INTRODUCTION

Au Québec, les médecins œuvrant au sein d’un établissement public jouissent d’un statut particulier. En effet, en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (RLRQ, c. S-4.2, ci-après la « LSSSS »), un médecin, autre qu’un cadre, est réputé ne pas faire partie du personnel d’un établissement (art. 236 LSSSS). Ainsi, un médecin souhaitant exercer sa profession au sein d’un établissement doit présenter au directeur général de celui-ci une demande de nomination ou de renouvellement de nomination (art. 237 LSSSS), selon le cas. Après avoir obtenu une recommandation de la part du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (le « CMDP ») quant aux qualifications et compétences du médecin demandeur, le directeur général soumet la demande de nomination au conseil d’administration qui l’accepte ou la refuse, par voie de résolution, en tenant compte notamment du plan d’organisation de l’établissement, du plan des effectifs médicaux et dentaires et des ressources disponibles (art. 237 al. 4 et 238 LSSSS). Lorsque la candidature du candidat est accueillie favorablement, celui-ci se voit octroyer un statut et des « privilèges », soit des droits de pratique dans des champs d’activités particuliers (Règlementsur l’organisation et l’administration des établissements, RLRQ, c. S-5, r.5, art. 86 et 88).

La décision du conseil d’administration peut être contestée par le médecin devant le tribunal administratif du Québec (le « TAQ »). Ainsi, il est primordial qu’en cas de refus d’une demande de nomination, les motifs ayant été invoqués au soutien de cette décision soient valides et bien réels.

DES MOTIFS DE REFUS DÉTERMINANTS

L’article 238 de la LSSSS énumère les raisons que le conseil d’administration peut invoquer au soutien du refus de la demande de nomination d’un médecin :

« 238. Le conseil d’administration accepte ou refuse la demande de nomination d’un médecin ou d’un dentiste en tenant compte du plan d’organisation de l’établissement, du nombre de médecins et de dentistes autorisé dans le plan des effectifs médicaux et dentaires de l’établissement, des ressources disponibles, des exigences propres à l’établissement et, le cas échéant, de la vocation suprarégionale de l’établissement déterminée par le ministre en vertu de l’article 112.

(…)

Le conseil d’administration peut également refuser la demande de nomination d’un médecin ou d’un dentiste en se fondant sur des critères de qualification, de compétence scientifique ou de comportement du médecin ou du dentiste, eu égard aux exigences propres à l’établissement.

(…)

Si l’établissement exploite un centre désigné centre hospitalier universitaire ou institut universitaire,le conseil d’administration doit aussi consulter l’université à laquelle l’établissement est affilié et doit de plus, avant d’accepter ou de refuser une demande, tenir compte de la répartition, entre les médecins, des tâches relatives à l’activité clinique, à la recherche et à l’enseignement, eu égard aux exigences propres à l’établissement. »  (Nous soulignons)

Il faut donc distinguer deux principaux types de motifs : ceux qui sont fondés sur la qualification, la compétence scientifique et le comportement du médecin, et ceux qui concernant la disponibilité des ressources de l’établissement.

Selon le motif invoqué, la décision rendue par le conseil d’administration de l’établissement relèvera ou non de la compétence du TAQ :

« 252. Un médecin ou un dentiste qui n’est pas satisfait d’une décision rendue à son sujet, fondée sur des critères de qualification, de compétence scientifique, de comportement ou portant sur les mesures disciplinaires, peut, dans les 60 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui a été notifiée, contester cette décision devant le Tribunal administratif du Québec.

 (…) » (Nous soulignons)

Le TAQ est donc incompétent à l’égard des décisions fondées sur les ressources disponibles de l’établissement, tel qu’exprimé clairement par la Cour supérieure, dans l’affaire Huot c. T.A.Q.,  J.E. 98-2073 (C.S.):

« 18. Le législateur donne donc au médecin un droit d’appel lorsque la décision rendue à son sujet a une saveur disciplinaire. Lorsqu’il s’agit d’une question d’opportunité administrative, le conseil est roi et maître et ses décisions sont sans appel. »

Ajoutons d’ailleurs qu’un établissement qui accorderait des privilèges à un médecin alors qu’il a atteint son nombre autorisé de médecins prévu à son plan des effectifs verrait sa décision être frappée de nullité absolue (art. 239 LSSSS).

Il est toutefois primordial que la décision ait été réellement fondée sur la disponibilité des ressources ou sur une question d’opportunité administrative (Voir M.M. c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, T.A.Q. (section des affaires sociales), 6 février 2002, n° SAS-Q-063389-0005.). Un tel motif ne peut être invoqué pour maquiller la véritable raison du refus de nomination. Dans l’affaire M.D. c. Centre de santé et de services sociaux A, 2008 QCTAQ 1797, l’établissement prétendait avoir fondé sa décision en fonction du plan d’effectifs de l’établissement. Or, après analyse de la preuve, le TAQ a décidé que les véritables motifs de l’établissement étaient liés à des exigences de qualification, de compétence et de comportement du médecin et s’est déclaré compétent.

