuelles en lien avec la bonne foi, la possibilité pour les parties de consulter leurs conseillers et que l’entente fait état de leur volonté exprimée librement. Elle précise également que l’entente a pour but non seulement de prolonger le délai de requalification, mais de permettre un retour au travail progressif après 104 semaines d’invalidité, ce qui n’est pas prévu à la convention collective. L’arbitre rejette donc le grief. Il est important de noter que la convention collective applicable prévoit la possibilité de faire des ententes particulières, ce qui était le cas dans ce dossier.
À la lumière de cette décision, il faut retenir qu’il est important d’analyser individuellement chaque dossier dans un contexte d’entente de réintégration. Il faut éviter les modèles uniques et les automatismes. Le prolongement de la période de requalification doit pouvoir se justifier en fonction des faits propres à chaque dossier, doit être supporté par une preuve médicale et ne pas être arbitraire. Si ces conditions sont rencontrées, une telle entente pourrait recevoir la même validation que dans la décision résumée.
[1] Décision rendue le 5 avril 2022, non publiée à ce jour. Affaire plaidée par Me Anne-Marie Bertrand, associée chez Monette Barakett.
[2] Ou de disponibilité pour un travail à temps complet
[3] Paragraphe 58 de la décision.