Maraudage et accréditation syndicale: balises et conseils pratiques
Suite à l’adoption de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (L.Q. 2015, c.1, ci-après, « Loi 10 »), des changements majeurs se sont opérés dans le réseau de la santé et des services sociaux. C’est ainsi que de nombreux établissements ont été fusionnés ou regroupés, créant notamment les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).
Rappelons qu’aux termes de la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales (RLRQ, c. U‑0.1, ci-après, « Loi 30 »), il ne peut y avoir plus d’une unité d’accréditation par catégorie de salariés au sein d’un même établissement et quatre au total. La Loi 30 prévoit une procédure particulière relativement à l’accréditation syndicale lorsqu’il y a fusion d’établissements.
Les dates importantes
La Loi 10 prévoit que la date de la fusion, pour l’application de la Loi 30, est réputée être la date qui suit de 60 jours celle de la signature des ententes portant sur les stipulations nationales applicables à au moins 70 % des salariés du réseau. La date réputée de la fusion a été établie au 3 septembre 2016.1
Le 2 septembre 2016, soit le jour qui précède la fusion réputée, chaque établissement doit dresser un état de la situation de la représentation syndicale telle qu’elle existe (description des unités de négociation existantes, nom de l’association de salariés accréditée, informations relatives aux salariés de l’établissement.2
Le même jour, chaque établissement devra transmettre au ministre les informations relatives aux unités de négociation existantes et le nom des associations de salariés existantes. Les informations relatives aux salariés devront être transmises aux associations de salariés existantes.3
Du 3 septembre au 3 octobre 2016, l’établissement fusionné doit identifier les nouvelles unités de négociation et dresser une liste des personnes salariées pouvant en faire partie.
Au plus tard le 3 octobre 2016, cet établissement doit :
- Afficher pendant 20 jours les informations consignées à l’état de situation ainsi que celles relatives aux nouvelles unités d’accréditation;4
- Transmettre au Tribunal administratif du travail les informations relatives aux nouvelles unités d’accréditation et, par catégorie de personnel, le nombre de salariés qui sont représentés par une association de salariés accréditée, le nombre de salariés qui ne le sont pas et la date à laquelle le délai d’affichage prend fin;
- Transmettre aux associations de salariés existantes les mêmes informations que celles destinées au Tribunal administratif du travail lorsque les informations visent une catégorie de personnel pour laquelle l’association possède déjà une accréditation concernant une partie des salariés appelés à faire partie de la nouvelle unité de négociation.
Au plus tard le 22 novembre 2016, la requête en accréditation doit être adressée au Tribunal administratif du travail, ce délai pouvant être prolongé pour des circonstances particulières. À l’égard d’une nouvelle unité de négociation au sein de l’établissement fusionné, une association de salariés peut demander une accréditation pour représenter les salariés de la nouvelle unité, seulement si cette association possède déjà une accréditation concernant une partie de ces salariés.
La conduite des parties
La conduite des parties doit être analysée en gardant en tête les deux droits fondamentaux qui sont visés, soit la liberté d’expression et la liberté d’association.
Le syndicat
Afin d’obtenir l’accréditation permettant de représenter les salariés de la nouvelle unité de négociation, les associations existantes chercheront à recueillir la faveur d’une majorité des salariés. Il s’agit de la campagne de maraudage ou de sollicitation. Au terme de cette campagne, si plusieurs syndicats sont en lice pour l’obtention de l’accréditation, un vote aura lieu parmi les salariés habilités à voter dans cette unité. L’association qui obtiendra le plus grand nombre de voix sera accréditée.
Le Code du travail (RLRQ, c. C-27) fixe certaines limites à cette sollicitation :
- personne ne peut solliciter l’adhésion d’un salarié à une association pendant les heures de travail (art.5);
- une association de salariés ne doit généralement pas tenir de réunion de ses membres sur les lieux du travail (art.6);
- personne ne doit user d’intimidation ou de menaces pour amener quiconque à devenir membre, à s’abstenir de devenir membre ou à cesser d’être membre d’une association de salariés (art.13).
Dans ce dernier cas, la personne fautive s’expose à une amende de 100 $ à 1 000 $ pour chaque jour que dure l’infraction (art.143). Dans les autres cas, l’amende est de 100$ à 500$ et, en cas de récidive, de 1000$ à 5000$ (art.144).
Un employeur peut demander au Tribunal administratif du travail d’ordonner à l’association de salariés de cesser de faire, de ne pas faire ou d’accomplir un acte pour l’obliger à se conformer au Code du travail (art. 111.33 (1)).
L’employeur
Le Code du travail interdit formellement à l’employeur de chercher à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés, ou à y participer (art.12 al.1). Tout comme pour les associations de salariés, l’employeur ne peut user d’intimidation ou de menaces pour amener quiconque à devenir membre, à s’abstenir de devenir membre ou à cesser d’être membre d’une association de salariés ou d’employeurs (art.13).
La Commission des relations du travail décrivait en ces termes ce qui constitue de l’ingérence en période de maraudage :
« [52] L’ingérence dans une association par un employeur se conçoit comme un ensemble de gestes posés par un employeur ou l’un de ses agents afin de contrôler directement ou par un intermédiaire les destinées d’un syndicat ou encore, à l’occasion d’une campagne de maraudage, en faisant nettement voir une préférence ou un appui, même moral, à l’une des associations en particulier. L’intervention est dirigée par l’employeur afin de faire obstacle à la syndicalisation ou encore, dans le cas d’un conflit intersyndical, comme à l’occasion d’un maraudage, en exerçant des pressions afin de favoriser l’établissement ou le maintien d’une association donnée.
[53] L’employeur peut s’ingérer en facilitant l’organisation des travailleurs, en permettant la sollicitation sur les lieux du travail, en faisant preuve d’aveuglement ou encore en collaborant avec une association de telle façon que sont faussées les relations qu’il doit entretenir avec les salariés et leurs associations. »5 (Nous soulignons)
L’employeur qui contreviendrait à ces règles s’expose à une amende de 100 $ à 1 000 $ pour chaque jour que dure l’infraction (art.143). L’association de salariés peut demander au Tribunal administratif du travail d’ordonner à l’employeur de cesser de faire, de ne pas faire ou d’accomplir un acte pour l’obliger à se conformer au Code du travail (art.111.33 (1)).
Conseils pratiques
Afin de favoriser une période de maraudage ordonnée, voici quelques conseils pour les employeurs :
- Informer les cadres de tous les niveaux des règles applicables durant la campagne de sollicitation, plus particulièrement en ce qui concerne l’interdiction d’ingérence de l’employeur dans les activités syndicales;
- Rappelez-vous que l’employeur est une tierce partie à cette campagne de sollicitation : il ne doit intervenir que si cette campagne nuit au bon fonctionnement de l’établissement;
- L’employeur doit en tout temps agir avec équité : il ne peut prendre de décisions qui favoriseraient une association de salariés;
- En cas de doute, il est important de bien analyser la situation et les conséquences possibles d’une décision.
En résumé, la prudence est de mise afin d’éviter toute ambiguïté quant à l’implication de l’employeur dans les affaires syndicales. Les employeurs seront nécessairement impliqués dans le maraudage syndical qui s’amorcera sous peu et vous devrez vous tenir hors de la mêlée dans la mesure du possible.