QUELQUES EXEMPLES JURISPRUDENTIELS

Le TAQ saisi d’un appel de la décision d’un conseil d’administration d’un établissement à l’égard de la nomination d’un médecin agit de novo, c’est-à-dire qu’il a le pouvoir de reconsidérer le mérite de la décision originale sur la base de sa propre enquête, tel qu’établi dans l’affaire Daniel c. T.A.Q., 1999-13945 (C.S.). Ceci a pour conséquence que le TAQ pourra lui-même apprécier et décider si le médecin se pourvoyant en appel a une compétence plus grande que le candidat ayant été retenu et ainsi annuler la résolution adoptée par le conseil d’administration.

Dans l’affaire M.M. c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, précité, la demande de nomination du dentiste recherchant des privilèges supplémentaires avait été rejetée au motif que l’expertise très spécialisée offerte par le requérant n’était pas requise, compte tenu des ressources de l’établissement. Or, la preuve a révélé que le refus était aussi basé sur un conflit interne entre le requérant et le chef de département. Comme la preuve n’a révélé aucun comportement fautif du médecin et qu’il était plus compétent que le candidat retenu, son recours a été accueilli.

Dans un dossier similaire, Services de Santé et Services sociaux – 11, [1997] C.A.S. 361 (C.A.S.), la candidature d’un médecin n’a pas été retenue pour un des quatre postes d’anesthésiste disponibles au motif qu’il n’avait ni l’expertise ni les qualités personnelles requises pour travailler dans un milieu de soins surspécialisés et d’enseignement universitaire, notamment en raison de sa longue période d’absence d’un tel milieu. Le tribunal a infirmé cette décision, estimant que le médecin avait une expérience supérieure à celle de trois des quatre candidats retenus.

Dans une décision récente, L.G. c. CSSS A, 2013 QCTAQ 3572, le TAQ a infirmé la décision du conseil d’administration de l’établissement fondée notamment sur le manque de compétence du médecin requérant. Celui-ci avait fait l’objet d’une visite du Comité d’inspection professionnelle du Collège des médecins en 2005 et on avait identifié des problèmes sur sa pratique de la médecine (qualité de l’exercice, tenue de dossiers, formation médicale continue). Le TAQ a toutefois considéré que le requérant a réussi un stage de perfectionnement professionnel et que la demande de nomination ne requérait pas du médecin candidat concerné une compétence scientifique particulière.

Dans S.G. c. CSSS A, 2012 QCTAQ 6898, le TAQ a maintenu la décision de l’établissement ayant refusé d’octroyer des privilèges à un médecin n’ayant pas respecté des limitations permanentes imposées par le Collège des médecins.

Outre les motifs liés à la compétence et aux qualifications scientifiques, un refus de nomination peut être fondé sur le comportement d’un candidat. Ces problèmes de comportement peuvent émaner de diverses sources dont les relations avec les collègues et les autorités administratives d’un établissement, comme dans l’affaire S. c. Hôpital, n° SS-51000, 21 mars 1996 (C.A.S.), où la nomination du médecin requérant a été refusée en raison d’une attitude harcelante auprès du CMDP, d’une attitude antipathique aux groupes ethniques et pour avoir menacé de poursuivre si sa demande était refusée. Le tribunal, après étude de la preuve, a considéré que l’empressement et les démarches du médecin auprès du CMDP ne démontrent pas un problème sérieux de comportement. Quant au deuxième motif, la médecin avait rédigé une lettre ouverte, publiée dans La Presse, dans laquelle elle critiquait les critères d’admissibilité en matière d’immigration. Le tribunal a considéré que ces propos n’étaient pas méprisants et qu’ils ne dévoilaient pas une attitude incompatible avec la mission de l’établissement.

Le comportement du candidat peut aussi être invoqué lorsque celui-ci fait défaut de collaborer adéquatement avec son ordre professionnel, comme dans l’affaire Daniel c. T.A.Q., précitée, dans laquelle le médecin requérant a été trouvé coupable d’entrave au travail des membres du Comité d’inspection professionnel du Collège des médecins. La décision du conseil d’administration de l’établissement a été maintenue par le TAQ et par la Cour supérieure.

CONCLUSION

La décision de refuser ou non la demande de nomination d’un médecin pour l’obtention de statut et privilèges dans un établissement ne doit pas être prise à la légère. Elle doit s’appuyer sur des motifs autorisés par la loi. Le TAQ a seulement compétence sur un refus de nomination fondé sur des critères de qualification, de compétence scientifique, de comportement ou portant sur les mesures disciplinaires. Il peut toutefois réviser les « véritables » motifs au soutien d’un refus à saveur administrative. Lorsque l’établissement réussit à prouver les fondements de cette catégorie de refus, le TAQ n’est pas compétent pour réviser sa décision.

Tout refus, peu importe ses motifs, doit donc s’appuyer sur un processus rigoureux. Il importe que le chef de département, le comité d’examen des titres et le conseil des médecins, dentistes et pharmaciens soient mis à contribution. Ils doivent procéder à des analyses rigoureuses, expliquer par écrit leurs recommandations et conserver une preuve documentaire suffisante. Les recommandations de ces instances doivent s’appuyer sur des faits et non sur des rumeurs, des perceptions ou des craintes subjectives. À chaque étape, les fondements du refus doivent être bien décrits. Au terme de l’étude de la demande de nomination, le conseil d’administration est alors en mesure de soutenir sa décision de refuser la demande de nomination du médecin car elle s’appuiera alors sur les recommandations bien étayées des instances internes.

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